État de la nation : Respirez, mais pas trop

Sur la forme, le discours du premier ministre a été à la hauteur de la situation difficile dans laquelle nous nous trouvons. Sur le fond, les demi-mesures ne tiendront qu’une demi-année, jusqu’au prochain état de la nation.

Détails des politiques de protection du climat et des mesures de compensation. (Illustrations : gouvernement.lu)

D’abord la bonne nouvelle : il n’y aura pas de réforme fiscale, donc pas d’augmentation d’impôts. Mais est-ce une si bonne nouvelle ? Cette annonce, la plus spectaculaire de Xavier Bettel lors de l’état de la nation, est équivoque, comme le discours dans son ensemble. Le calage économique de la réforme fiscale tant attendue était peut-être difficile par les temps qui courent ; son annulation peut en tout cas être considérée comme politiquement habile : en effet, une réforme qui n’a pas lieu ne peut pas être critiquée.

Ni panique ni inconscience

Pourtant, avant d’entendre, mardi dernier, cette information essentielle, il a fallu patienter près d’une demi-heure. Le premier ministre avait fait le choix de consacrer une grande partie de son discours à la pandémie et à ses conséquences. Logique, puisque c’est elle qui domine les vies des êtres humains et de leurs institutions depuis le début de l’année. Bettel a judicieusement rappelé l’impact sans précédent (dans l’après-guerre) de la Covid-19, justifié les mesures gouvernementales du début de crise et rendu hommage aux travailleuses et travailleurs « en première ligne ».

Le premier ministre a aussi tenté – de manière plutôt convaincante – le grand écart : d’une part, rassurer la population sur « une maladie qui ne représente pas de risque majeur pour la plus grande partie de la population », d’autre part, pourfendre l’attitude de celles et ceux qui prétendent « qu’on n’aurait affaire qu’à une simple grippe ». Bettel, qui n’est pas un grand orateur, a encore joué de son atout : faire vibrer la corde de l’empathie. Il a ainsi évoqué ses nombreuses visites de terrain et répété ce que lui avait raconté un homme de 46 ans, frappé de plein fouet par la Covid-19, et qui avait cru y rester.

Et cette non-réforme alors ? Bettel a placé la question fiscale dans le contexte des orientations politiques à prendre pour les prochaines années. « Question complexe, réponse simple », a-t-il lancé. « Le programme de coalition reste valable. » Le fait qu’il explicite ensuite que « la coalition adhère au fait que certains points ne s’y trouvent pas » en dit long sur les tiraillements qu’il a dû y avoir entre les trois partis. On se demande d’ailleurs si c’était une bonne idée, d’un point de vue tactique, de repousser en automne le discours sur l’état de la nation, initialement prévu pour fin avril. Certes, en 2019, comme en 2014, Bettel avait déjà opté pour octobre, mais le contexte pandémique était peut-être plus favorable au début de l’été qu’en cet automne, avec un taux d’infection qui augmente rapidement.

Ministre aux mille portefeuilles

Dans ce contexte difficile, Bettel a annoncé une politique du ni-ni : il n’y aura pas d’augmentations d’impôts – « afin de ne pas réduire le pouvoir d’achat » – ni de mesures qui pèseraient fortement sur le budget de l’État. Et pourtant… Dans les minutes qui précédaient, le premier ministre avait énuméré les mesures, fort coûteuses, prises pour endiguer les faillites et le chômage. Et à la suite de son niet à la réforme fiscale, il a évoqué la nécessité d’agir sur des points précis pour justifier ce qu’on ne peut appeler que… des augmentations d’impôts. Cela touche les fonds immobiliers et les stock options, ramenant un petit peu d’équité fiscale. Nécessité d’agir, certes, mais quid du réchauffement atmosphérique ? a-t-on pu se demander, autant sur base de l’état de la nation 2019 que par rapport à la manif pour le climat ayant lieu au même moment devant le Cercle municipal, nouveau siège de la Chambre. Il a fallu patienter une deuxième fois une bonne demi-heure pour avoir la réponse.

Auparavant, le premier ministre a tout fait pour renforcer une impression qui, elle aussi, a marqué le cru 2020 de l’état de la nation : il s’est transformé en Superbettel, ministre de tous les portefeuilles. Il est tout d’abord revenu au sujet de la pandémie, démontrant sa connaissance du dossier, depuis l’interprétation des taux d’infection jusqu’aux finesses du « large scale testing », en passant par les difficultés du monitoring au niveau des eaux usées. Il est allé jusqu’à chiffrer le stock de masques (90 millions) et à faire miroiter un vaccin en décembre.

Et le climat ?

Bettel a ensuite justifié économiquement les mesures de stabilisation, comme un ministre de l’Économie, et détaillé les abus fiscaux et l’évolution budgétaire comme un ministre des Finances. En fait, il a fait le tour de la plupart des domaines politiques, y compris les médias, évoquant la CLT et… Radio Ara – comme un ministre des Médias, comme le ministre des Médias qu’il est. Pour autant, il a évité de noyer dans le factuel et les chiffres sa posture de « Xavier, le gars d’à côté », qui gère la crise en bon père de famille.

Quand Bettel a finalement mis la casquette de ministre de l’Environnement, c’était pour annoncer un impôt CO2. Bien entendu, il ne l’a pas appelé impôt, mais « système » basé sur le principe pollueur-payeur. Le principe est bon, tout comme celui des rudimentaires compensations sociales annoncées. Cependant, avec des augmentations du prix des carburants de moins de dix cents par litre, la mesure aura un effet limité. Cela ne nous mettra pas sur la trajectoire de l’objectif de moins 55 pour cent de CO2 en 2030, alors que ce dernier chiffre devra lui-même être revu à la hausse.

En soulignant la nécessité d’une « utilisation responsable des ressources naturelles », Bettel a abordé un sujet sur lequel on l’attendait. Apparemment, dans les conflits entre économie et écologie, tel celui de l’usine de yaourts Fage, le DP a choisi de se ranger du côté de Déi Gréng, aux dépens du LSAP. Ce n’est pas si surprenant d’un point de vue stratégique – après tout, c’est la famille des partis verts qui est en train de remporter les élections un peu partout en Europe.

Ni impôts ni dépenses

Mais Bettel, ministre aux mille portefeuilles, n’est pas seulement vert, il est aussi social-démocrate. Tout le long de son discours, il a abjuré le dogmatisme libéral : non au chômage et à l’austérité, oui au modèle social et à une fonction publique nombreuse. Le leader du « parti libéral » luxembourgeois s’est même enthousiasmé, contrairement à la plupart de ses collègues européens, pour l’augmentation des investissements publics et les eurobonds. Un virage idéologique sans conséquence dans l’immédiat, mais qui pourrait ouvrir la voie à de nouvelles politiques.

C’est d’autant plus important que, en faisant le compte, les mesures annoncées par Bettel sont bien insuffisantes. Cela est vrai pour la stabilisation économique et sociale comme pour la transition écologique, mais aussi pour les politiques de mobilité, de logement et d’intégration grande-régionale. Dans chaque domaine, Bettel et son gouvernement ont établi un diagnostic correct, sans vraiment se donner les moyens d’agir.

Vu ainsi, le ni-ni décrété par le premier ministre ne peut être que provisoire. Il faudra bientôt augmenter encore les dépenses publiques, aborder à cette occasion la question du financement et restructurer les impôts en conséquence. La vraie bonne nouvelle, c’est que sur base de ce qu’a dit Bettel, cette voie, plutôt que celle du renoncement et de l’austérité, reste ouverte. Mais pour cela, il faudra une audace politique qu’on n’a pas entrevue dans le discours de mardi.


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