L’après-Covid : La crise qui vient

Autant que le virus lui-même, ce sont les conséquences économiques de la pandémie qui font peur. Dans une société qui ne s’est toujours pas totalement remise de la crise financière de 2008, l’insécurité règne.

Il s’est attiré les foudres de la Chambre de commerce : le ministre du Travail Dan Kersch. (© SIP)

Come on baby, eat the rich

Put the bite on the son of a bitch

Don’t mess up, don’t you give me no switch

Come on baby, and eat the rich

Come on baby, and eat the rich



(Lemmy Kilmister/Motörhead)


Alors qu’on avance vers un déconfinement contrôlé et à petits pas, beaucoup redoutent ce qu’ils vont trouver en retournant à leurs lieux de travail et de vie. Pas uniquement les indépendant-e-s, qui voient leur avenir compromis, mais toutes et tous les travailleurs et travailleuses – à l’exception peut-être des fonctionnaires. C’est que déjà la « normalité » d’avant-crise n’était pas un état idéal, comme on voudrait le voir aujourd’hui, mais un système ségréguant de plus en plus les riches des pauvres.

Le 8 avril, le Statec a fait état d’une hausse de 11 pour cent des prix du logement au Luxembourg, signe que l’aggravation de la situation n’a en rien été palliée par les mesurettes timides mises en avant par la politique. Un état de choses qui ne prédit rien de bon pour l’avenir proche, car la question du logement divise la société luxembourgeoise depuis des décennies. Et les expert-e-s sont formel-le-s : la crise de la Covid-19 risque d’accroître les inégalités. Le Liser (Luxembourg Institute of Socio-Economic Research) a réuni un panel impressionnant de chercheuses et chercheurs pour analyser l’impact économique du virus, ainsi que du confinement qui en a été la conséquence. Dans sa première note de travail, celui-ci constate au sujet des plus précaires : « Comme les travailleurs dans les industries sujettes au confinement ont des revenus moins importants dès le début, nous pouvons redouter une hausse des inégalités. Des estimations très préliminaires et provisionnelles suggèrent qu’un court confinement ne va pas trop faire augmenter les chiffres de la pauvreté et les indices d’inégalité calculés sur l’année. Pourtant, beaucoup de salariés dans les industries sujettes au confinement (dans la vente, l’hôtellerie et la restauration par exemple) peuvent souffrir des pertes de revenus. Des mesures fiscales sont nécessaires pour compenser leurs pertes. De plus, l’effet sur le bien-être va bien au-delà de l’impact financier de la crise. Des pertes d’aides sociales sont plus préjudiciables pour les professionnels de la santé et pour des minorités comme des ménages singuliers ou sans accès à l’internet. »

Des inégalités qui risquent de se creuser donc, d’autant plus qu’elles ne semblent pas être la priorité des têtes pensantes qui imaginent l’après-crise.

Ainsi, la fondation Idea – proche de la Chambre de commerce – avait invité cette semaine à une conférence de presse virtuelle dans laquelle elle présentait ses analyses du plan de stabilisation et ses prévisions.

Le plan luxembourgeois accorde une grande confiance aux banques

Première chose constatée : le plan luxembourgeois diffère largement des plans français et allemand. De par sa taille en premier lieu : en pourcentage du PIB, 14 % au Luxembourg contre 17 en France, et même 47 outre-Moselle. « Sous cet aspect, le plan de stabilisation peut paraître sous-dimensionné », estime Sarah Mellouet de l’équipe Idea. Et de pointer encore une autre différence, celle de la composition du plan de stabilisation. Alors que la France et l’Allemagne dépensent les trois quarts de leurs moyens dans les garanties pour prêts bancaires, le grand-duché n’y consacre que 28 % et met davantage de moyens (55 %) dans les avances de liquidités. La seule constante dans les trois plans est que les aides aux entreprises et aux salarié-e-s représentent la part la plus petite (17 % au Luxembourg, 14 en Allemagne et 8,8 en France). Sarah Mellouet en déduit la question suivante : « Le Luxembourg fait-il trop confiance aux banques dans ce contexte ? Surtout dans leur capacité à accorder des crédits aux sociétés non financières ? ».

En ce qui concerne les prévisions, c’est bien sûr la croissance qui trinque et qui préoccupe le plus Idea. Dans sa présentation, Muriel Bouchet, autre membre de l’équipe du think tank, voit venir une perte de croissance de 4,2 % pour 2020 (avec, il est vrai, un rebond « mécanique » de 4,8 % pour 2021). Le pays perdrait tout de même vers fin 2021 5 % de son PIB, soit trois milliards d’euros – par rapport à un scénario sans crise. Et cela dans la perspective d’un confinement qui s’arrêterait fin avril. Or, entre-temps, nous savons que le gouvernement n’a pas choisi ce chemin et que le déconfinement progressif va durer bien plus longtemps. Actuellement, il n’y a même pas de date pour la réouverture de la restauration et autres commerces. Donc, l’impact de la crise sera encore plus fort que calculé par l’expert d’Idea – surtout que ce dernier n’a pas inclus la possibilité d’une deuxième vague d’infections, qui pourrait ramener le pays à un prochain shutdown dès l’automne.

La stratégie luxembourgeoise est donc risquée, et la panacée espérée reste un retour de la croissance dont le pays dépendait déjà avant la pandémie. Que les expert-e-s d’Idea ne cautionnent pas trop l’idée que les inégalités se creuseront après la crise est dans la nature des choses. Certains membres du patronat – comme Roland Kuhn, président de la Fédération des entreprises de construction, qui pèse sur le débat avec sa demande de liquider les congés collectifs –, veulent saper les acquis sociaux. À la remarque du woxx à ce sujet, la réponse – à titre personnel – d’un des membres d’Idea a été claire : « M. Kuhn est dans son rôle, tout comme le sera une Nora Back de l’OGBL quand elle dira le contraire. »

© Backhuysen – Wikimedia

Trancher dans ces situations n’est pas chose facile. On le constate dans les tribulations du ministre du Travail, Dan Kersch. S’il a affirmé suite aux questions du woxx sur la sécurité des acquis sociaux après le confinement que « les larges épaules devront porter plus que les faibles » et que, en tant que ministre, il est là « pour les personnes qui seront les plus mouillées », il s’est tout de même pris en pleine tronche une lettre enragée de la Chambre de commerce, de la Fédération des artisans et de l’Horesca pour ses propos sur les indépendant-e-s qui ne pourraient bénéficier de certaines des mesures prévues par le gouvernement. Alors que tout ce que Kersch voulait dire était que celles et ceux qui s’étaient empli les poches avant la crise ne pourraient réclamer l’aide publique de la même façon que celles et ceux qui déjà avant vivaient avec le minimum. Pas sûr que le chef de gouvernement libéral apprécie les saillies gauchistes de son ministre ; pas sûr non plus que la coalition survive aux épreuves qui l’attendent.

Mais ce n’est pas le seul problème : le risque de pauvreté, déjà très élevé au Luxembourg, va s’accroître pour toutes et tous, indépendant-e-s ou pas. Le logement va rester une préoccupation, alors qu’au plus fort de la crise le gouvernement ne veut absolument pas toucher aux propriétaires – même si ces derniers-ères continuent à demander des loyers, souvent exorbitants, à des gens dont les revenus se sont effondrés.

S’ajoute finalement la question des résident-e-s étranger-ères sans droit de vote, donc sans aucun contrôle sur des mesures gouvernementales qui les touchent plus durement que d’autres, alors qu’ils contribuent à l’impôt comme tout le monde.


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