Croissance qualitative : La peur et le mal

Le Luxembourg a besoin du boom économique tout comme il le redoute. La solution à ce dilemme n’est pas celle qu’on nous présente.

Un fantôme hante le Luxembourg : la croissance. La « mauvaise » croissance, bien entendu, celle qui dévore nos prés et forêts, encombre nos routes, fait flamber les prix de la construction et « menace notre identité ». Pas la « bonne », celle qui contribue à financer les dépenses sociales, à assurer un niveau de vie élevé, celle qui fait fructifier les investissements immobiliers et nous donne accès à une grande diversité gastronomique et culturelle. Mais apparemment, personne ne doute que le scénario de 1,1 millions d’habitants en 2060 ait des conséquences néfastes.

Wikimedia / Steveoc 86 / CC BY-SA 3.0

Y échappera-t-on ? C’est ce qu’essaie de nous faire croire François Bausch, quand il qualifie ce scénario de fantôme. Tout comme les organisations patronales et leur ministre préféré Étienne Schneider, qui nous promettent une « croissance qualitative », qui comporterait tous les avantages du boom économique du passé, sans ses inconvénients. Alors, certes, personne ne peut prédire l’avenir, et le pire n’est pas certain. Mais une poursuite de la croissance – économique et démographique – durant les décennies à venir n’est nullement improbable. Mieux vaut donc s’y préparer.

Ne faudrait-il pas plutôt empêcher un tel scénario par tous les moyens ? Notons d’abord qu’une telle croissance n’est en aucun cas la pire des perspectives. Certes, on peut concevoir un atterrissage en douceur du vaisseau Luxembourg – passer à une croissance lente tout en absorbant le choc et en assurant la cohésion sociale. Mais le véritable scénario catastrophe serait un arrêt brusque de la croissance, mal amorti, et qui par un effet boule de neige conduirait le pays dans une récession.

Et même si on rejette l’idée de croissance pour des raisons environnementales et climatiques, on ne peut pas l’exclure d’office pour un pôle régional comme le Luxembourg. En effet, des théoriciens comme Reinhard Loske défendent l’idée d’une « croissance sélective ». Un développement économique à l’échelle locale, avec une croissance dans certains secteurs, une décroissance dans d’autres, serait compatible avec les critères de durabilité. Mais seulement s’il était encadré, avec des politiques de réduction du temps de travail et une plus grande redistribution des richesses, y compris au-delà des frontières. Surtout, cette croissance locale se refléterait en chiffres absolus, tandis que le PIB par tête d’habitant-e devrait plutôt baisser. En d’autres mots : plus on veut de croissance « verte », plus il faut d’immigration.

Ainsi, le véritable fantôme n’est pas celui de la croissance et du million d’habitant-e-s, mais celui de la « croissance qualitative ». Vieux rêve déjà caressé il y a plus de dix ans par Jean-Claude Juncker : afin de réduire les effets de la croissance qui effraient la population, on miserait sur des activités économiques à haute valeur ajoutée, mais peu polluantes et surtout peu intensives en main d’œuvre.

Plus on veut de croissance verte, plus il faut d’immigration.

Hélas, ce n’est pas par hasard que le Luxembourg n’y est pas arrivé. Les économistes sérieux ne sont guère convaincus que les innovations technologiques entraîneront les gains de productivité conséquents nécessaires à une telle croissance. Sarah Guillou, économiste invitée la semaine dernière par la Fondation Idea, un laboratoire d’idées patronal, estimait certes qu’il y avait des raisons d’espérer une augmentation de la productivité. Mais en attendant, elle a reconnu que celle-ci stagne, et que les techno-pessimistes avaient aussi de nombreux arguments à faire valoir.

Les lobbyistes du patronat et leurs amis politiques ne s’embarrassent guère de ces détails. Tout comme ils ne se gênent pas pour associer l’idée de croissance qualitative à l’étude de Jeremy Rifkin. Or, celui-ci estime d’une part que les nouvelles technologies devront et pourront ramener la croissance au sens traditionnel vers zéro. D’autre part, le boom qu’il prédit pour les décennies à venir, lié à la mise en place d’infrastructures nouvelles, est tout sauf peu intense en main d’œuvre. Ce n’est sans doute pas ce que les commanditaires voulaient entendre, eux qui ne cherchent que des excuses pour continuer le « business as usual ».


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