Green shopping: Pour acheter, faut coopérer !

Un projet américain de supermarché pas comme les autres fait école. 
La projection du film « Food Coop » a été l’occasion de faire le point sur des initiatives semblables au Luxembourg.

À Slope Park, les caissières aussi sont différentes ! (Photo : https://foodcooplefilm.com)

Est-ce politique ? Faire la queue à la Cinémathèque, dehors, dans le froid, pour voir un film sur une coopérative d’outre-Atlantique ? Mais on entrait tout de même assez vite, lundi dernier. Et faire la queue à Brooklyn pour acheter des produits frais, écologiques et de qualité, et pas trop chers ? Il faut parfois attendre 40 minutes devant la Park Slope Food Coop, apprend-on dans le film. L’engouement des deux côtés de l’Atlantique le montre : les projets alternatifs ne sont plus considérés comme ringards. Et la diversité des âges, des sexes et des tenues présents à la Cinémathèque indique que les idées nouvelles peuvent toucher un public bien plus large que par le passé.

Le film « Food Coop » présente à un public francophone un projet exemplaire – une coopérative à tendance socialiste dans un pays réputé farouchement capitaliste. C’est à Park Slope qu’on achète les meilleurs produits de New York, à des prix défiant toute concurrence. Mais attention, pour y faire ses courses, il faut être membre. Et pour cela, il ne suffit pas d’acheter une part de la coopérative ; il faut aussi venir y travailler comme bénévole 2 heures et 45 minutes toutes les quatre semaines. Avec 16.000 membres, cela permet de travailler avec un petit nombre de salarié-e-s et contribue au niveau de prix modéré.

Au bout de 97 minutes, on a rencontré une trentaine de membres, on a appris à connaître les rouages du système et on a compris qu’à part les caddies et les caisses, ce magasin a peu en commun avec un supermarché ordinaire. Et le réalisateur du film, Tom Boothe, a même réussi à donner une idée des débats qui traversent la communauté de Park Slope, qu’ils aient pour sujet les sacs en plastique, l’organisation du travail ou la dynamique de la gentrification.

Le rêve des « bobos 
sans le sou »

Justement, acheter écolo et travailler bénévolement, n’est-ce pas un truc de bobo ? Notons que même si la clientèle pauvre constitue une minorité, le souci de justice sociale est bien présent dans ce type de projet. Ainsi, à Park Slope, des produits invendus sont utilisés pour confectionner une soupe populaire. Et, plus généralement, offrir des prix modérés doit permettre à tout le monde d’avoir accès à une meilleure nourriture. Aux États-Unis, où une partie de la classe moyenne vit assez chichement, cela est plus net qu’en Europe, où la plupart des personnes intéressées par des produits écologiques et de qualité peuvent mettre la main à la poche. Même si les difficultés des jeunes sur le marché du travail sont en train de produire, même au Luxembourg, une sorte de « bobos sans le sou », hautement qualifiés, très ouverts sur le monde, mais qui se débrouillent à coups de CDD et d’optimisation de leurs dépenses.

C’est notamment à ce type de clientèle que s’adresse le projet « Ouni », l’épicerie sans emballage, qui vient d’ouvrir ses portes à Luxembourg-ville, dans le quartier de la gare. Avec un look et une com « plus branché tu meurs », ils – ou plutôt elles, car la « core team » est entièrement constituée de femmes – ont fait un tabac : salle pleine pour les deux réunions d’information, plus de 600 membres et plus de 200.000 euros de capital rassemblés en quelques mois. Au centre de leur démarche se trouve une idée écologique : produire zéro déchet, « ouni » voulant dire « sans » en luxembourgeois. Ensuite, ce souci environnemental se retrouve dans le choix des produits, souvent bio et régionaux. Enfin, elles affirment haut et fort que leur modèle leur permet de vendre moins cher.

Un modèle moins puriste que celui de Park Slope, puisque la coopérative Ouni distingue entre membres simples et membres actifs. Seuls ces derniers – le maximum prévu de 250 est atteint depuis longtemps – fournissent du travail bénévole et bénéficient en échange de réductions spéciales. Truc de bobo ou pas, ceux qui travaillent bénévolement en tout cas se salissent les mains, c’est ce qu’on a pu vérifier dans le film.

Les symboliques du zéro déchet

(Affiche : foodcooplefilm.com)

Lundi soir, Vanessa Paul, représentante d’Ouni, a demandé s’il y avait des membres dans la salle. De nombreuses personnes ont levé le doigt ; Ouni estime qu’un quart de la salle était déjà membre, et que la majorité du public viendra au magasin, voire achètera des parts. En tant que coorganisatrice, la coopérative a offert le pot de clôture et mettait à disposition des formulaires d’adhésion ainsi que des codes QR, à scanner avec le portable et permettant d’accéder au formulaire en ligne. Comble de la branchitude ? Pas du tout, juste le souci du zéro déchet poussé jusqu’au bout.

Est-ce politique ? Dans le film, on a pu suivre le débat sur un éventuel abandon des sacs en plastique très fin utilisés pour emballer les fruits et légumes. Le comité environnemental de la coopérative a fait valoir l’impact environnemental de ces sacs jetables, mais également le fait qu’ils sont produits avec du gaz de schiste. En face, la gérance a insisté sur les problèmes d’hygiène si on les supprimait et le risque de désavantager les personnes socialement les plus faibles. La fin de l’histoire, qui n’est pas dans le film : à la mi-2016, lors d’une assemblée générale des membres de la coopérative, une large majorité a voté contre l’abandon des sacs « fruits et légumes » – alors que dès 2008, Park Slope avait décidé de ne plus proposer de sacs de caisse en plastique.

La symbolique du zéro déchet semble pourtant forte – après tout, c’est elle qui a fait le succès d’Ouni. Quelque part, les sacs et les emballages jetables représentent notre culture de l’« end of pipe » (bout de chaîne) : on préfère se dédouaner à travers le recyclage plutôt que d’éviter la pollution dès l’origine. Cela dit, l’impact écologique des déchets d’emballage en magasin est parfois surestimé, surtout quand on le compare à d’autres impacts, comme celui laissé par notre mobilité. Peut-être y a-t-il encore une autre symbolique dans le rejet des emballages. En effet, ceux-ci sont souvent les vecteurs du branding et de la standardisation, si importants dans notre société de consommation. C’est là que le symbolique renvoie à des structures économico-politiques – et permet de les combattre.

Cette démarche contestataire, le mouvement de la transition l’affiche plus ouvertement. « Notre but est d’anticiper des modes de vie post-carbone », a expliqué Karine Paris, représentante du Cell, la cellule de coordination de la transition au Luxembourg. En effet, notre dépendance à l’égard des hydrocarbures va bien au-delà des sacs en plastique – en fait, depuis 150 ans, l’humanité se développe grâce à une énergie bon marché. À défaut de remplacer « à l’identique » le pétrole par le solaire, comme l’espèrent des experts comme Jeremy Rifkin, nous devrons nous accommoder d’une énergie rare et précieuse. Trop précieuse pour transporter, par exemple, du roquefort par avion jusqu’à Brooklyn. Heureusement qu’à côté du rayon « European cheese » montré dans le film, il y avait un rayon pour les fromages locaux. Sachant que local, pour un Américain d’aujourd’hui, veut dire dans un rayon de 800 kilomètres.

Make American cheese again !

À Mesa, la maison de la transition d’Esch, on est plus strict. Presque tous les produits proviennent de la Grande Région. Une exception est faite pour le thé, le café, certaines épices… Et pour les « produits solidaires » tels que l’huile d’olive ou la sauce tomate issues de l’économie alternative grecque ou italienne. Côté emballages par contre, ce n’est pas le « 100 % ouni », mais plutôt le souci d’éviter autant que possible la pollution : sacs en papier pour les fruits et légumes, sacs plastique et boîtes à œufs récupérés pour dépanner les clients qui ont oublié d’en amener.

Chez Ouni, au-delà de l’exigence absolue d’une confection sans emballages, pour sélectionner les produits, on applique plusieurs critères : localité, saisonnalité, caractère écologique, qualité. Et, interrogé par le woxx, Ouni assure : « Nous invitons aussi tous les membres et clients à nous faire part de leurs avis concernant les produits, et à nous suggérer des fournisseurs potentiels qu’ils connaissent. »

Ensemble, sortir du système

Cette implication des membres est un des ressorts du succès des coopératives – ou de leur échec. Ainsi, au Luxembourg, la chaîne de supermarchés coopérative du syndicat FNCTTFEL a fini par disparaître, faute entre autres d’une identification de ses membres avec le projet . Autre expérience historique, qui se porte plutôt bien pour le moment : le groupe Oikopolis, avec sa chaîne de supermarchés bio. Il est issu de la Biog, la coopérative de producteurs bio, et constitue la pierre angulaire de l’agriculture écologique au Luxembourg. Mais Oikopolis a aujourd’hui du mal à se différencier, aux yeux des clients, des supermarchés normaux, avec leurs rayons bio proposant les mêmes produits.

Se différencier, c’est plus facile pour les vieux hippies de Park Slope et les jeunes femmes d’Ouni. Ils et elles semblent notamment d’accord sur un principe : il ne s’agit pas de faire du profit. C’est d’ailleurs une explication supplémentaire pour leurs prix relativement modérés. Ensuite, comme l’explique dans le film Joe Holtz, un des fondateurs du projet de Brooklyn : « Plus les gens se sentent connectés à la coopérative – qui leur appartient -, plus la coopérative est forte. Et quand on demande aux gens la chose la plus précieuse au monde – pas leur argent, mais leur temps – et qu’ils le donnent, cette connexion est établie. » À Paris, en parallèle à la réalisation du film, Tom Boothe s’est employé à lancer une coopérative similaire – en novembre, le supermarché « La louve » a ouvert ses portes dans le 18e. Et au Luxembourg, la vague d’enthousiasme autour des petits projets innovants – il n’y a pas qu’Ouni et Mesa – va peut-être conduire à un renouveau de la tradition des coopératives. Acheter de la nourriture, c’est politique !

 

La projection du film et le débat étaient organisés par Etika et de nombreux coorganisateurs

LIENS:

L’épicerie Ouni dans le woxx 1399

Le Cell et la transition dans le woxx 1310

Mesa, la maison de la transition à Esch, dans le woxx 1364

La fin du dernier surpermarché „La coopérative“ dans le woxx 1211

OUNI:

inauguration officielle samedi 21 janvier 2017


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