La gauche radicale demande, bien sûr, de taxer les riches. Mais aussi de baisser la TVA. Et ses propositions laissent dans l’ombre certains aspects importants de la réforme fiscale.
N’y aura-t-il que des gagnants ? Alors que le gouvernement laisse dans le flou les contours de la réforme fiscale à venir, Déi Lénk vient de rendre publiques ses revendications en la matière. Le parti propose « quatre pistes pour un système fiscal plus équitable, qui vont à l’encontre du courant dominant actuel ». En effet, avec lui, il y aura des perdants : les entreprises, les rentiers, les riches. Et un gagnant, du moins est-ce l’objectif déclaré des mesures proposées : la justice sociale.
Première piste, celle de l’équilibre entre impôts directs et indirects, la part de ces derniers étant passée de 30 à 45 pour cent entre 1980 et les années 2000. En 2014, ce pourcentage a diminué à cause des pertes de recettes de la TVA sur le commerce électronique, ce qui a aussitôt été compensé par une augmentation de la TVA normale. Constatant que « les impôts indirects grèvent plus lourdement les ménages à faibles revenus », Déi Lénk demande donc l’annulation de cette hausse de TVA.
« Imposer les grandes entreprises », voilà la deuxième mesure prônée par la gauche radicale. Mais qui sont « les grandes entreprises » ? Elles ne sont pas clairement identifiées. L’argumentation se base en effet sur l’« impôt sur le revenu des collectivités » (IRC), passé d’un taux de 40 pour cent en 1986 à 21 pour cent en 2014, et qui serait trop fortement concentré sur le secteur financier.
L’idée de taxer les revenus du capital est par contre clairement énoncée. Déi Lénk cite la Chambre des salariés, qui a estimé qu’un ménage payait 5,7 fois plus d’impôts sur un revenu du travail que sur un revenu du capital. Le parti trouve aussi des mots très clairs pour dénoncer le rôle du Luxembourg comme paradis fiscal : notre modèle économique tirerait pleinement profit de la concurrence fiscale inscrite dans les traités européens en pratiquant le dumping fiscal au profit des entreprises et des résidents riches.
Enfin, comme il se doit pour un parti de gauche radical, les ménages à revenus élevés se retrouvent en ligne de mire. Constatant qu’il y a 405 ménages ayant un revenu annuel imposable supérieur à un million d’euros, Déi Lénk plaide pour une « Räichesteier » sous forme d’une augmentation des taux d’imposition des tranches de revenu très élevés : au taux actuel de 38 pour cent, on ajouterait des taux montant jusqu’à 48 pour cent. Comme les syndicats, le parti dénonce la « bosse de la classe moyenne », constatant que « l’imposition relative est particulièrement élevée entre 40.000 et 80.000 euros ». Or, taxer plus fortement les 405 super-riches, ou même le décile supérieur, c’est moralement justifié. Mais ça ne rapportera pas tant que ça, surtout si on baisse en parallèle le taux effectif dans le bas de l’échelle des revenus.
Le jeu des 405 familles
Mais ce sont moins les mesures proposées que les non-dits qui soulèvent des interrogations. Ainsi, avec les baisses de TVA et l’adaptation du barème, on peut avoir l’impression que Déi Lénk favorise une réforme réduisant la charge fiscale globale – alors que les besoins de financements publics tendent à augmenter (voir l’article sur les alternatives de gauche à la crise dans ce numéro). En plus, la question de la fiscalité du patrimoine n’est évoquée qu’à travers deux mesures cachées au fond du document de 25 pages, comme si le parti redoutait l’impopularité des impôts sur la fortune et foncier.
On en arrive au grand absent du discours de la gauche radicale, l’écologie. Alors que le parti avait consacré un chapitre entier de son programme électoral à la « planification socio-écologique », le voici apparemment revenu aux références autrement plus solides de la lutte entre patrons et prolétaires, entre riches et pauvres. Certes, en 2013, Déi Lénk ne prônait pas l’introduction d’écotaxes, sans doute parce que celles-ci peuvent être socialement injustes. Mais se taire, faire l’impasse sur les possibilités de combiner justice sociale et incitations fiscales vertes, laisse le terrain des politiques fiscales éco-sociales à Déi Gréng. Reste à voir ce que ces derniers obtiendront côté écotaxes lors des tractations intragouvernementales. Il est vrai que, même s’ils obtiennent trop peu, dans l’enceinte de la Chambre, il n’y aura personne en position de les critiquer.