L’exposition Roundabout est la première à avoir lieu dans les rotondes du cerf bleu. Le concept ludique est attrayant à première vue, mais peut aussi agacer le spectateur.
Désorientation. C’est la première sensation du spectateur en pénétrant la rotonde 2. Le sol est plein de petites choses, parsemées ci et là et le plafond est peuplé d’êtres fantastiques qui ont l’air de pouvoir s’écraser d’une minute à l’autre. Comme la voiture accidentée au milieu du hall, dont la partie arrière est suspendue en l’air avec des ballons.
Cette première impression ne va pas disparaître au cours de la visite, tout au contraire: il est toujours intéressant de voir des visiteurs se tourner dans tous les sens pour chercher la sortie, alors qu’elle est juste derrière eux.
Mais cet effet, même s’il sied bien au cadre ludique de l’exposition, est plutôt dû à la particularité des rotondes d’être rondes qu’à l’exposition elle-même. Celle-ci reste après tout une occasion de montrer les talents luxembourgeois pour une première fois regroupés dans une grande et officielle exposition. Mais les „Young Luxembourgish Artists“ restent derrière leurs pairs anglais, les fameux „YBA“ („Young British Artists“) qui avaient fait un tabac dans les années 90 en s’associant à la galerie du magnat de la pub et de la com, Charles Saatchi. Peut-être n’était-ce pas le but de cette exposition non plus, même si dans un cadre aussi glamour que celui de l’année culturelle, des arrières-pensées d’ordre économico-stratégique ne sont pas improbables.
En tout cas, le concept ludique qui sous-tend toutes les pièces de l’exposition ne semble pas avoir inspiré les artistes à transcender les limites de l’art contemporain ou à choquer le public avec des contenus osés. Et c’est dommage, car ç’aurait été une belle occasion. A part l’hilarant „Portrait avec artiste“ de Pasha Rafiy – qui le montre avec un certain Jean-Claude Juncker, peinard et clope au bec dans un fauteuil – les pièces montrées restent dans le cadre du culturellement correct. Cela ne veut pas dire que les oeuvres soient forcément mauvaises, mais elles donnent une impression de déjà-vu.
Comme l’énorme figure suspendue de Mike Bourscheid: les visiteurs réguliers de la ville de Paris la connaissent très bien, car elle figure sur moultes façades dans tous les arrondissements de la ville. Ou les structures en bois de François Genot, qui rappellent un immense jeu de mikado. En tout, les artistes selectionné-e-s semblent avoir attaqué le thème du jeu de manière frontale. La table de ping-pong tournante et ronde de Marco Godinho ou les centaines de criquets disposés à terre par Claudia Passeri en témoignent. Ou cette poupée quasi à taille humaine: elle a tout d’une de ces poupées gonflables qu’on peut acheter dans les sex-shops, bouche grande ouverte, yeux inhumains et une imitation de l’anatomie féminine des plus primitives. Pourtant la poupée est en étoffe et non pas en plastique, ce qui la rend inutilisable à ses fins premières mais ouvre peut-être des possibilités à d’autres utilisations plus innocentes – on ne le sait pas. L’interdisciplinarité et l’interactivité de l’art contemporain semblent toujours tenir le haut du pavé: presque chaque oeuvre demande une certaine attention ou une attitude du spectateur, si celui veut vraiment comprendre. Loin d’être nouveau ces aspects donnent une certaine accessibilité à l’exposition, et rendent la visite plutôt sympathique. Le cadre ludique rassemble assez bien la majorité des artistes. Même si d’autres ont carrément refusé de jouer le jeu et proposé des oeuvres dont on voit mal le rapport direct avec le thème central. Comme ces photos de soldats de Jessica Theis. Bon d’accord, la guerre n’est pas un jeu d’enfants et alors? Seule la décapante installation de Roland Quetsch semble avoir exploré le thème du jeu sous plus d’un aspect: on peut y regarder un film, tout en se promenant dans les coulisses de celui-ci. Même si l’aspect extérieur reste enfantin, les associations produites par les divers graffiti et autres pièces de la volumineuse oeuvre d’art montrent une approche bien plus complexe.
En tout et pour tout, Roundabout montre et démontre la thèse de son curateur Christian Mosar: „Il n’y a pas de style luxembourgeois“. C’est vrai car tous les artistes ont fait leur apprentissage à l’étranger et se sont impregnés de ce qu’ils ont vu et vécu hors des frontières grand-ducales. Ce n’est pas négatif, loin de là même, cela procure une hétérogenéité à l’exposition qui aurait été impossible ailleurs, là où on se soucie de créer des „écoles“ ou des styles d’art, qui collent à un certain lieu et à une certaine époque. Mais cela montre aussi que le Luxembourg n’a toujours pas une identité artistique fixe et surtout qu’il ne peut pas l’acheter. Même pas avec les 45 millions d’euros dépensés pour cette année culturelle.
Pour ceux et celles qui veulent s’informer sur l’art contemporain au Luxembourg et en Grande-Région – surtout en ce qui concerne la relève, car aucun des artistes exposés n’a bénéficié d’une grande couverture jusqu’ici – ils peuvent se faire une idée grâce à la panoplie bien présentée et assemblée. Mais qu’ils se pointent avec une bourse bien pleine, car le prix d’entrée est salé. Au moins sur ce point le Luxembourg harmonise avec l’étranger.
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Roundabout,
dans la Rotonde 2,
jusqu’au 21 juillet.