Idea et le développement territorial : Que faire du million ?

Oui à la croissance, mais changer de modèle de développement, voilà ce que propose la nouvelle étude du think tank Idea.

« Adapter la fiscalité foncière afin de lutter contre la rétention [des terrains] », voilà une proposition qu’on n’attendait pas forcément de la part d’un think tank proche de la Chambre de commerce. Mais dans son étude « Une vision territoriale pour le Luxembourg », présentée la semaine dernière, la fondation Idea identifie la « rareté du logement » comme un des goulots d’étranglement du modèle de croissance national. Idea va même plus loin et suggère, dans son ultime recommandation, d’adapter la Constitution – notamment afin de s’attaquer au sacro-saint droit de propriété. Conscient de sa transgression politique, le think tank recommande d’aborder le sujet « avec prudence » − après tout, sa première recommandation n’était-elle pas de « convaincre les propriétaires de valoriser leurs terrains » ?

En cette année électorale, les positionnements sur l’avenir du Luxembourg ne manquent pas, mais celui d’Idea ressort par son approche intégrant de multiples intérêts tout en étant résolument procroissance. En effet, parmi les scénarios d’avenir élaborés par le ministère de l’Économie, le chouchou du grand public va être celui de la « circularité bio-régionale », avec tout juste 770.000 habitant-es. Idea justifie son choix d’un scénario de base « maximaliste » en mettant en garde contre des stratégies fondées sur un développement « plus modéré » : « les effets négatifs de la croissance sur le territoire et la société pourraient être renforcés ». Et de rappeler que les problèmes auxquels le Luxembourg fait face ne sont pas simplement dus à un excès de croissance, mais au moins autant à un défaut de stratégie durant plusieurs décennies. Prenant la mesure des enjeux en matière d’environnement naturel et de qualité de vie, les auteurs de l’étude assurent que leur scénario « au fil de l’eau » n’est pas un plaidoyer pour continuer « à politique inchangée ». Au contraire, une poursuite de la navigation à vue mettrait en cause « l’acceptabilité même de la croissance ».

Plutôt que de chercher à résumer les plus de 250 pages de l’étude, disponible en téléchargement libre et sous forme imprimée, relevons quelques-uns de ses éléments marquants. Idea a ainsi le mérite d’aller au-delà de l’« arbitrage ‘mécanique’ entre la croissance économico-démographique et la préservation d’un modèle territorial soutenable ». L’impact de l’accroissement de population des dernières décennies a en effet été multiplié du fait d’une rurbanisation sauvage – qu’on aurait pu éviter et qui devra l’être à l’avenir. Dans cet ordre d’idées, l’étude propose un schéma de développement territorial ambitieux, avec trois « super-agglomérations » appelées à être densifiées et élargies. La carte afférente fera jaser, car on y voit la Nordstad s’étendre jusqu’à Colmar-Berg et l’« Agglo Lux » jusqu’à Mersch. Notons que l’agencement de cette dernière avec l’« Agglo Sud » (de Pétange jusqu’à Dudelange-Bettembourg) préservera une mince bande de la fameuse « ceinture verte » autour de la capitale. Et que les communes rurales de leur côté sont invitées à freiner leur développement – ce qui ne plaira pas non plus à tout le monde.

Super-agglos et freinage rural

Un autre aspect intéressant est l’importance qu’Idea accorde à la planification et la coopération transfrontalières – bien plus concrètement que les habituels discours du dimanche sur ce sujet. Plutôt que de reverser les recettes fiscales des frontalier-ères aux communes limitrophes, l’étude propose d’alimenter des fonds destinés à financer des projets transnationaux, tout en plaidant pour une solution fiscalement favorable au Luxembourg en matière de télétravail. Ce dernier est d’ailleurs un des outils magiques, avec le covoiturage, sur lesquels Idea compte pour atténuer l’impact des 300.000 frontalier-ères supplémentaires sur le réseau routier. Comme la plupart des autres études, celle-ci s’empresse de donner des pourcentages de recours à l’automobile en baisse, mais tait pudiquement les chiffres absolus.

C’est une première faiblesse à relever : il manque à Idea l’imagination ou le courage d’imaginer un scénario de rupture avec l’automobile à l’horizon 2050, alors que des facteurs socio-économiques pourraient transformer ce moyen de transport en un luxe, disloquant alors le modèle de développement territorial et économique actuel. L’étude fait également preuve de timidité sur la possibilité d’augmenter la part de la main-d’œuvre immigrée par rapport à celle frontalière. Enfin, malgré une approche intégrée, le think tank reste captif de la logique techno-économique – des défis comme la « transition justice » ou l’intégration des travailleurs-euses venu-es d’ailleurs ne sont même pas abordés.


Cet article vous a plu ?
Nous offrons gratuitement nos articles avec leur regard résolument écologique, féministe et progressiste sur le monde. Sans pub ni offre premium ou paywall. Nous avons en effet la conviction que l’accès à l’information doit rester libre. Afin de pouvoir garantir qu’à l’avenir nos articles seront accessibles à quiconque s’y intéresse, nous avons besoin de votre soutien – à travers un abonnement ou un don : woxx.lu/support.

Hat Ihnen dieser Artikel gefallen?
Wir stellen unsere Artikel mit unserem einzigartigen, ökologischen, feministischen, gesellschaftskritischen und linkem Blick auf die Welt allen kostenlos zur Verfügung – ohne Werbung, ohne „Plus“-, „Premium“-Angebot oder eine Paywall. Denn wir sind der Meinung, dass der Zugang zu Informationen frei sein sollte. Um das auch in Zukunft gewährleisten zu können, benötigen wir Ihre Unterstützung; mit einem Abonnement oder einer Spende: woxx.lu/support.
Tagged , , , , , , , , , , .Speichere in deinen Favoriten diesen permalink.

Kommentare sind geschlossen.