Le G20 ne rassemble pas que des gouvernements démocratiques. Mais au vu des récentes évolutions, on se demande qui mérite encore cette appellation.
« Il convient de noter (…) qu’au Luxembourg les libertés de rassemblement et d’expression sont garanties et encadrées par la Constitution, la Convention européenne des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux de l’UE. » Voilà la réponse concise du gouvernement à une question détaillée de Fernand Kartheiser sur les manifestations et les campagnes électorales de partis politiques d’autres pays au Luxembourg. Le député ADR avait notamment rappelé les discussions sur des interventions de politiciens turcs dans d’autres pays européens et évoqué la possibilité d’interdire ce type d’activité de manière générale. Cette dernière suggestion semble exclue pour le gouvernement, dont la réponse est imprégnée des valeurs du libéralisme politique.
Cela ne va pas de soi. Le gouvernement allemand vient en effet d’interdire, de manière générale, toute manifestation avec des politiciens étrangers durant les trois mois précédant une élection. La mesure est dirigée contre Recep Erdoğan, qui séjourne à Hambourg pour le G20, et ne s’applique pas aux politiciens venus des États membres de l’UE. S’il reste à voir ce qu’en dira le Tribunal constitutionnel fédéral, cette mesure relève d’un principe en vogue chez les « libéraux pragmatiques » : « Pas de démocratie pour les ennemis de la démocratie. »
Ce principe n’est pourtant pas si facile à appliquer, car qui doit désigner « les ennemis de la démocratie » ? Prenons l’exemple de Donald Trump avec la vidéo où il malmène un individu censé personnifier CNN. Le président des États-Unis peut-il faire valoir son droit à la libre expression, qui inclut celui de faire des blagues imbéciles ? Ou bien, considérant la manière dont lui et ses partisans s’en prennent aux médias critiques, s’agit-il d’une attaque contre la démocratie ? Faut-il arrêter Trump ?
Mais sans doute qu’aux yeux du président, fort de ses appuis populaires, ce sont ses adversaires représentant « l’élite » qui sont « les ennemis de la démocratie ». Et donc il peut se croire autorisé, comme il l’a déclaré durant sa campagne, à essayer de mettre en prison Hillary Clinton.
Certes, on ne peut guère renvoyer dos à dos le tribun turc, l’arriviste président étasunien et sa concurrente de l’establishment. Les risques et difficultés sont limités pour ceux qui critiquent Clinton, plus sérieux pour ceux qui attaquent Trump, et substantiellement plus grands pour ceux qui s’opposent à Erdoğan. La question est donc plutôt : ces différences justifient-elles le déni de démocratie que réclame une grande partie de la gauche bien-pensante ?
En adoptant soi-même des mesures liberticides, comment peut-on continuer à militer pour les libertés démocratiques chez les autres ?
Non, car les démocrates ne doivent pas utiliser telles quelles les méthodes des ennemis de la démocratie. C’est en tout cas l’avis de Mithat Sancar, constitutionnaliste et opposant turc dans le contexte des interdictions de manifestations en Allemagne. Certes, il serait naïf de croire qu’en laissant parler Erdoğan à Hambourg, celui-ci accepterait de laisser parler ses opposants à Istamboul. Mais est-il réaliste de penser qu’en adoptant des mesures liberticides à son égard, on puisse de manière convaincante continuer à militer pour la restauration des libertés démocratiques en Turquie ? On observe le contraire : les régimes répressifs de par le monde se saisissent des atteintes mineures aux libertés dans nos pays pour justifier leurs propres violations de ces libertés. La répression dirigée contre les ennemis de la démocratie se retourne contre ceux qui se considèrent comme ses défenseurs.
Dans un appel adressé au G20, quatre ONG allemandes demandent aux participants de « défendre les possibilités d’agir démocratiques ». Elles décrivent de manière générale les difficultés rencontrées par les contestataires, les défenseurs des droits humains et la société civile. En laissant libres les représentants des pays occidentaux de n’y voir que la dénonciation d’Erdoğan et de ses pairs.
Les gouvernements turc, saoudien, russe et chinois ont l’habitude : ils répondent qu’ils luttent contre les ennemis de la démocratie, pardon, les terroristes kurdes, islamistes, caucasiens ou bouddhistes. Or, il n’y a pas que Donald Trump et ses excès verbaux pour leur livrer toutes les excuses qu’il faut. En France, l’état d’urgence a été massivement détourné pour entraver la liberté de rassemblement, et le nouveau président ne brille pas non plus par son respect pour l’indépendance des médias. Et en Allemagne même, on ne prive pas seulement les politiciens turcs de la liberté de rassemblement, mais aussi les contestataires de l’ordre établi : la police tente de décourager les manifestants en intervenant brutalement contre la construction de tentes. Vive la liberté !