Luxleaks : Voleurs malgré tout ?

Le procès en cassation Luxleaks est une affaire de principe pour les lanceurs d’alerte – reconnus comme tels par la Cour d’appel, mais condamnés pour vol. Si la Cour de cassation n’y trouve rien à redire, la voie est libre pour la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.

(Photos : © woxx)

La situation d’Antoine Deltour et de Raphaël Halet, les deux lanceurs d’alerte dans l’affaire Luxleaks, est plus que paradoxale. Surtout en ce qui concerne le premier prévenu. Alors que la Cour d’appel avait reconnu son statut de lanceur d’alerte – selon les jurisprudences européennes – lorsqu’il a passé les données dérobées à son ancien employeur PricewaterhouseCoopers (PWC) à Luxembourg et même avant qu’il les ait copiées, elle restait sur le fait que la subtilisation elle-même était du vol. Une ligne argumentaire que l’avocat de PWC a reprise jeudi matin dans sa plaidoirie, où il a comparé Deltour à un voleur de voiture qui se défendrait avec l’argument qu’il aurait sauvé une personne en détresse grâce à l’automobile volée. Question mauvaise foi, on est servi. Car entre une voiture et des documents qui prouvent que PWC et l’Administration des contributions directes ont travaillé main dans la main pour aider des multinationales à échapper aux impôts et ainsi priver le secteur public de centaines de millions d’euros, il y a une grande marge. On devrait peut-être confronter l’avocat de PWC avec la commissaire européenne à la concurrence Margarethe Vestager, qui a notamment utilisé les documents Luxleaks pour condamner l’Irlande et le Luxembourg.

Ce serait mieux si les juges de la Cour de cassation approuvaient la décision de leurs confrères.

La Cour de cassation se retrouve ainsi entre le marteau et l’enclume. Si elle approuve le jugement en appel, qui est tout de même contradictoire et ne s’est pas approché du cœur même du problème – la légalité ou non des tax rulings révélés -, elle s’expose au scepticisme quant à son indépendance de la place financière. Et si elle casse le jugement de la Cour d’appel – ce dont Deltour et Halet sont en fait demandeurs, le procès en cassation ne se fait pas contre eux, mais à leur demande -, tout ce beau cirque reprendra de nouveau à zéro. Dans un certain sens, ce serait mieux si les juges de la Cour de cassation approuvaient la décision de leurs confrères. Car cela ouvrirait la voie vers l’instance strasbourgeoise, qui sûrement verra l’affaire d’un autre œil et dans un autre contexte. Comme celui justement des décisions prises par la commissaire Vestager. À cela s’ajoutent en toile de fond les discussions de plus en plus importantes sur une meilleure protection des lanceurs d’alerte au niveau européen, et aussi les vagues d’indignation qu’ont provoquées la publication récente des « Paradise Papers », qui ont remis en question la moralité, voire la légalité, de l’optimisation fiscale. La cour de Strasbourg pourrait donc tout simplement établir l’illégalité du système des rulings, mis en place sous Jean-Claude Juncker.

La décision de la Cour de cassation tombera le 11 janvier. Jusque-là du moins, l’image et le rôle du Luxembourg seront encore en suspens. Peut-être que la période des fêtes sera propice à une réflexion plus approfondie sur le sujet ? Car une chose est sûre et certaine : le Luxembourg, qu’il le veuille ou non, joue un rôle crucial dans la spirale des inégalités dont souffre notre planète. Et à cela, aucun nation branding ni space mining ne changeront rien. Il est encore temps, avant que la situation ne se retourne contre le pays. Comme cela arrive en ce moment à PWC Luxembourg : le journaliste Édouard Perrin vient de déposer une plainte contre la société d’audit « aux fins de rétractation d’une ordonnance rendue sur requête » devant le tribunal de grande instance de Metz – dans le contexte de la perquisition musclée de gendarmes dans la maison de Raphaël Halet à la suite des révélations…


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