Guerre et paix
 : Sauver l’Europe autrement

La semaine dernière, une 
nouvelle association dénommée « Pour la paix et contre la guerre » a été présentée à la presse. Entretien croisé avec Claude et Natalia Pantaleoni (président et vice-présidente) ainsi que Susanna Aksenkova – une étudiante ukrainienne aidée par l’association.

Les intervenants de notre interview, de gauche à droite : Susanna Aksenkova, Natalia Pantaleoni et Claude Pantaleoni. (Photo : association Pour la paix et contre la guerre)

woxx : Quand l’idée de fonder « Pour la paix et contre la guerre » est-elle née ?


Claude Pantaleoni : Le moment décisif a été en février 2015, quand j’ai compris que la guerre dans l’est de l’Ukraine n’allait pas s’arrêter de sitôt. Au début, je pensais que les accords Minsk 1 et 2 allaient mettre un terme aux atrocités. Ce soir-là, j’ai discuté avec une réfugiée – que j’avais invitée au Luxembourg – et j’ai vu que cette histoire était plus importante que je ne le pensais. Puis j’ai mis sur pied une initiative personnelle avec des amis et des collègues de travail, pour sensibiliser au fait que la guerre – même si elle ne se déroulait plus sous les projecteurs des médias – continuait et qu’elle produisait des milliers de déplacés. C’était un petit projet au début, au cours duquel nous avons, pendant deux années, aidé une cinquantaine de familles, qui ont quitté leur région à s’installer dans des endroits sûrs. Ce sont des réfugiés, mais on parle dans ce cas de déplacés internes.

Concrètement, sous quelle forme avez-vous aidé ces gens ?


Claude Pantaleoni : Tout s’est fait par un contact avec une femme qui a pu fuir l’Ukraine de l’Est grâce à notre aide matérielle. Puis, ne trouvant pas de travail où elle habitait, elle s’est mise à travailler pour nous et à nous aider à établir des contacts. C’était très important de savoir que l’argent que nous envoyions là-bas arrivait au bon endroit et servait aux bons projets. C’est pourquoi nous avions besoin d’une personne de confiance sur place.

Natalia Pantaleoni : Nous avons demandé des photos, des récépissés et des numéros de téléphone qui nous ont permis de vérifier le bon usage de nos fonds.

Claude Pantaleoni : Et dans ce contexte, j’ai constaté que la paix est en danger en Europe. L’annexion de la Crimée m’avait frappé. Je me suis beaucoup investi dans l’étude de l’histoire des Tatars de Crimée, qui ne cessaient de clamer qu’ils étaient opprimés, qu’ils ne se sentaient pas libres.

Natalia Pantaleoni : J’aimerais ajouter, en tant qu’Ukrainienne, qu’à l’effondrement du bloc soviétique a été signé le mémorandum de Budapest. Cet accord entre la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine et la France prévoyait le démantèlement des armes nucléaires de l’ex-URSS stockées en Ukraine. En contrepartie, les nations signataires s’engageaient à garantir à l’Ukraine sa sécurité, son indépendance et son intégrité territoriale. Mais cet accord n’est pas respecté : des parties de l’Ukraine sont arrachées, la Crimée a été annexée et aucun pays européen n’est prêt à élever sa voix. En fin de compte, cet accord ne garantit rien du tout.

Claude Pantaleoni : Et puis je me suis aussi intéressé à la situation en Lituanie, où les gens vivent dans la peur de connaître une situation semblable – à cause de la grande minorité russe présente dans le pays. Les grands efforts d’armement du côté russe leur font peur, tout comme les grandes manœuvres de l’Otan en cours. Ce qui me fait dire que la paix en Europe, telle que nous la connaissons, n’est plus garantie comme avant. Je pourrais aussi évoquer les attentats en Europe, où l’influence russe joue aussi par le biais des interventions en Syrie, qui contribuent à la déstabilisation du pays. Ces attentats – et la crise des réfugiés – ont provoqué la création en Europe de nouvelles formations politiques qui se nourrissent des peurs des gens. Et tout cela se base sur des guerres, même si celles-ci ont lieu en dehors de l’Europe.

« Poutine et ses généraux appartiennent à une vieille génération, qui se nourrit encore du fiel agglutiné pendant la guerre froide »

Mais quel lien concret existe-t-il entre ces constats et le travail de votre association ?


Claude Pantaleoni : Je vous donne un exemple. Récemment, en Colombie, un accord de paix a été trouvé entre les Farc et le gouvernement. Il s’est aussi fait par l’entremise d’experts venus d’Europe – et qui avaient l’oreille du président, même si celui-ci est a priori de droite. Et là, je me suis demandé : pourquoi ne pas mettre ces expériences au service de la résolution des conflits qui menacent l’Europe ? C’est le troisième point qui m’a motivé – en dehors de l’aide concrète.

Revenons en Ukraine : en jouant l’avocat du diable, la position russe n’est-elle pas aussi compréhensible ? L’Otan à sa porte n’a jamais fait partie des accords…


Natalia Pantaleoni : Partant de ma vision des choses, on doit faire la différence entre un danger réel et un danger imaginaire pour ses propres frontières. Les frontières de chaque État doivent bien sûr être respectées. Et la frontière russe ne commence pas en Ukraine ou en Pologne. Les Russes se sentent menacés par le fait que l’Ukraine veut se rapprocher de l’Europe. Mais l’Ukraine est un État indépendant qui décide par lui-même de ce qu’il fait et de ce qu’il veut pour son avenir.

Claude Pantaleoni : J’ajouterais, pour le dire d’une façon plus différenciée : le régime de Moscou ne représente pas tous les habitants de la Russie. Malheureusement, nous n’avons même pas les moyens de savoir combien de Russes ne sont pas d’accord avec le régime. N’oubliez pas l’histoire de Boris Nemtsov, le député opposant à Poutine assassiné en 2015. Curieusement, il s’apprêtait à publier un rapport (sorti entre-temps sous le titre « Poutine. La guerre », ndlr) sur la présence de l’armée russe dans l’est de l’Ukraine – un fait que la propagande russe nie toujours avec véhémence. La Russie dispose d’hommes politiques qui ne suivent pas la ligne de Poutine, mais malheureusement ils sont loin du pouvoir. Mais Poutine et ses généraux appartiennent à une vieille génération, qui se nourrit encore du fiel agglutiné pendant la guerre froide – ils vivent dans un esprit de revanche qui n’a pas lieu d’être.

« Les gens revendiquaient leur volonté de voir le président partir et exprimaient en même temps leur désir de se rapprocher de l’Union européenne. »

N’est-ce pas une question économique avant tout ? Finalement, dans l’est de l’Ukraine, il y a le Donbass, une région connue pour ses trésors naturels et son industrie.


Natalia Pantaleoni : Cette région était en effet très précieuse à une certaine époque. Mais de nos jours, ce n’est plus le cas pour l’industrie du charbon. Les mines, surtout, sont dans un état catastrophique – elles ne sont plus rentables du tout. C’est pourquoi je ne vois pas l’intérêt économique derrière cette guerre. D’autant plus que les Russes sont en train de fermer leurs propres mines de charbon. Pourquoi alors viendraient-ils en Ukraine pour la même chose ?

Claude Pantaleoni : Pire même, les mines de charbon dans l’est de l’Ukraine sont bloquées, puisqu’elles ne peuvent plus exporter vers le reste du pays. Cela affecte des milliers d’ouvriers, mettant en même temps en péril l’avenir de cette industrie. Une mine non entretenue peut être inondée et donc rendue inutilisable assez vite.

Susanna Aksenkova : Je crois aussi que la perte de la Crimée a infligé à l’Ukraine des dommages économiques pires encore, vu que c’est une région très prisée par les touristes. Cela n’empêche pas que dans la mentalité des habitants de l’est de l’Ukraine, le Donbass est toujours le cœur industriel du pays – depuis le temps de l’Union soviétique jusqu’à nos jours. À côté du charbon, il y a toujours une industrie métallurgique ainsi que de nombreuses entreprises de génie mécanique très présentes et très développées – ce qui peut intéresser le côté russe. D’autant plus que c’est une région ouvrière qui s’identifie encore fortement avec la Russie. Ceci aussi à cause de la politique démographique de l’ex-URSS, qui voulait implémenter une classe ouvrière communiste et internationaliste – des mentalités qui n’évoluent pas d’un jour à l’autre. Mais ça ne change rien au fait que l’État ukrainien achetait le charbon du Donbass à pure perte pour ne pas mettre ses ouvriers à la rue. Ce qui fait que l’infrastructure électrique de tout le pays carbure au charbon du Donbass – alors que le pays pourrait aussi bien fonctionner grâce à d’autres sources d’énergie. Ce qui pose de grands problèmes maintenant et mène à des situations absurdes où l’Ukraine importe du charbon de Russie ou d’Afrique du Sud – alors qu’elle est assise sur d’énormes gisements. Cette situation entraîne bien sûr un marché noir énorme, qui favorise la corruption entre les politiciens de Kiev et les milices prorusses qui officiellement se font la guerre, mais qui font du business derrière les coulisses. Le tout sur le dos de la population civile.

Avant le déclenchement de la guerre, il y a eu l’Euromaïdan. Est-ce qu’il n’a pas aussi été favorisé par des forces politiques pro-occidentales ?


Susanna Aksenkova : Personnellement, je n’ai pas pris part à ces événements. Mais ce que je peux dire, c’est qu’au même moment au Donbass des émeutes ont aussi eu lieu. Certes plus petites et composées pour l’essentiel d’étudiants et d’ouvriers, mais bien réelles et pas déclenchées par influence politique. Car il ne faut pas oublier que médiatiquement parlant, le Donbass subit une influence très forte de la propagande russe – ce qui tient aussi aux structures politiques encore très influencées par le modèle de gouvernement soviétique. Souvent, ce n’est que la façade qui est démocratique, alors que derrière, les structures anciennes du pouvoir – en général corrompues – sont restées intactes. Cependant, des amis à moi ont fait le voyage à Kiev. Selon leurs témoignages, il s’agissait vraiment d’un mouvement populaire et en aucun cas les manifestants n’étaient payés pour protester. Les gens revendiquaient leur volonté de voir le président partir et exprimaient en même temps leur désir de se rapprocher de l’Union européenne. C’est cette volonté qui a fait peur à Poutine, car il ne craint rien plus qu’une évolution similaire dans son pays – ce qui signifierait la fin de son système de pouvoir.

Finalement, quelles sont les actions concrètes et visibles au public que votre association prépare ? 


Claude Pantaleoni : Je vois de plus en plus qu’il faut dépasser les frontières et barrières en Europe, pour agir ensemble pour une perspective de paix. Concrètement, je nous vois surtout comme une association qui – grâce à ses contacts parmi la population civile en Ukraine – peut fournir des informations inédites au public et agir dans les endroits dont la plupart des médias ne parlent pas. On pourrait organiser des conférences et mettre en contact différentes personnes ayant le même but par exemple. Mais avant tout, nous allons continuer notre soutien aux gens là-bas.


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