Féminisme : Le logement, source d’inégalités entre les sexes

Plus grande précarité, discriminations et stéréotypes de genre : les femmes doivent surmonter plus d’obstacles que les hommes pour parvenir à se loger. A fortiori dans un pays où la crise du logement exacerbe ces difficultés. Le droit au logement continue donc de figurer au cœur des revendications de la plateforme JIF.

Accéder au logement demeure globalement plus difficile pour les femmes que pour les hommes. (PHOTO: PEXELS)

Le logement est un droit, il répond à un besoin fondamental et permet d’assurer la stabilité et la sécurité d’un individu ou d’une famille. Il est reconnu comme tel par plusieurs textes internationaux, dont la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Mais de nombreux obstacles s’opposent à l’accès à celui-ci, et les discriminations, y compris en matière de genre, sont bien réelles. Un phénomène auquel n’échappe pas le Luxembourg, bien au contraire : la crise du logement, véritable fléau ici qui pèse sur ses habitant·es et en contraint certain·es à quitter le territoire, exacerbe les inégalités et fait du logement une question résolument politique et féministe.

Accéder au logement demeure en effet globalement plus difficile pour les femmes que pour les hommes. En premier lieu parce que les femmes gagnent moins que les hommes. Si l’écart de salaire annuel est faible au Luxembourg par rapport aux autres pays européens (4,5 % selon les derniers chiffres du Statec), il est cependant à mettre en perspective avec des carrières plus souvent interrompues pour élever les enfants et moins d’heures travaillées : les femmes sont cinq fois plus nombreuses que les hommes à travailler à temps partiel, et près de 37 % des femmes avec enfants ont un contrat à temps partiel. Cela se ressent au niveau des pensions : au Luxembourg, les femmes gagnent 36 % de moins que les hommes. C’est l’écart le plus important en Europe, où la moyenne se situe à un peu plus de 25 %. « Les femmes gagnent moins que les hommes et payent donc proportionnellement plus pour se loger dans un pays où les prix du logement ne cessent d’augmenter », résume la plateforme JIF (Journée internationale de la femme), qui continue de militer pour l’inscription du droit au logement abordable et décent dans la Constitution. Entre 2010 et 2020, les prix de vente de logements ou de terrains à bâtir ont en effet plus que doublé et les loyers ont augmenté de près de 60 %.

« La précarité matérielle des femmes, les discriminations qu’elles subissent dans l’accès au logement, le travail reproductif effectué dans le logement, les violences domestiques, l’architecture androcentrique et le besoin d’avoir ‘un lieu à soi’ font du droit au logement une question éminemment politique et féministe. » asbl Angela D.

Le coût du logement au Luxembourg et le manque de logements sociaux ont un impact bien réel sur la qualité de vie des habitant·es qui, lorsqu’ils et elles ont la chance d’en trouver un, y consacrent une part importante de leur budget ou ne peuvent disposer d’une surface décente. Beaucoup de ménages ont aujourd’hui du mal à joindre les deux bouts, et c’est d’autant plus vrai pour les familles monoparentales, qui représentent 6 % des familles au Luxembourg et sont constituées dans leur majorité (86 %) par des femmes. Plus exposées au risque de pauvreté, plus du tiers de ces familles rencontrent effectivement des difficultés financières, les mères célibataires locataires pouvant consacrer jusqu’à quasiment la moitié de leurs revenus pour se loger. Pour tenter d’enrayer le phénomène, deux nouvelles lois ont été votées en juillet 2023, dont l’une accorde une hausse de la subvention des loyers ainsi que des plafonds de ressources. Mais pour Line Wies, membre de la plateforme JIF et de Déi Lénk, cette aide est «insuffisante et inefficace pour lutter contre l’explosion des loyers.  Il s’agit encore une fois d’une mesurette d’urgence qui apporte une petite aide aux locataires monoparentaux, mais qui soutient également financièrement les propriétaires de logements. L’État subventionne en effet des loyers bien trop chers via la subvention loyer. Les dépenses de l’État pour la subvention loyer – environ 50.000.000 d’euros – auraient pu être investies dans la création de nouveaux logements sociaux ».

Dans un tel contexte, il est d’autant plus difficile pour les femmes victimes de violences domestiques (67 % des victimes signalées sont de sexe féminin) de pouvoir quitter le domicile familial. Car si les violences conjugales et domestiques se retrouvent dans toutes les classes sociales, il est plus difficile pour les femmes en situation de précarité d’avoir les moyens d’en échapper. Elles « doivent souvent choisir entre la précarité et la violence », s’insurge la plateforme JIF. Fuir les violences conjugales, fondées sur le genre ou les abus, constitue d’ailleurs l’une des premières causes du sans-abrisme féminin. Or, le nombre de logements d’urgence disponibles est limité, et seuls les cas les plus urgents reçoivent un logement, les autres se retrouvant donc forcées de rester avec leur agresseur, rappelle la JIF, qui demande à cet égard la mise en place d’une aide financière spéciale dédiée aux victimes de violence, afin de leur faciliter l’accès à un logement. Sans oublier l’importance de facteurs de discrimination raciale qui peuvent entrer en jeu et freiner la prise en charge des victimes, comme le souligne Line Wies, qui rappelle par ailleurs, non sans une pointe d’ironie : « Des questions parlementaires ont été posées pour permettre un accès privilégié aux femmes monoparentales, victimes de violences, ainsi qu’à leurs enfants, au parc du logement social. Mais la réponse a été négative, au motif que cela aurait été un non-respect de l’égalité de traitement. »

Choix orienté

Dans un marché en tension, où la demande dépasse très largement l’offre, les propriétaires n’ont que l’embarras du choix pour trouver un·e locataire et les discriminations s’opèrent alors d’autant plus. Outre l’aspect financier, l’asbl belge Angela D., dont l’objectif est d’attirer l’attention sur le logement comme marqueur social des inégalités entre les hommes et les femmes, mentionne dans son guide pratique intitulé « Une approche féministe du logement », le rôle des préjugés sexistes comme freins à l’accès au logement pour les femmes. Ces préjugés font douter certain·es propriétaires de la capacité des femmes seules à gérer un logement, à bricoler, à être en mesure de l’entretenir.

(Photo: Sven Becker)

Et lorsque les femmes « cumulent les discriminations – femmes sans papiers, migrantes, LGBTIQ+, handicapées, etc. » –, leur accès au logement est encore plus limité, insiste la plateforme JIF. Le rapport d’étude portant sur le « Racisme et les discriminations ethno-raciales au Luxembourg » du ministère de la Famille démontre clairement comment le manque de logements au Luxembourg peut être un facteur aggravant de discrimination directe ou indirecte. Il fait état de commentaires racistes et d’actes visant à éviter la location ou l’achat de biens immobiliers par des personnes racisées. Environ la moitié des personnes interrogées ont déclaré avoir été victimes de discrimination lors de la recherche d’un logement. Un phénomène qui n’est pas propre au Luxembourg : de l’autre côté de la Moselle, la discrimination fondée sur le genre et la race est aussi de mise. Une jeune femme témoigne au woxx : « Une ancienne collègue, allemande de naissance mais dont le nom de famille a une consonance d’Europe de l’Est, a essayé de trouver un appartement à Bonn pour elle et son compagnon en utilisant les plateformes immobilières habituelles sur Internet. La plupart des agences et propriétaires ne lui ont même pas répondu. Mais dès que son compagnon, qui lui porte un nom typiquement allemand, s’est inscrit, il a immédiatement reçu des réponses de la part des agents immobiliers et des bailleurs et ils ont trouvé un appartement en un rien de temps. »

Face à l’abondance de choix de locataires, « les propriétaires vont plutôt avoir tendance à choisir une personne avec un salaire plus élevé, qui travaille à temps plein et qui n’a pas d’enfants à charge » et « se tournent plus vers les hommes que les femmes », résume la plateforme JIF. Pour remédier au plus vite à cette problématique urgente, la JIF propose diverses mesures à court et à moyen termes, comme l’instauration d’un système de candidature neutre sur le marché du logement destiné à réduire les discriminations, ainsi que le plafonnement des loyers. Par ailleurs, elle demande un moratoire des expulsions, « comme cela avait été fait pendant la crise du covid-19, et à l’image de ce qui se fait en France, avec la trêve hivernale. Ce serait un minimum », ajoute Line Wies. La mobilisation forcée pour créer des logements abordables sur les terrains constructibles dont les communes sont propriétaires, le blocage temporaire de la deuxième, voire de la troisième acquisition de propriété par les personnes physiques ou morales, à l’instar de ce qui se fait en Suisse, ainsi que la taxation des logements vides sont d’autres pistes envisagées par la plateforme JIF. « Sans oublier que l’État dispose aussi de bâtiments vides, qui pourraient être rénovés et réaménagés », indique Line Wies.

Un espace pensé par et pour les hommes

Au-delà de l’accès à celui-ci, le logement, dans sa conception même, peut être, tout comme l’espace urbain, source d’inégalités entre les hommes et les femmes. De nombreux architectes, sociologues, urbanistes et féministes dénoncent aujourd’hui une architecture androcentrée, c’est-à-dire pensée par les hommes et destinée à répondre à leurs usages. Une vision qui « participe au mal-logement féminin », comme l’explique l’asbl Angela D. : « La répartition des espaces au sein des foyers reflète la division traditionnelle du travail, avec ses hiérarchies implicites et qui placent les femmes dans des relations de subordination par rapport aux hommes. Par exemple, les espaces traditionnellement réservés aux femmes, comme les cuisines, ont été et restent en grande partie des espaces fermés, avec une répartition qui n’invite pas les autres membres de la famille à partager le travail. » 

Marche féministe ce 8 mars à 15h

(Photo: Sven Becker)

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, ce samedi 8 mars, la plateforme JIF appelle à la mobilisation pour dénoncer la montée des fascismes, des mouvances antiféministes, des inégalités sociales et des violences de genre systémiques. Placée cette année sous le signe de la solidarité internationale, la marche féministe se positionne en faveur d’une politique étrangère féministe et d’une solidarité internationale renforcée face aux défis actuels, tels que les conflits armés et les politiques migratoires répressives. À cet égard, les féministes de la JIF exigent tout particulièrement des voies migratoires sûres, une protection pour les personnes exilées, la reconnaissance des violences de genre comme motif d’asile et de soutien aux femmes du monde entier qui s’engagent pour les droits humains et environnementaux. Mais les combats d’hier étant toujours d’actualité, la JIF continue en cette Journée internationale des droits des femmes de revendiquer également plus de justice sociale, qui passe notamment par l’égalité salariale et des retraites, ainsi que le droit à un logement digne. La lutte contre les violences de genre reste également centrale, avec notamment la demande d’inscription du féminicide au Code pénal, même si les discriminations fondées sur le sexe et le genre comme facteur aggravant y ont été récemment inscrites. Les féministes requièrent en outre un véritable suivi des plaintes pour violences sexuelles ainsi qu’une prise en charge médico-sociale inconditionnelle des victimes, y compris celles en situation administrative irrégulière. Nouveauté cette année : la protection de l’enfance fait désormais aussi partie des thèmes centraux de la marche féministe, avec l’arrivée de l’asbl Innocence en danger dans les rangs de la plateforme JIF. « Elle lutte pour la prévention de la répétition du cycle de la violence, notamment grâce à une prise en charge précoce. Mettre fin au cycle de la violence, c’est aussi prévenir les féminicides », explique Line Wies.

Rendez-vous à 15h, place de Paris à Luxembourg. Plus d’infos ainsi que le détail des revendications sur fraestreik.lu

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