Esch 2022 : Avancer à tout prix

Depuis novembre 2018, Nancy Braun est à la tête d’Esch 2022 et n’a pas fait que des heureux-euses. Le woxx s’est entretenu avec elle dans ses bureaux au 1535° à Differdange.

À l’œuvre en coulisses dans la culture depuis longtemps, Nancy Braun a enchaîné les engagements : de la capitale culturelle européenne 2007, le Casino, la radio 100,7 et les Rotondes, en passant par la coordination politique du DP, pour finir à la direction générale d’Esch 2022. (Photos : woxx)

woxx : Vos prédécesseurs, les directeurs Claude Frisoni et Robert Garcia, ont eu droit après leur année culturelle à une institution culturelle – qu’est-ce qui vous ferait envie ?


Nancy Braun : Mon souhait est que ce que nous mettons en marche reste. Tout ce que nous sommes en train de relier par le remixage, qui est notre thème principal, devrait dans l’idéal rester en place et se développer de façon autonome. Je ne pense pas que pour cela nous ayons forcément besoin d’une nouvelle institution culturelle. Si nous réussissons à passer et à faire durer la passion suscitée par l’année culturelle, celle de travailler ensemble entre différentes structures et associations, ça me réjouirait.

Il reste que vous planifiez de vous installer au hall des Soufflantes.


Ce sera bien sûr notre quartier général – c’est du moins ce que nous souhaitons –, et ce serait bien qu’après 2022, ce lieu reste. C’est une question de durabilité qui est inhérente au concept de l’année culturelle. Le problème est tout de même que notre temps est limité, et que nous ne pourrons certainement pas réaliser tout ce que nous désirons avant 2022. Mais si on réussit à donner un coup d’envoi pour que le lieu soit utilisé après l’année culturelle, ce serait une bonne chose.

Le hall des Soufflantes à Belval est éloigné du centre-ville. Comment envisagez-vous la connexion entre les deux quartiers, sachant que la population n’est vraiment pas la même ?


C’est notre grand défi – celui de faire vivre la mixité entre ces quartiers différents –, mais je pense que le centre d’Esch a ses hauts lieux avec le Théâtre de la ville, le Musée de la Résistance, la rue de l’Alzette ou encore la Kulturfabrik, et peut-être même l’Ariston si cela se fait. Notre but est de relier le quartier de Belval au centre-ville – et il y a des projets de le faire physiquement par un pont, une idée sur laquelle l’État cogite en ce moment. D’un autre côté, ce que je trouve drôle, c’est qu’il y a déjà une liaison ferroviaire. Belval n’est pas un ovni qui traîne dans l’espace lointain, mais c’est un quartier proche – à une station, comme en métro ou en RER.

« Le quartier Belval n’est pas un ovni lointain. »

L’annonce qu’Esch 2022 ne sponsorisera les projets soumis qu’à 50 pour cent a provoqué une levée de boucliers. En effet, comment une personne privée, dépourvue de connaissance du milieu, peut-elle faire pour financer la moitié de son projet autrement ?


Si une personne privée vient nous voir avec un projet, il serait souhaitable qu’elle ait fait des efforts pour trouver des partenaires en amont. Cela fait partie intégrante de la qualité de son projet. Si un partenaire est déjà intéressé, la pertinence du projet en ressort augmentée. Dans la décision de base de la Commission européenne, il nous est demandé de renforcer les liens entre, d’une part, les secteurs culturels et créatifs et, d’autre part, des secteurs tels que l’éducation, la recherche, l’environnement, le développement urbain ou le tourisme culturel. Les 50 pour cent doivent être une incitation à créer des réseaux et à trouver des partenaires. En plus, en 2007, le procédé a été le même et ça a bien fonctionné. Bien sûr si nous sommes approché-e-s par une personne qui ne sait pas comment faire avancer son projet, nous sommes là pour lui apporter un peu d’aide en lui fournissant des idées.

Au dernier conseil communal d’Esch, l’échevin à la culture Pim Knaff a cependant affirmé que la règle des 50 pour cent ne serait pas absolue et qu’il pouvait s’imaginer des exceptions pour des associations eschoises par exemple…


Je n’ai pas assisté au conseil communal, mais a priori la règle est la même pour chaque association et structure. Chacun-e devra passer par le même masque de saisie. Ce ne sont que les projets que nous organisons nous-mêmes que nous financerons à 100 pour cent. Mais sinon, chacun-e devra passer par le même système et sera traité-e de façon égale – c’est fair-play.

Le fait que les artistes dans le bidbook doivent repasser devant un jury mis à part, n’est-il pas curieux de lancer un appel à projets sans dévoiler en même temps qui sera membre du jury ?


Le jury ou comité de sélection est en train d’être mis en place. Nous ne l’avons pas encore dévoilé parce qu’il fallait qu’on avance à tout prix. La priorité était de mettre en place les critères d’acceptation des projets que nous utiliserons aussi pour choisir les membres du jury – ils et elles devront couvrir une large étendue, qui englobe culture générale, jeunesse, impact social ou encore innovation.

« Il est hors de question que des politiques siègent dans le comité de sélection. »

Qui choisit les membres ?


Le conseil d’administration de l’asbl. Nous faisons des propositions et c’est à lui de les approuver ou non. Il faut savoir que ce sera beaucoup de travail. Même dans l’impossibilité actuelle de se prononcer sur la quantité de projets présents, je peux déjà prédire que ce sera une lourde charge de travail. Ce que je veux tout de même répéter est qu’il est hors de question que des politiques siègent dans le comité de sélection.

Pourtant, si le projet avait du plomb dans l’aile c’était aussi à cause du reproche d’une l’influence politico-politicienne. Comment le vivez-vous ?


C’était peut-être le cas auparavant, mais personnellement, depuis que je suis en fonction, je ne sens pas d’influence politique. Notre collaboration avec le CA de l’asbl est bonne, peu importe la couleur. Et je n’ai pas l’impression d’être mise sous pression par l’un ou l’autre parti. Il faut travailler d’une façon ouverte et transparente et se donner des critères de fonctionnement très clairs : ceci nous immunise, en quelque sorte. Ça nous évite pas mal de problèmes – en 2007, c’était d’ailleurs la même chose.

Combien de dossiers vous sont parvenus depuis l’appel à projets ?


Une quarantaine de gens ou de structures se sont inscrits, ce qui ne veut pas dire que ces projets sont soumis à 100 pour cent. Ce n’est le cas que pour certains. La majorité n’en est qu’au premier stade. Mais nous constatons qu’il y a un intérêt. Nous allons aussi parler de manière proactive avec un certain nombre d’acteurs-trices qui ne se sentent peut-être pas encore concerné-e-s par Esch 2022, comme les écoles, les maisons-relais ou encore les associations d’étranger-ères et d’autres structures du monde associatif en général. J’ai déjà eu un premier échange avec un représentant d’une grande association œuvrant dans le cadre de l’intégration des citoyen-ne-s. Il est important qu’un-e membre de l’Asti ou du Clae devienne membre du jury – parce qu’une telle personne pourra nous guider dans nos choix, lorsqu’on jugera entre autres le volet « intégration » des projets. De toute façon, je tiens à dire qu’Esch 2022 n’est pas réduit à l’art en soi, mais que les dimensions socioculturelles, les communautés internationales, les gens de tous les horizons et couches sociales sont au centre de notre démarche.

Le 5 juin, le monitoring de la Commission européenne – reporté plusieurs fois – aura finalement lieu à Timisoara en Roumanie. Vous vous y rendrez dans quel état d’esprit ?


Neutre. Absolument neutre, dans le sens que nous préparons notre rapport avec nos ‘findings’ et que nous le leur soumettrons.

Pensez-vous avoir rempli les recommandations issues du dernier monitoring ?


Je dirais que oui. Certaines choses sont faites totalement, d’autres ne sont pas encore au point. Comme le sponsoring, où la stratégie – cinq millions d’euros de recettes sont prévus au budget – n’est pas vraiment encore définie. Mais nous y parviendrons assurément.


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