Associations sans but lucratif et fondations : Réforme surprise

À l’étonnement du monde associatif, le gouvernement vient d’approuver un impressionnant paquet d’amendements concernant la vie associative.

Les contraintes de transparence en matière de comptabilité varieront selon la taille des asbl. Pour qu’une petite asbl devienne moyenne, elle doit dépasser deux des trois critères indiqués ; la même chose vaut pour le passage de moyenne à grande. (Photo : Meng Landwirtschaft)

Alors que l’accord de coalition de 2018 prévoyait bien que « la législation du droit des associations sans but lucratif et fondations [soit] revue dans le sens d’une simplification du régime applicable (…) en tenant compte des nécessités d’une simplification pour les nombreuses associations existantes et d’une transparence permettant de garantir le bon fonctionnement de celles-ci », la surprise dans les milieux concernés a été grande lorsque la ministre de la Justice Sam Tanson (Déi Gréng) a annoncé avoir déposé des amendements à ce titre auprès de la Chambre des député-e-s en fin de semaine dernière, invitant les responsables du monde associatif luxembourgeois à un webinaire mardi dernier.

Surprise double, puisque rien ne laissait supposer ces derniers mois que cette réforme était sur les rails, mais aussi que la réforme d’une loi vieille de presque cent ans se ferait sans avoir consulté, au préalable, les intéressé-e-s, c’est-à-dire les responsables des milliers d’associations qui tombent sous le champ d’application de la loi du 21 avril 1928.

Qu’il n’y ait pas eu de telles consultations pourrait s’expliquer d’un côté par le nombre d’asbl et de fondations concernées – 8.281 pour les premières et 219 pour les autres – qui est tellement impressionnant qu’on n’aurait pas su par où commencer. De l’autre côté, l’exercice que viennent d’entamer les fonctionnaires du ministère de la Justice ne consiste pas en la rédaction d’une nouvelle loi, mais en la proposition d’amendements par rapport à un projet de loi déposé en… 2009.

Or, ce projet de loi proposé par le ministre de la Justice de l’époque, Luc Frieden (CSV), avait suscité pas mal de remous parmi les asbl et fondations, parce qu’il n’apportait guère d’assouplissements par rapport à l’ancienne législation, mais plutôt des obligations et restrictions mal vécues par les intéressé-e-s. Les asbl les plus actives s’étaient même empressées de rédiger un avis collectif très critique, parce qu’on craignait une application rapide du texte de Luc Frieden, qui voulait surtout innover en matière de fondations dans la perspective de créer de nouvelles opportunités pour la place financière.

Mais à cause de la crise financière, le premier ministre d’alors, Jean-Claude Juncker (CSV), avait obligé Luc Frieden à se concentrer sur ses activités de ministre des Finances et lui avait retiré ses autres portefeuilles. C’est donc François Biltgen (CSV) qui avait hérité du dossier et reconnu rapidement le potentiel de conflit qu’il pouvait comporter, annonçant en 2010 vouloir scinder la réforme des asbl de celle des fondations. Mais la présence de François Biltgen au gouvernement, bientôt nommé juge à la Cour de justice de l’Union européenne, avait été trop éphémère pour vraiment débuter ces deux chantiers.

Le projet de loi 6054 n’était plus prioritaire, pour ne pas dire mis au placard, ce qui est démontré par le fait que le Conseil d’État ne s’en s’est jamais saisi. La nouvelle coalition de 2013 prévoyait elle aussi une réforme, mais sans se référer au texte existant. La première coalition bleu-rouge-vert allait cependant entamer un large programme de réformes sociétales où la réforme du texte de 1928 n’avait pas un haut degré de priorité.

Les amendements qui viennent d’être déposés par Sam Tanson à la Chambre des député-e-s tiennent effectivement compte – dans une très large mesure – des avis émis à l’époque par des membres de la société civile, mais aussi par les chambres professionnelles. On pourrait donc comprendre que le monde associatif ait de cette façon été consulté au préalable.

Consultation ex post

Mais en prenant la température auprès de certains responsables de celui-ci – que ce soit avant ou après la visioconférence de mardi où « pour des raisons techniques, un seul représentant par asbl ou fondation » pouvait s’inscrire −, une certaine frustration se fait ressentir.

Malgré l’annonce tardive – les premières invitations ont été envoyées le vendredi matin, mais sans atteindre directement certaines organisations emblématiques, informées via le bouche-à-oreille seulement le lundi –, presque 170 personnes ont assisté à la présentation faite par la ministre, assistée par Daniel Ruppert, chef de la direction « droit commercial » du ministère, et par la conseillère Hélène Massard.

Comme les documents n’ont été disponibles que quelques heures à l’avance, il n’était pas évident pour les participant-e-s à cette présentation de suivre les explications qu’on leur a données. En plus, la conseillère a présenté une analyse plus détaillée des amendements en langue luxembourgeoise. Un bon compromis, pensait-elle, les textes affichés étant en français. Sauf que l’audience plutôt multiculturelle a eu bien des problèmes à suivre. La présentation d’une bonne demi-heure a été suivie par une longue séance de questions-réponses où il a fallu alors réexpliquer des éléments déjà présentés.

La presse, qui a eu droit à une présentation le matin même, n’a pas été beaucoup mieux servie : la documentation, lourde de 150 pages, n’a été mise à disposition qu’au début de la conférence de presse, organisée après que la ministre eut présenté les amendements à la commission de la Justice de la Chambre des député-e-s.

Ceux et celles parmi les collègues journalistes qui voulaient s’enquérir au préalable du contenu et de l’envergure des changements proposés par la ministre se sont vu opposer un net refus. La primeur de la publication revenant à la Chambre de député-e-s, il fallait attendre l’intégration des documents dans ce qu’on appelle communément les « documents parlementaires » − ce qui à la clôture de rédaction de cet article n’était toujours pas le cas. Il fallait donc trouver l’un-e ou l’autre député-e prêt-e à relayer sa copie des documents obtenus via le service de diffusion interne du parlement – mais même cette option n’a pas été possible avant tard le lundi soir.

Cependant, la communication vers la presse et le public n’a pas seulement souffert du retard de mise à disposition des documents. La lecture de ceux-ci s’apparente à un véritable casse-tête, car on y explique en détail les changements que les amendements apportent au projet de loi déposé il y a plus de dix ans, mais on ne retrace pas les changements que ce projet avait déjà prévus par rapport à la loi de 1928. Et à certains endroits, la réforme de la réforme signifie aussi un retour à une version proche du texte toujours en vigueur… de quoi devenir « dronken », comme l’a exprimé une collègue.

Pas de refonte complète

Le choix de passer par des amendements d’un texte déjà déposé présente peut-être l’avantage de raccourcir la démarche législative, surtout que, à première vue, le gros de l’ancien projet de loi Frieden n’est pas touché. On a ajouté surtout de longs paragraphes sur la possibilité de faire changer des entités juridiques d’une forme de société vers une autre et introduit des dispositions qui donneront satisfaction au Gafi, le Groupe d’action financière, qui voyait dans la législation luxembourgeoise existante un danger potentiel en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme.

Mais la façon de procéder ne rend pas seulement difficile la lecture : elle confie aussi la suite du travail législatif à la seule Chambre des député-e-s. Les acteurs de la société civile, qui pour la plupart se sont constitués en asbl, se voient confrontés à bien d’autres défis comparé à la situation d’il y a dix ans. Beaucoup d’associations sont de plus en plus impliquées dans des processus sociaux et politiques, dans des procédures de consultation et prennent de plus en plus en charge des pans entiers d’activités d’intérêt général, se substituant même parfois ainsi à l’exécutif politique. Tout ceci implique des responsabilités, mais aussi des prises en compte et des procédures à propos desquelles ni la loi de 1928 ni le projet de 2009 ne donnent satisfaction – et il est à craindre que ce soit aussi le cas de la nouvelle réforme, une fois qu’elle aura été comprise et épluchée par les intéressé-e-s.

Une nouvelle loi aurait permis de s’adonner à un processus de rédaction d’un texte en aval de la procédure parlementaire. Une fois celui-ci déposé au parlement, toute proposition de changement doit se faire à travers des amendements, qui devront à leur tour être (ré-)avisés par les différentes instances.

Certes, il n’y a pas de temps à perdre, et avoir recours à une procédure accélérée peut être dans l’intérêt des associations elles-mêmes, mais il aurait été intéressant de prendre la température avant d’entamer le processus législatif.

Cela dit, un grand nombre des revendications émanant de la société civile ont été reprises dans les amendements. D’abord, l’obligation pour chaque asbl de déposer chaque année une liste des membres va être abolie. Cette disposition avait été critiquée bien avant 2009, et il faut de toute façon se demander si elle ne se heurte pas déjà à l’heure actuelle aux dispositions liées à la protection des données. Cette abrogation ne constituera pas seulement un allègement administratif pour les asbl : elle facilitera aussi la décision pour beaucoup de personnes de devenir membre d’une asbl, alors que par le passé elles auraient, pour des raisons professionnelles par exemple, hésité à afficher de cette façon leur appartenance à un mouvement.

Petite, moyenne et grande

Dans l’avis émis par un certain nombre d’associations en 2009, il était aussi proposé de créer trois catégories d’asbl : petite, moyenne et grande, afin de permettre des degrés de reporting et de transparence variables en fonction de la taille. En effet, le projet de loi de 2009 avait mis la barre très haut et prévoyait des standards comptables qui auraient imposé aux nombreuses petites asbl d’avoir recours à des professionnel-le-s pour tenir leurs comptes.

Les amendements de Sam Tanson reprennent presque littéralement les propositions de la société civile en introduisant des critères liés au nombre d’employé-e-s que peut avoir une association, le montant des revenus annuels et le volume de ses fonds propres (voir tableau ci-contre). Seules les fondations, les grandes asbl et celles qui se voient attribuer le statut d’utilité publique devront faire réviser leurs comptes par des professionnel-le-s (statut du réviseur d’entreprise) et tenir une double comptabilité. Cette dernière condition est aussi à remplir par les moyennes asbl, mais elles pourront faire contrôler leurs comptes sans recourir à un service professionnel payant.

Le nouveau texte, dans la mesure où il veut donner des réponses à certaines critiques du Gafi en matière de transparence financière, introduit aussi de nouvelles obligations, dont le poids administratif est difficile à évaluer à l’heure actuelle. Ainsi, pour éviter l’installation au Luxembourg d’asbl fantoches sans aucun rapport avec notre pays, le texte prévoit de n’accepter à l’avenir comme asbl que des associations dont « les activités (…) devront en outre être exercées de manière substantielle au grand-duché de Luxembourg ». Une disposition qui pourrait rendre la vie difficile à certaines des organisations non gouvernementales de développement, dont l’objectif principal est le soutien de partenaires dans des régions éloignées du territoire national.

Même si ce n’était pas dans l’intention des auteur-e-s du texte d’exclure ce type d’organisation, il y a encore du travail de toilettage à réaliser, comme le montre cet exemple, afin de lever toute ambiguïté. Le woxx reviendra, au fur et mesure des discussions, sur les questions de détail, mais aussi politiques que suscitera la procédure législative en cours.


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