France : Du maître des horloges au maître du chaos

En convoquant de nouvelles élections législatives après la victoire écrasante du Rassemblement national (RN) au scrutin européen, Emmanuel Macron prend le risque irresponsable de porter l’extrême droite au pouvoir en France dans moins d’un mois.

Réputé pour sa vacuité et ses absences au Parlement européen, Jordan Bardella porte de beaux costumes et est un virtuose du réseau TikTok. Dans moins d’un mois, l’enfant chéri du RN risque de diriger le gouvernement de la France. (Photo : Parlement européen)

« C’est moi ou les extrêmes » : la formule est usée jusqu’à la corde, mais ce mercredi 12 juin, Emmanuel Macron l’a martelée en boucle au cours d’une conférence de presse. Comme il le fait depuis sa première élection, en 2017, le président se pose en seule alternative aux extrêmes, le seul à même d’empêcher la France de plonger dans un chaos qu’il a lui-même orchestré. Tel un disque rayé, il renvoie inlassablement l’extrême droite et la gauche dos à dos, considérant qu’elles sont hors du champ républicain. Pour Macron, les extrêmes englobent toute personne qui n’est pas d’accord avec lui, avec ses orientations politiques néolibérales. Bien plus que le parti lepéniste, c’est la France insoumise (LFI) – et son programme social – qui se trouve dans son viseur.

Privé de majorité parlementaire après sa réélection en 2022, le président a tiré prétexte de l’écrasante victoire du RN aux élections européennes pour prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale, entraînant la convocation de nouvelles législatives. La décision a pris tout le monde de court, y compris dans son propre camp. Elle laisse peu de temps aux partis pour organiser leurs campagnes, le premier tour devant se tenir le 30 juin et le second le 7 juillet. Surtout, cette décision intervient dans un contexte périlleux qui place l’extrême droite aux portes du pouvoir. En agglomérant les résultats du RN, du parti Reconquête d’Éric Zemmour et de formations plus groupusculaires, l’extrême droite a rassemblé quelque 40 % de suffrages aux élections européennes du 9 juin.

Les observateurs se perdent en conjectures sur les raisons qui ont motivé la décision du président. Caprice d’un enfant gâté qui veut garder le premier rôle ? Coup politique pour constituer un bloc central majoritaire au parlement ? Stratégie visant à lui permettre de se représenter à un troisième mandat présidentiel ?

Le danger de voir l’extrême droite accéder au pouvoir n’a jamais été aussi grand en France. Ces dernières années, Macron n’a eu de cesse d’en banaliser les idées racistes et antisociales.

Quoi qu’il en soit, le coup aurait pu s’avérer potentiellement mortel pour les partis de gauche, à l’issue d’une campagne des européennes au cours de laquelle ils ne se sont parfois rien épargné. Les divisions étaient patentes. Mais dès le soir du 9 juin, le populaire député LFI de la Somme, François Ruffin, a appelé l’ensemble des formations de gauche et la société civile à constituer un nouveau Front populaire, sur le modèle de celui qui avait accédé au pouvoir en 1936. Son appel a été rapidement suivi par la quasi-totalité des partis de gauche, du PS au PCF en passant par les écologistes. Dès le lendemain, ils se sont accordés sur le principe de candidatures uniques et ont depuis échafaudé un programme aux antipodes de la politique de casse sociale menée par Emmanuel Macron. En voulant accentuer la division de la gauche afin d’en récupérer les composantes les plus centrales, Emmanuel Macron l’a finalement unie, chacun jetant « ses rancunes à la rivière », selon la formule de François Ruffin. Ce nouveau Front populaire semble aujourd’hui la seule force politique en mesure de faire barrage au RN, tant la constitution d’un bloc central majoritaire autour d’un Emmanuel Macron totalement décrédibilisé relève de la chimère.

Rien de tel à droite, où la dissolution a provoqué un séisme chez les Républicains (LR), après l’annonce d’une alliance avec le RN par leur président, Éric Ciotti. À l’issue d’une journée rocambolesque où, tel un forcené, ce dernier s’est barricadé au siège du parti, il a finalement été exclu de LR par une majorité de ses dirigeant·es, ce mercredi 12 juin. Mais il embarque quelques député·es avec lui et présentera ses propres candidat·es dans plusieurs dizaines de circonscriptions, où le RN leur laissera le champ libre. De plus en plus marginalisé dans les urnes, LR peinera à se remettre de cette crise.

En convoquant de nouvelles législatives, le président joue avec le feu, en toute irresponsabilité. L’hypothèse est réelle de voir Jordan Bardella, l’enfant chéri et propret du RN, poser ses valises à Matignon dans moins d’un mois. Le danger de voir l’extrême droite accéder au pouvoir n’a jamais été aussi grand en France. Ces dernières années, Macron n’a eu de cesse d’en banaliser les idées racistes et antisociales. En réalité, le président a perdu la main sur le cours des événements. Alors qu’il se rêvait en maître des horloges, il devient le maître du chaos.


Cet article vous a plu ?
Nous offrons gratuitement nos articles avec leur regard résolument écologique, féministe et progressiste sur le monde. Sans pub ni offre premium ou paywall. Nous avons en effet la conviction que l’accès à l’information doit rester libre. Afin de pouvoir garantir qu’à l’avenir nos articles seront accessibles à quiconque s’y intéresse, nous avons besoin de votre soutien – à travers un abonnement ou un don : woxx.lu/support.

Hat Ihnen dieser Artikel gefallen?
Wir stellen unsere Artikel mit unserem einzigartigen, ökologischen, feministischen, gesellschaftskritischen und linkem Blick auf die Welt allen kostenlos zur Verfügung – ohne Werbung, ohne „Plus“-, „Premium“-Angebot oder eine Paywall. Denn wir sind der Meinung, dass der Zugang zu Informationen frei sein sollte. Um das auch in Zukunft gewährleisten zu können, benötigen wir Ihre Unterstützung; mit einem Abonnement oder einer Spende: woxx.lu/support.
Tagged , .Speichere in deinen Favoriten diesen permalink.

Kommentare sind geschlossen.