Cash investigation : Nation Burning

Indignation internationale, condamnations en série : l’inculpation d’Édouard Perrin a encore une fois nui à l’image du Luxembourg et renforce le soupçon que, au grand-duché, le poids de la place financière supplante les droits élémentaires.

Comme si elle n’avait rien appris depuis l’affaire Roemen, la justice luxembourgeoise continue dans sa logique farfelue qui veut que ce soient les messagers qui doivent être punis, et non ceux qui sont dénoncés dans leurs messages. Après Antoine Deltour et un autre ancien collaborateur de PriceWaterhouseCoopers (PWC), c’est donc au tour d’Édouard Perrin, journaliste à France 2 et auteur des désormais célèbres reportages sur la place financière luxembourgeoise dans le cadre de l’émission « Cash Investigation », de se retrouver à la barre. Non pas pour avoir relayé les informations que Deltour lui avait confiées en 2012, mais apparemment pour avoir poussé le deuxième lanceur d’alerte à lui procurer ses informations. Des informations qu’il aurait par la suite partagées avec l’ICIJ – le consortium international de journalistes à l’origine des fameux « Luxleaks ».

La même chose vaut pour les inculpations et pour les rulings : légaux oui, légitimes pas pour un sou.

Dans ce contexte, plusieurs questions se posent. S’il est vrai que Deltour a fait passer ses fichiers à Perrin sous condition de taire le nom de son ancien employeur et de ses clients, la question de l’honnêteté intellectuelle d’Édouard Perrin se pose évidemment – et, en plus, cette impression renforce le soupçon du parquet quant à une éventuelle action criminelle envers le deuxième lanceur d’alerte. Pourtant, lorsqu’on connaît le métier de journaliste, des nuances s’imposent. Car si une source vous confie des dossiers tellement explosifs que les « tax rulings » et vous force en même temps à n’en révéler que les contours – donc à construire un dossier avec des présomptions uniquement -, vous êtes vite tenté d’outrepasser vos promesses. D’autant plus que posséder ces dossiers n’avait rien d’illégal pour Perrin. Et puis, inculper un journaliste sur la base d’une déclaration faite par une personne également inculpée dans l’affaire – en l’occurrence le lanceur d’alerte anonyme – est tout simplement excessif.

C’est justement la deuxième question qu’on est en droit de se poser et qui touche aussi le fond du problème de cette affaire « Luxleaks » : la proportionnalité. Elle touche toutes les dimensions du scandale. Certes, les fameuses décisions anticipées – les rulings donc – sont légales, du moins depuis que le nouveau gouvernement s’est chargé de les légaliser officiellement et de ce fait aussi de façon rétroactive. Mais cela n’enlève rien à leur illégitimité du point de vue de la justice fiscale. S’y ajoute le fait que, bien sûr, d’autres pays européens ont des pratiques similaires. Mais on peut en douter que, en Belgique ou aux Pays-Bas, les consultants aient eu affaire à un bureau d’imposition numéro 6 occupé par une seule personne, qui sait signer les rulings avec une dextérité et une vitesse tellement miraculeuses. Nous en avons fait trop et trop longtemps par rapport à la taille de notre pays.

L’autre facteur hors de toute proportion concerne les inculpations. Alors que la justice a été rapide à citer Deltour, son compagnon de misère et Édouard Perrin à la barre, elle n’a même pas pensé à lancer une investigation sur la légalité des rulings révélés par ces personnes. Alors que c’est à cause d’eux que l’image du Luxembourg a souffert, et non pas à cause des révélateurs. En somme, la même chose vaut pour les inculpations et pour les rulings : légaux oui, légitimes pas pour un sou.


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