Industrie : Main invisible, claque réelle

L’avenir de Liberty Steel à Dudelange est de plus en plus compromis, résultat d’années d’errements au cours desquelles les gouvernements ont esquivé leur responsabilité en plaçant toute leur confiance dans le marché.

(Photo : dbmsteel Pixabay)

Le feuilleton Liberty Steel ressemble à une interminable agonie commencée en 2018. Le groupe turc Tosyali, repreneur potentiel du site, a jeté l’éponge, ont confirmé les ministères de l’Économie et du Travail, le 6 mai. Pour les salarié·es, l’information avait commencé à circuler la veille sur une boucle syndicale interne, énième rebondissement d’une affaire qui met leurs nerfs à rude épreuve. Tosyali motive son retrait par le projet de clause de sauvegarde de l’Union européenne pour protéger le marché intérieur contre les importations d’acier à bas prix, en provenance de pays tiers. Le repreneur prévoyait d’importer de l’acier produit hors d’Europe et de le galvaniser à Dudelange.

Il serait tentant de rejeter une nouvelle fois la faute du fiasco sur la Commission européenne. C’est en effet une injonction européenne qui avait déjà amené ArcelorMittal à vendre le site en 2018, pour compenser la reprise – avortée – de la gigantesque aciérie italienne Ilva. Au nom de la libre concurrence, il s’agissait alors d’éviter qu’ArcelorMittal ne prenne une place trop dominante sur le marché européen. La Commission n’avait pas choisi Dudelange, validant, sans trop y regarder, le choix du sidérurgiste luxembourgeois de se séparer d’un site dans lequel il n’avait pas réellement investi depuis des années.

En 2018, le rachat de l’usine par Liberty Steel, le groupe de Sanjeev Gupta, avait été diversement accueilli, entre enthousiasme des politiques et perplexité des syndicats. Leur méfiance s’est justifiée, l’homme d’affaires britannique ayant construit son empire sidérurgique sur un château de sable financier qui s’était effondré en mars 2021, sur fond de « fraude, commerce frauduleux et blanchiment d’argent ». Le scandale avait mis l’usine à l’arrêt, les fournisseurs refusant d’approvisionner une entreprise dont rien ne garantissait qu’elle paierait les factures.

Les gouvernements successifs portent une large responsabilité dans cette débâcle. Quatre ans ont passé depuis la déconfiture financière de Liberty sans qu’aucune solution pérenne n’émerge dans le chef des responsables politiques.

(Photo : Wiki)

Pour les salarié·es, débutait alors une « drôle de guerre » faite d’attente, d’incertitude et d’inactivité forcée dans des locaux où ils et elles se rendaient sans travailler, tout en étant rémunéré·es. Jusqu’à l’été dernier, où les retards de salaires sont devenus récurrents, tandis que l’entreprise s’enfonçait dans les dettes. Placée en faillite en novembre, un nouvel espoir s’était fait jour avec l’annonce de Tosyali de relancer cet outil dont le LCGB et l’OGBL s’échinent à répéter qu’il demeure performant.

Un nouveau défi s’ouvrait alors : comment conserver le personnel apte à redémarrer l’activité alors qu’il était mis au chômage ? Une question à laquelle le ministre du Travail n’avait pas su répondre, prenant le risque de voir Tosyali reculer, faute de combattants, alors que les effectifs ont fondu de 280 à 130 salarié·es en quatre ans. C’est finalement le protectionniste européen qui est avancé par le groupe turc pour justifier son renoncement.

Alors à qui la faute ? À l’UE et à son plan de sauvegarde réclamé par les sidérurgistes européens ? À ArcelorMittal qui s’était débarrassé de l’usine à bon compte ? Aux douteuses acrobaties financières de Sanjeev Gupta ? Sans nul doute, les gouvernements successifs portent une large responsabilité dans cette débâcle. Quatre ans ont passé depuis la déconfiture financière de Liberty sans qu’aucune solution pérenne n’émerge dans le chef des responsables politiques. Un temps avancée par les syndicats, l’entrée au capital de l’État avait été écartée au nom du libre marché, dont la «  main invisible » vient d’administrer une magistrale claque aux salarié·es. Cela augure mal de l’avenir industriel du pays dont Luc Frieden vient encore d’affirmer qu’il est une priorité.


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