Le rôle possible de l’Europe dans les coopérations et conflits internationaux, expliqué par le haut fonctionnaire Felix Fernandez-Shaw. Un dialogue citoyen pas comme les autres.
« Que s’est-il passé en 1989 ? » Facile, la chute du Mur. « Et en 2015 ? » « La crise migratoire », hasarde une voix dans l’assistance. Felix Fernandez-Shaw aime impliquer son public. Et le surprendre : « 2015, ça a surtout été l’adoption de trois accords-cadres importants à l’échelle mondiale. » Ce n’est pas par hasard que ce haut fonctionnaire européen de la DG Devco (Coopération internationale et développement) fait allusion aux Sustainable Development Goals (SDG), à l’accord de Paris et au programme d’action d’Addis-Abeba sur le financement du développement. Mercredi dernier, dans le cadre d’un « dialogue citoyen » à la Maison de l’Europe, il voulait donner un aperçu des difficultés et des potentialités de l’action internationale de l’Union européenne.
Fernandez-Shaw fait un rapprochement avec la période 1789-1815 : d’immenses bouleversements technologiques, économiques et politiques qui allaient inévitablement continuer à transformer le monde dans les décennies suivantes. « L’esprit européen, c’est celui des SDG, notamment l’idée du ‘leave no one behind’ », estime le fonctionnaire. « Mais au niveau planétaire, ça ne se passe pas comme ça : c’est plutôt ‘leave the others behind’, c’est le retour des ‘power politics’ ! » Pour faire face dans un monde dominé par ce qu’on pourrait traduire par une « realpolitik agressive », Fernandez-Shaw appelle à plus de coopération.
Ce « dialogue citoyen » se sera déroulé de manière très interactive, alors que d’habitude c’est un peu raide. Fernandez-Shaw provoque son public, fait même des allusions aux niches fiscales luxembourgeoises. Grâce à son expérience de diplomate, il mène la discussion sans y paraître. Parfois, le « dialogue » implique tellement les participant-e-s que cela frise la cacophonie, mais la plupart du temps, cela ressemble à un véritable brainstorming autour du rôle international de l’Union européenne.
Europe salvatrice ?
« Combien de personnes les États-Unis déploient-ils dans leurs services d’action extérieure ? 5.000, 50.000, 150.000 ? », lance Fernandez-Shaw. La réponse est 18.000 – pas énorme. « Et l’Union européenne, pays membres inclus ? Plus ? Moins ? » Surprise : 55.000. « Notre poids devrait être trois fois plus grand… », lâche le fonctionnaire. « Et le serait, si on arrivait à se mettre d’accord entre pays européens », complète la salle. Une meilleure coopération au niveau de l’Union pour pousser vers plus de coopération au niveau mondial, voilà ce que souhaite Fernandez-Shaw. Constatant que l’idée du bien commun est actuellement en perte de vitesse, il souhaite que la voix de l’Europe se fasse entendre « afin de pousser – gentiment ou moins gentiment – le monde dans la bonne direction ».
Fernandez-Shaw regrette que l’UE, très attachée à une harmonisation intérieure, reste dominée par des intérêts nationaux quand il s’agit d’action extérieure. Ce qui selon lui nuit aux intérêts de l’Union et au-delà : « Le monde a besoin de l’Europe, mais l’Europe n’est pas là. » Pourtant le fonctionnaire ne se laisse pas abattre : « Tout n’est pas perdu », assure-t-il au bout de près de 90 minutes de « dialogue ». Il se réfère à l’expérience de l’accord de Paris et à l’adoption des SDG : là, les pays européens s’étaient mis d’accord et les diplomates ont travaillé ensemble pour la bonne cause. C’est ça, la méthode Fernandez-Shaw : définir un intérêt commun et faire peser de manière coordonnée le poids des 28 pays membres. En avant donc, mais vers où ?