Le dernier long métrage d’Hirokazu Kore-eda, Palme d’or du Festival de Cannes 2018, évoque avec subtilité et empathie les laissés-pour-compte d’une société qui se rêve homogène. Au Japon, « Manbiki kazoku » (Shoplifters) a embarrassé le gouvernement mais remporté un énorme succès critique et populaire.
Dans la famille Shibata, le papa est un tire-au-flanc, le fils un voleur, la belle-sœur est strip-teaseuse et la maman fait les poches des clients dans la blanchisserie qui l’emploie. La grand-mère héberge tout ce petit monde, qu’elle nourrit avec la pension de retraite de son défunt mari. Un soir glacial de février, père et fils découvrent une petite fille de quatre ans en pyjama devant leur porte. Ils la ramènent dans leur minuscule foyer pour la réchauffer et la nourrir. D’abord réticente, la mère se laisse attendrir en découvrant les nombreuses traces de coups que porte la gamine. C’est ainsi qu’elle est adoptée dans cette famille marginale et chaleureuse, où on gobe ses nouilles en faisant de gros slurps et en se charriant.
Le dernier film d’Hirokazu Kore-eda a embarrassé les autorités japonaises. Le premier ministre Shinzo Abe, qui s’empresse habituellement de féliciter ses compatriotes primé-e-s à l’étranger, n’a pas eu un seul mot pour le réalisateur après qu’il a remporté la Palme d’or du dernier Festival de Cannes. Il faut dire que Kore-eda a lui-même admis, dans un récent entretien au quotidien français « Libération », que son idée était « de sadiser un peu le spectateur ».
« Manbiki kazoku » est un film qui évoque les laissés-pour-compte avec intelligence et empathie, sans hésiter à s’attaquer à certaines contradictions de la troisième puissance économique mondiale. Dans un pays où, paraît-il, on peut oublier son portable dans le métro et le retrouver, quelques heures plus tard, là où on l’avait laissé, il montre, sans les juger, des parents qui apprennent à leurs enfants comment voler. Dans une société qui se rêve harmonieuse, il rappelle que les pauvres existent et que les inégalités se creusent. Dans une nation qui reste attachée à un idéal d’homogénéité ethnique, il fait valoir qu’il y a plus important que les liens du sang et que mieux vaut choisir ceux avec qui on veut faire famille.
L’absence d’honneurs officiels n’a pas empêché le film d’être un énorme carton critique et populaire au Japon, où il a même dépassé en nombre d’entrées le dernier opus de la franchise Pokémon. « Manbiki kazoku » a aussi rencontré le succès dans les autres pays où il est sorti. Car au-delà de la dénonciation nippo centrée, on y retrouve ce thème universel qu’est le besoin de tendresse, de solidarité et de transmission. Et puis l’histoire ne se résume pas à une morale simpliste du type « mieux vaut être pauvre et heureux que riche et dépressif ». Premièrement parce que le portrait de la famille est plus subtil que cela, deuxièmement parce que le scénario ne se résume pas à ce portrait.
Les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. Peu après l’avoir recueillie, découvrant l’attachement pour eux d’une enfant battue et non désirée par ses géniteurs, mère et père d’adoption s’étonnent : « C’est étrange qu’après tout cela elle soit gentille et aimante. J’aurais plutôt cru qu’elle deviendrait comme nous. » On comprend par la suite que si l’affection que se portent les personnages est réelle, leur lien repose sur un enchaînement de secrets indicibles. Ceux-ci vont pourtant remonter à la surface dans la deuxième partie du film.
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L’évaluation du woxx : XXX