La chute du superpatron de Renault et Nissan Carlos Ghosn a de quoi étonner : est-ce un signe que le capitalisme global entre dans une nouvelle ère de crise ?
Non, on ne va pas appeler Amnesty International à la rescousse pour dénoncer les conditions d’emprisonnement de Carlos Ghosn, arrêté dès son atterrissage au Japon il y a quelques jours et mis au régime riz et eau. Car si les accusations du parquet nippon sont correctes et s’il s’est donc bien rendu coupable de fraude fiscale massive et d’abus de biens sociaux, la réaction des autorités a été plus que correcte. Alors que la fraude fiscale continue à coûter des centaines de milliards d’euros chaque année en Europe seulement, force est de constater que le zèle de nos procureur-e-s à stopper cette saignée massive est, si l’on veut, loin d’être optimal. À noter également que pour l’instant, l’Élysée refuse de croire à une histoire de coup monté contre son champion – seul patron du monde à être à la tête de deux entreprises automobiles multinationales. D’autant plus que la justice japonaise semble aussi souhaiter étendre son investigation au groupe Nissan.
Un groupe que Carlos Ghosn avait jadis sauvé de la faillite, en 1999, quand l’entreprise sombrait et était devenue le symbole même de la défaillance de l’économie nipponne. Extrêmement ambitieux, Ghosn a négocié l’entrée de Renault (et donc de l’État français) dans le capital de Nissan pour lancer une reprise de main sur les dettes cumulées de plus de 20 milliards de dollars. Au prix de nombreuses réformes à tous les niveaux, en réformant notamment les codes et coutumes rigides du contrat social en vigueur dans les entreprises japonaises, Ghosn réussit son pari et redresse Nissan en quelques années – faisant de l’alliance Renault-Nissan (il est PDG chez le premier et président du conseil d’administration chez le deuxième) le premier constructeur mondial. Mais ce succès comme ses exploits précédents, par exemple chez Michelin, ont un coût humain important. Ce n’est pas pour rien qu’il est affublé du sobriquet de « cost killer » – tueur de coûts.
Des usines ont été fermées en Europe comme en Asie, sans trop de ménagements pour les employé-e-s et les syndicats. Son succès purement économique lui a certes valu les louanges de son milieu et des sphères politiques qu’il fréquente évidemment, mais gageons que celles et ceux qui travaillent pour « ses » entreprises ne le portent pas tous dans leur cœur. Chantre de la mondialisation, Ghosn s’est souvent exprimé sur des dossiers politiques, que ce soit au Liban (il est d’origine brésilienne et libanaise) ou sur d’autres sujets. Sa solution a toujours été la même : accepter que l’avenir – voire aussi le présent – appartient aux multinationales et dépasser les cadres nationaux dans la recherche d’améliorations économiques et sociales.
En fraudant le fisc, Ghosn n’a pas seulement mis un frein à sa carrière, mais à toute la philosophie entrepreneuriale pour laquelle il était tant admiré dans le monde patronal.
Reste la question de savoir à quel degré Ghosn a appliqué sa philosophie à lui-même. Après une baisse de son salaire à la tête de Renault voulue par le gouvernement Macron en avril de cette année, on aurait cru qu’en tant que patron parmi les mieux payés de la planète, il allait accepter un point d’arrêt à sa gloutonnerie. Mais il apparaît que ce n’est pas le cas et que Ghosn fraudait le fisc japonais depuis des années déjà.
Ce faisant, il n’a pas seulement mis un frein à sa carrière, mais à toute la philosophie entrepreneuriale pour laquelle il était tant admiré dans le monde patronal. Une chute d’Icare ? Peut-être, mais surtout la preuve que la cupidité règne même chez les obsédé-e-s d’efficacité.