Démographie : Un arbre peut en cacher un autre

La population résidente au Luxembourg augmente au galop, mais rien n’est fait pour modérer la tendance.

Photo : Chianti/Free Art License

Lorsque paraissait en 1978 le premier « rapport Calot » sur la démographie luxembourgeoise, le grand-duché était alarmé : le premier ministre de l’époque, Gaston Thorn, commentait le document commandité par son prédécesseur en parlant de « suicide collectif » de la population luxembourgeoise.

Après les années des « baby boomers » un fort déclin de la natalité eut lieu à partir de la deuxième moitié des années 1960. Le Luxembourg allait donc entamer un long mais inévitable déclin, avec trop peu de bébés pour remplacer les décédé-es de plus en plus nombreux-euses dans une population de plus en plus vieillissante.

Certes, il y avait la migration, qui devait « compenser » la natalité en défaillance, mais à l’époque ce solde migratoire ne semblait pas suffisant. D’autant plus que vers la fin des années 1970, fortement marquées par le déclin de l’industrie sidérurgique, on ignorait tout de l’essor économique qu’allait connaître le Luxembourg par la suite.

En 1975, le grand-duché comptait quelque 354.000 habitant-es. Ce chiffre devait, selon Gérard Calot, se situer en fin de période d’observation, c’est-à-dire en 2011, à 351.000 personnes.

Depuis, l’histoire est connue : la population luxembourgeoise a au contraire dépassé dès 2010 le seuil des 500.000 habitant-es, pour atteindre, comme cela a été confirmé cette semaine à travers les premiers enseignements du recensement de la population de 2021, plus de 634.000 actuellement.

La pyramide des âges grand-ducale avait au début du 20e siècle encore la forme qui lui donne son nom, avec les classes d’âge diminuant graduellement des plus jeunes vers les plus vieux. On aurait pu la décrire comme ressemblant à un sapin, alors qu’actuellement elle adopte plutôt la forme d’un poirier, le tronc d’arbre représentant les enfants et les adolescents peu nombreux en bas, puis une très forte surreprésentation des classes d’âges les plus actives économiquement, pour retrouver plus en haut de l’arbre des générations qui s’obstinent à rétrécir lentement.

Le reproche à faire à Calot n’est pas de s’être trompé dans ses calculs. Des études et estimations sorties bien plus tard, alors qu’une inversion de la tendance était déjà visible, continuaient à sous-estimer l’évolution de la population. Ainsi, en 1990, le Statec annonçait pour 2011 une population de 403.000 habitant-es. Cinq ans plus tard, il réajustait le tir à 461.000. C’est-à-dire toujours 50.000 en deçà des 511.000 habitant-es réellement observé-es en 2011.

La vision d’horreur de Jean-Claude Juncker est donc sur le point de devenir réalité avec dix ans d’avance.

Par contre, il faut remettre en question l’impact qu’ont eu ces projections sur le climat politique de notre pays : des générations de jeunes diplômé-es ont été dissuadé-es d’emprunter la voie de l’enseignement parce qu’on prédisait la réduction du nombre d’élèves et la fermeture d’écoles entières. La sous-estimation régulière de la population a aussi retardé les investissements dans des infrastructures adapté-es, comme les transports en commun, pour ne citer que cet exemple.

L’exercice de bien projeter l’évolution d’une population n’est pas simple, et le Luxembourg n’est pas le seul pays à commettre des erreurs, mais on a l’impression que nous « subissons » ces résultats sans volonté de les « prévoir » ou même de les « influencer ».

Lorsque Jean-Claude Juncker a lancé en juillet 2001 le débat sur la perspective d’une population de 700.000 habitant-es autour de 2030, il ne songeait pas qu’on allait se rapprocher de ce chiffre au pas de course. « Ce n’était pas mon but de faire peur, mais de rendre clair qu’en adoptant les nouvelles mesures en matière de pensions, nous entrions, en toute connaissance de cause, dans un processus de croissance obligatoire », expliquait-il lors d’une table ronde organisée par le woxx en janvier 2002 à la Kufa. Le système en discussion à l’époque aurait nécessité une croissance économique moyenne annuelle de 4 %, selon le premier ministre, alors que ses co-intervenant-es imaginaient bien d’autres pistes.

Deux décennies plus tard, la vision d’horreur de Jean-Claude Juncker est donc sur le point de devenir réalité, voire d’être dépassée avec dix ans d’avance.

On n’a donc pas du tout su profiter d’un laps de temps important pour sortir d’un modèle économique qu’on n’a plus besoin d’imaginer comme insoutenable, car on mesure ses conséquences chaque jour -de façon directe.

Les ajustements, tant entre les riches et les pauvres qu’entre les générations, n’ont entre-temps pas été mis en place, ni même amorcés. Le concept de décroissance reste un tabou, et même la croissance qui se dit « verte » n’ose pas s’attaquer au fondement d’une logique économique qui a comme but d’attirer toutes sortes d’activités vers le pays, alors qu’ailleurs – et pas nécessairement si loin – des régions entières auraient besoin de celles-ci.


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