Christophe Honoré
 : Excès de politesse du désespoir


Brillante reconstitution des années sida jusque dans les moindres détails, « Plaire, aimer et courir vite » cherche tellement la modération qu’il en devient maniéré… et un rien monotone.

Mise en abîme : première rencontre pour Arthur et Jacques dans une salle de cinéma.

L’année dernière, « 120 battements par minute » prenait le parti d’évoquer les années 1990 et l’épidémie de sida sous l’angle de l’énergie des militants d’Act Up et d’une histoire d’amour qui faisait la part belle à l’urgence d’aimer. Tout semble porter à croire que Christophe Honoré en a choisi, dans « Plaire, aimer et courir vite », le contre-pied. Est-ce pour cela que le film a été boudé par le jury cannois cette année, alors que le film de Robin Campillo avait reçu le Grand Prix en 2017 ? Peut-être, mais l’absence de récompense s’explique aussi par les qualités cinématographiques comparées des deux œuvres.

Jacques (Pierre Deladonchamps), écrivain parisien atteint du sida, rencontre pendant un voyage de travail Arthur (Vincent Lacoste), étudiant breton de 15 ans son cadet, et commence avec lui une histoire d’amour non exclusive dont l’issue ne peut être que tragique. À travers un ballet d’ex-amants de Jacques, qui apparaissent dans un scénario somme toute assez bien ficelé, Honoré évoque les divers états d’une relation amoureuse, de la passion initiale à son extinction. Et en passant, accumule les poncifs qu’on pourra trouver faciles : drague entre hommes dans une allée louche ou ravages progressifs de la maladie. Il faudrait plus que sa réalisation appliquée pour les dépasser, mais on lui saura pourtant gré de ne pas forcer le trait, l’homophobie n’étant par exemple pas au programme d’une grande scène violente, mais plutôt évoquée en filigrane par la peur de la réaction des parents d’Arthur.

La reconstitution des années 1990 est faite avec un luxe de détails notable. De plus, le cinéaste fait comprendre à chaque plan la tendresse qu’il a pour ses personnages et la forte impression qu’il garde des années de ses vingt ans. La caméra glisse sur les corps avec juste ce qu’il faut de virtuosité, pas trop, pour évoquer le désir ou le plaisir. Sans voyeurisme malvenu ou érotisation exacerbée.

Au fond, « Plaire, aimer et courir vite » cherche avant tout la modération et la subtilité. Le film veut présenter cette histoire d’amour entre deux hommes comme une histoire d’amour ordinaire, à une époque extraordinaire. Malheureusement, le procédé devient vite systématique, et les visages sympathiques des protagonistes finissent par agacer dans leur politesse du désespoir. On en vient à regretter l’exubérance de « 120 battements par minute ». D’autant que parfois Honoré se fait sentencieux, par exemple lorsque l’expérimenté Jacques fait la leçon au jeune Arthur pour lui apprendre à distinguer ses conquêtes selon des critères littéraires abscons. Ou lorsque la mise en abîme du réalisateur se fait un peu trop voyante : pendant leur première rencontre, Arthur dit à Jacques à propos du film projeté qu’il le trouve « un peu trop livre d’images ».

Et un livre d’images, c’est exactement le terme qui convient à « Plaire, aimer et courir vite ». Une belle histoire bien transcrite sur pellicule, quoique parfois trop appuyée, avec deux acteurs principaux qui semblent gênés de ne pas pouvoir éclater de colère ou casser la vaisselle de désespoir. Juste pour contredire la réplique qui suit l’évocation du livre d’images, justement : « La vie est toujours plus étonnante dans les films. » Pas dans celui-ci, et c’est un peu dommage.

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