Aide aux devoirs à domicile : « Les enfants doivent être au centre de nos réflexions »

À partir du 15 septembre, un nouveau concept d’aide aux devoirs à domicile sera introduit dans les maisons relais. Ce concept est-il prometteur ? Le woxx en a discuté avec deux expert-es de l’Université du Luxembourg.

Selon Débora Poncelet et Guy Medinger, les consignes des devoirs à domicile doivent être compréhensibles et réalisables par les élèves en toute autonomie. (CC0 Public Domain/pxhere.com)

woxx : Quel est le rôle pédagogique des devoirs à domicile ? Et comment ce rôle évolue-t-il pendant la carrière scolaire d’un apprenant ?


Débora Poncelet : Selon une méta-analyse de 2017, quel que soit le niveau scolaire de l’apprenant, l’effet des devoirs à domicile sur les performances scolaires est significatif, mais faible pour un peu plus de 60 % des études considérées dans l’analyse. Cet effet n’évolue pas au cours de la carrière scolaire, il reste stable.

Guy Medinger : Les résultats dépendent cependant des études. Certaines ont trouvé que plus l’enfant est jeune, moins les devoirs à domicile vont lui servir. Plus les enfants avancent, par exemple au lycée, plus on constate que les devoirs leur sont utiles. À nos yeux, les devoirs à domicile sont un sujet intéressant pour le lycée.

DP : Ce qu’il faut prendre en considération, c’est le type de devoir. Dans les recherches dont on vient de parler, il est difficile de savoir de quel type de devoir il s’agit. On pourrait par exemple avoir des devoirs qui sont des répétitions de ce qu’on a vu en classe, mais il en existe aussi d’autres types. Par exemple des recherches à domicile sur une prochaine activité qu’on va travailler ensemble en classe. Dans ce cadre, on pourrait faire des interviews de voisins ou de ses parents sur une thématique donnée, notamment : « Comment vivais-tu l’école quand tu étais jeune ? » Dans la méta-analyse mentionnée plus haut, on constate que si un peu plus de six études sur dix mettent en évidence des associations positives entre les devoirs et les performances scolaires, d’autres recherches montrent des effets différents selon le cours considéré, et d’autres encore n’observent aucun effet significatif.

GM : En effet, la façon de donner des devoirs et le type de devoirs sont très importants. Il est évident qu’il faut corriger le devoir à domicile et donner systématiquement un feedback ou un feedforward aux enfants.

Quels pourraient être d’autres critères importants à considérer pour augmenter les bénéfices des devoirs à domicile ?


Débora Poncelet est professeure associée en sciences de l’éducation et psychologie au département « éducation et travail social » à l’Université du Luxembourg. Dans ses recherches, elle se concentre surtout sur la relation entre l’école et la famille et sur l’implication des parents dans l’éducation de leurs enfants.
 (Copyright : privé)

DP : Lorsqu’un enseignant planifie un devoir à domicile, il doit réfléchir à l’objectif de ce devoir. Il faut que celui-ci soit significatif aux yeux des apprenants et soit cohérent par rapport aux activités d’apprentissage qui ont été réalisées en classe. Ensuite, il est important de ne pas donner des devoirs qu’on n’aurait pas envie de faire soi-même. De plus, la consigne doit être compréhensible pour l’enfant. Un des grands critères des devoirs à domicile est que l’enfant puisse les réaliser en toute autonomie. Le parent peut être un garant, mais il ne s’agit pas de faire l’école à la maison. L’enseignant doit également veiller à ce que la durée de la tâche à domicile ne soit pas trop importante. Pour l’enfant qui a déjà eu une journée scolaire, réaliser un travail qui va prendre beaucoup de temps, ça peut être compliqué. Surtout pour les enfants qui ont peut-être plus de difficultés. Ça peut amener à un niveau de saturation et ça pourrait alors accroître encore les différences entre les élèves, ce qu’on ne souhaite évidemment pas.

GM : Des études ont montré qu’un enfant moins rapide prend six fois plus de temps pour réaliser un devoir à domicile qu’un enfant plus rapide. Ceci signifie qu’il faut donner des devoirs à domicile différenciés. Chaque année, le ministère de l’Éducation publie une lettre circulaire de printemps adressée aux communes. Dans celle pour l’année scolaire 2020-2021 se trouvaient à nouveau des directives concernant les devoirs à domicile. On y trouvait par exemple des informations sur la durée des devoirs et sur l’importance de pouvoir travailler en autonomie. Selon cette circulaire, il ne faut pas donner des devoirs à domicile pendant le weekend, pendant les vacances ou les jours fériés. Il existe donc des directives concrètes, et on devra voir maintenant si ces directives vont se concrétiser davantage ou non avec les nouveaux projets du MEN. Actuellement, les directives ne parlent que de devoir d’approfondissement, « nachbereitende Hausaufgaben ». Mais les « vorbereitende Hausaufgaben » ont aussi une grande importance.

Donner des devoirs à domicile différenciés, est-ce réalisable ?


DP : C’est l’objectif de l’école de différencier, de tenir compte des besoins des enfants. Donc si on différencie en classe, alors on différencie aussi dans les devoirs à domicile. Les devoirs à domicile sont un prolongement des apprentissages en classe. Dès lors qu’on donne des devoirs à domicile, il est important d’envisager cette intégration différenciée. Sinon l’école ne joue plus son rôle.

Guy Medinger a travaillé comme instituteur avant de devenir inspecteur de l’enseignement primaire et pédagogue. À l’Université du Luxembourg, il est coordinateur du bureau de temps de terrain (BTT) au sein du bachelor en sciences de l’éducation. (Copyright : Bureau de temps de terrain)

GM : C’est vrai, c’est une tâche compliquée. Les études que j’ai lues montrent que beaucoup d’enfants ont des difficultés à gérer les devoirs à domicile en autonomie. Même si c’est un objectif très louable du ministère de l’Éducation, la réalité est souvent autre. Une des solutions pour ce problème est en effet la différenciation. Il est important de bien expliquer cela aux parents, qui devront aussi accepter cette différenciation. Celle-ci peut par exemple se faire par rapport à la quantité : quantité de calculs à réaliser, quantité de phrases à inventer, etc. Ce qui est plus difficile, mais aussi très important, est de différencier par rapport à la qualité. C’est pourquoi, dès qu’on prépare le cours, il faut également préparer des devoirs à domicile différenciés. Ainsi, il y a une grande chance que les devoirs soient vraiment adaptés aux différents profils d’apprenants.

« Certaines études ont trouvé que plus l’enfant est jeune, moins les devoirs à domicile vont lui servir. »

DP : Ce qu’on demande aux enseignants est quelque chose de complexe. La différenciation, c’est la gestion de l’hétérogénéité de la classe. Dans les classes luxembourgeoises, cette hétérogénéité est vraiment importante et elle est renforcée par le contexte langagier. Mais cette différenciation fait partie du métier. Il faut imaginer en fonction des besoins et difficultés des élèves : quel type d’aide supplémentaire pourrais-je proposer à l’enfant ? Ça peut être un référentiel supplémentaire, des outils supplémentaires, une consigne plus détaillée, des images qui peuvent compléter les supports. C’est pour cela que c’est un métier complexe : ça demande beaucoup de créativité aux enseignants. Il n’y a pas de « trucs » tout faits, pas de recettes de cuisine à appliquer pour l’enseignement. Ça ne peut pas exister, parce que chaque classe est différente, chaque enfant est différent.

Quelles conditions doit remplir l’aide aux devoirs (Hausaufgabenhëllef) pour être bénéfique ?


GM : Il est intéressant que le ministère de l’Éducation parle d’aide aux devoirs à domicile réalisée dans une maison relais. Évidemment, il y aura des attentes de la part des parents. Mais, en fait, la tâche des éducateurs et éducatrices responsables des maisons relais n’est pas d’aider les enfants à réaliser les devoirs. Si l’enfant ne comprend pas ce qu’il y a à faire, on peut lui donner un petit coup de pouce. Cela ne signifie pas que ce sera un cours d’appui. Si l’enfant n’a pas compris la matière, ce n’est la tâche ni des parents ni de la maison relais d’expliquer ce contenu à l’enfant. Ceci reste toujours la tâche prioritaire des enseignants.

DP : Le problème est que ce n’est pas une « aide », et puis que ce n’est pas le rôle de la maison relais. Pour moi, il y a une mauvaise appellation, et là on revient au risque de mauvaise compréhension.

GM : « Surveillance » serait peut-être un meilleur terme. D’une manière générale, je pense que c’est une idée très intéressante du ministère de l’Éducation de soutenir les enfants qui ont des parents qui ne peuvent pas les aider. Est-ce qu’on va atteindre cet objectif ? On verra. Je pense que cela dépend de l’exécution. Si le personnel des maisons relais est bien formé et essaie de travailler en complémentarité avec le personnel enseignant, le projet pourrait aboutir.

DP : Ça ne peut que fonctionner si on revient sur l’idée de différenciation. Ça, c’est vraiment le nœud du débat. Les devoirs à domicile, c’est d’abord du ressort de l’école. C’est elle qui en a la responsabilité.

GM : Si on remarque qu’on n’atteint pas les objectifs qu’on s’est donnés, il faut trouver une autre solution. Le plus important est que l’enfant puisse progresser, que l’enfant se sente bien. Les enfants doivent donc toujours être au centre de nos réflexions.

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L’aide aux devoirs à domicile ne risque-t-elle pas d’être contradictoire à l’objectif de renforcer la relation entre l’école et les familles ?


DP : Cette aide aux devoirs ne veut pas dire que les parents sont complètement gommés. C’est plutôt un renforcement de la communauté « maison relais, école et famille ». On fait en sorte que le formel et le non-formel soient encore plus complémentaires. L’aide aux devoirs n’empêche pas les parents de parler à leurs enfants de leur journée à l’école. Dans les recherches sur l’éducation familiale, discuter des affaires scolaires et avoir des aspirations élevées sont des éléments qui expliquent les meilleures performances de l’enfant. Donc, pas le fait d’aider, mais simplement d’avoir des discussions et de montrer à l’enfant que l’école est un élément important.

GM : Il est déterminant de ne pas donner aux parents l’impression qu’à partir de maintenant la maison relais va gérer seule les devoirs à domicile. Ce serait un mauvais message à passer.


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