Fiscalité : L’hypocrisie européenne

À l’exception du CSV et du DP, tous les partis luxembourgeois en lice pour les élections européennes veulent mieux taxer les multinationales et les grandes fortunes. Alors que les inégalités se creusent et nourrissent le vote d’extrême droite, la justice fiscale devient un impératif dans une Union européenne qui abrite quelques-uns des plus importants paradis fiscaux de la planète.

(Photo : Markus Winler/Pixabay)

Les partis politiques luxembourgeois voudraient-ils solder la place financière en s’attaquant à sa substantifique moelle : l’évasion fiscale des multinationales ? Tout porte à le croire à la lecture de leurs programmes pour les élections européennes du 9 juin. Deux exceptions cependant, et elles sont de taille : le CSV et le DP. Le premier n’aborde pas même la question, alors que ses eurodéputé·es siègent au sein du PPE, premier groupe politique au sein du Parlement européen. Quant aux libéraux, s’ils parlent bien de fiscalité, c’est sous le seul angle d’un outil à même de stimuler « l’esprit entrepreneurial ». Ce qui, entre les lignes, plaide pour moins d’impôt.

Même l’ADR, toujours prompt à défendre la place financière, s’y met en affirmant que les multinationales doivent être taxées de « manière efficace » dans toute l’Europe. Mais – il ne faudrait pas trop pousser quand même – le parti « s’oppose fermement à une taxe sur les transactions financières », qu’il perçoit comme un « péril ». Une disposition qui ne pose en revanche aucun problème à Déi Lénk, le parti de gauche l’intégrant à toute une série de mesures qu’il préconise pour mieux taxer les multinationales et les grandes fortunes. Il s’agit à la fois de réduire les inégalités sociales et de mobiliser les moyens nécessaires à une transition écologique juste. Rien d’étonnant de la part du parti anticapitaliste, en pointe depuis de nombreuses années dans la dénonciation de l’évasion fiscale et du rôle qu’y joue le Luxembourg. Déi Gréng, également familier du sujet, développe un argumentaire assez proche, mais se garde de citer le grand-duché parmi les usual suspects qui facilitent le grand hold-up fiscal à l’échelle mondiale.

L’UE est le terrain adéquat pour s’attaquer au problème de la fiscalité, alors que les inégalités se creusent à l’échelle planétaire.

Sur la gauche de l’échiquier toujours, le LSAP présente dans son programme toute une batterie de mesures pour taxer plus équitablement multinationales et « ultra-riches ». Et il demande désormais un « questionnement » de la règle de l’unanimité sur la fiscalité, qui prévaut au sein du Conseil européen. Une disposition contre laquelle il ne s’était jamais franchement opposé au cours des 20 années qu’il a passées au gouvernement.

Quoi qu’il en soit, l’UE est le terrain adéquat pour s’attaquer au problème, alors que les inégalités se creusent à l’échelle planétaire, avec une accélération depuis la crise sanitaire et la flambée inflationniste de ces dernières années. Dans le dernier Eurobaromètre consacré aux élections européennes, le thème de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale arrive en tête des sujets que les personnes interrogées veulent voir débattus.

(Photo : Ibrahim Boran/Unsplassh)

Jamais les multinationales n’ont distribué autant de dividendes à leurs actionnaires, ceux-ci atteignant 1.660 milliards de dollars en 2023. En trois ans, les milliardaires ont aussi vu leurs fortunes croître de 3.300 milliards de dollars. Pendant ce temps, le commun des mortel·les voit ses revenus au mieux stagner et une part croissante de la population se paupérise. La course au moins-disant fiscal est largement en cause dans cette situation, alors que l’imposition du capital a diminué de moitié dans les pays de l’OCDE au cours des 40 dernières années.

Si la fiscalité est aujourd’hui génératrice d’inégalités, y compris dans le déséquilibre Nord-Sud à l’échelle mondiale, elle peut aussi combattre celles-ci en faisant payer à chacun·e son dû. De ce point de vue, l’UE a des cartes non négligeables en main. Car c’est avant tout vers certains de ses États membres que se tournent les multinationales pour échapper à l’impôt. Sur les dix paradis fiscaux préférés des grands groupes, quatre font partie de l’UE : les Pays-Bas (en première place), l’Irlande (3e), le Luxembourg (5e) et la Belgique (9e), indique l’Observatoire européen de la fiscalité.

L’extrême droite prospère sur les injustices sociales, alors même qu’elle rejette toute mesure qui pourrait les atténuer. Les sondages lui promettent pourtant une belle percée aux européennes. Lui faire barrage, c’est aussi sortir de cette hypocrisie consistant à dénoncer la bête tout en la nourrissant à coups d’iniquité fiscale.


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