Répondre à la question sur le droit de vote des résidents étrangers est moins évident qu’il n’y paraît. À la timidité et à l’aveuglement des défenseurs du oui, ne faudrait-il pas opposer un non revendicatif et protestataire ?
Le oui au droit de vote pour résidents étrangers donne lieu à un large consensus au sein du mainstream politique et médiatique… et bien au-delà. « Le monde culturel plaide en faveur du oui », pouvait-on lire il y a quelques jours sur Paperjam.lu. Est-ce à dire que la partie non négligeable de l’électorat qui s’apprête à voter non ne serait qu’un ramassis d’incultes ?
Les choses sont plus compliquées – tant pis pour les présentations manichéistes. À tel point que même ceux qui sont favorables à un élargissement de la participation politique peuvent trouver de bonnes raisons de voter non. Pour ce type d’analyse, il convient bien entendu de laisser de côté les motivations simplettes telles que « je suis de gauche mais je n’aime pas les étrangers » ou « je suis contre parce que l’archevêque est pour » – encore que ce dernier argument pourrait en faire hésiter quelques-uns. Il convient aussi de s’interroger sur la raison d’être de cette question référendaire sur l’accès de certains résidents étrangers au droit de vote.
Les règles d’accès au droit de vote ne sont jamais justes ou injustes dans l’absolu.
La participation politique d’une partie plus importante de la population résidant durablement au Luxembourg est un objectif sur lequel l’ensemble de la mouvance progressiste devrait s’entendre. Mais qui dit participation pense à une pratique, et non pas simplement à un droit tel que celui sur lequel porte la deuxième question du référendum. Or, les défenseurs du oui évoquent l’égalité des citoyens et argumentent de manière quasiment eschatologique : ils suggèrent que l’extension du droit de vote aux pauvres, puis aux femmes, et désormais aux étrangers relèverait d’une force historique nous rapprochant toujours plus d’un idéal prédéfini. Cette vision unidimensionnelle occulte cependant que les règles et les pratiques de la démocratie sont complexes et ne constituent jamais que des compromis sociétaux temporaires.
La question sur l’abaissement de l’âge du vote est là pour nous rappeler que ces dispositions ont toujours un côté arbitraire. Pourquoi mettre la limite à 16 ans, et pas à 17 ou 15 ? En accordant le droit de vote dès la naissance – pour ceux qui en font la demande -, passerions-nous au stade suprême de la démocratie ? Les règles d’accès au droit de vote ne sont jamais justes ou injustes dans l’absolu – ce qui n’empêche pas que certaines servent plus la démocratie que d’autres.
Justement, l’ouverture aux résidents étrangers proposée actuellement – la fameuse double condition – n’est pas très satisfaisante. Elle trace une limite entre électeurs potentiels et non-électeurs qui est très en deçà de ce qui ferait significativement avancer la démocratie. Ce serait là une première raison valable de voter contre. Après tout, rejeter un compromis médiocre fait partie du jeu démocratique. C’est d’ailleurs ce qu’a fait une partie de la gauche lors du référendum de 2005 sur une constitution européenne.
Quid des 160.000 frontaliers, qui travaillent et passent une partie de leur vie au Luxembourg ?
Autre réflexion qui fait douter du oui : l’extension du droit de vote à des personnes qui n’ont pas la nationalité luxembourgeoise ne garantit en rien que celles-ci participeront réellement aux suffrages. D’où l’intérêt de la proposition, déjà ancienne – et récupérée par le CSV -, d’élargir la participation politique en ouvrant grandes les portes de la naturalisation. On peut raisonnablement penser que les personnes qui feront la démarche de se déclarer luxembourgeoises participeront ensuite réellement aux élections parce qu’elles considèrent cela comme un devoir citoyen. On peut cependant douter que le CSV soit sincèrement attaché à l’élargissement massif de la participation par le biais de la naturalisation. Le fait qu’il ait pendant des décennies freiné tout assouplissement de l’accès à la nationalité fait plutôt conclure à une lamentable manœuvre politicienne.
Enfin, troisième raison de voter non, le Grand Bond en avant de l’inclusion politique sur lequel nous voterons prévoit d’exclure durablement les 160.000 frontaliers, qui travaillent et passent une partie de leur vie au Luxembourg. Certains sont dans cette situation depuis bien plus longtemps que nombre d’immigrés. Les uns comme les autres sont tributaires des politiques sociales et économiques et devront un jour vivre sur base d’une retraite luxembourgeoise. Certains immigreraient d’ailleurs volontiers – l’obstacle majeur étant la désastreuse politique du logement, décidée par des politiciens élus… par les familles luxembourgeoises « de souche », propriétaires de maisons et de terrains.
Faudrait-il accorder directement le droit de vote aux frontaliers ? Ou doter la Chambre des salariés de réels pouvoirs en matière de politique économique et sociale ? Ou encore prévoir un accès facilité à la nationalité pour les frontaliers aussi ? Difficile de répondre, mais en se battant pour l’intégration politique des étrangers tout en oubliant celle des frontaliers, le camp progressiste fait preuve d’un aveuglement déplorable.
Que faut-il en conclure ? Convient-il de voter contre une proposition qui ne convainc guère ? Personnellement, ce qui me fait hésiter, c’est que l’objet du vote semble de moins en moins être la question sur les conditions d’accès au droit de vote. De plus en plus, la question à laquelle les uns comme les autres semblent répondre est devenue : pour ou contre les étrangers ? Ou, plus précisément, on vote non parce qu’on croit que, contrairement à ce que nous raconte le Luxembourg « beau et prospère », les étrangers sont la cause de « nos » difficultés. Cette interprétation de la question semble être devenue la véritable question, ce qui me fera sans doute pencher pour le oui – mais un oui dépité.