La Maison de retour était censée offrir une alternative à la détention et un encadrement adapté aux familles et aux mineur·es. Un an après son « implémentation », elle est loin d’être à la hauteur des revendications de longue date.

Suite à une visite des député·es à la Maison de retour au printemps de cette année, quelques critiques se font déjà entendre. Un seul tapis de jeu « aussi grand que le pupitre [de l’orateur à la Chambre] » au centre du hangar fait fonction d’aire de jeu, décrit le député Marc Goergen (Piraten) dans une séance publique. « Le tapis est plus grand que cela », ripostera Gloden peu après. (Copyright : Chambre des députés)
Pour ces délégations, les modèles des pays voisins doivent servir d’inspiration afin de créer des structures similaires au grand-duché, où les familles avec enfants mineur·es sont encore placées dans le Centre de rétention, une structure de détention fermée. Selon l’Ombudsman et le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, la détention d’enfants pour des motifs migratoires est à éviter à tout prix. L’accord de coalition de 2013 mentionnait la création d’une structure offrant une alternative à la détention, reprenant une revendication de longue date de la société civile.
Pourtant, malgré les promesses politiques, la mise en place d’un tel centre s’avère lente, les gouvernements successifs se heurtant au manque de terrains et de bâtiments disponibles. Sept ans après la première visite en Belgique, le ministre Jean Asselborn (LSAP) affirme pouvoir implémenter une telle maison « une fois la question des infrastructures clarifiée ». Avec l’arrivée au pouvoir du gouvernement CSV-DP, la promesse se répète dans l’accord de coalition. La création d’une telle structure permettrait « la fermeture définitive de la SHUK conçue, il y a des années, en tant que structure ‘temporaire’ », réagit alors avec espoir le Lëtzebuerger Flüchtlingsrot (LFR). Présentée en 2017, la Structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, abréviée en SHUK, héberge à ce moment déjà des personnes réfugiées déboutées ou devant quitter le Luxembourg pour un autre pays de l’UE en raison du règlement Dublin III. Au lieu d’une privation de liberté, comme dans le Centre de rétention, iels sont soumis·es à une assignation à résidence. Pourtant, des associations comme Passerell déplorent l’atmosphère pénitentiaire et un manque d’intimité du site (« Passerell dénonce les conditions de vie des demandeurs d’asile au Kirchberg », woxx en ligne) – des conditions délibérément précaires pour « éviter que les personnes (…) ne s’acclimatent au Luxembourg », comme l’avait affirmé Asselborn. Les familles avec enfants n’y sont effectivement pas envoyées.
Changement de nom

Loin d’être adaptée aux enfants, la « Maison retour » implémentée suite aux revendications de longue date de la société civile fait à nouveau l’objet de critiques. (Copyright: Giulia Thinnes)
Contrairement au ministre socialiste, les ministres de la Famille Max Hahn (DP) et des Affaires intérieures Léon Gloden (CSV), désireux d’« encourager le recours au retour volontaire », n’attendent pas l’arrivée d’une structure adéquate. En septembre 2024, la Maison de retour ouvre ses portes au Kirchberg. Semi-fermée, sous surveillance et avec une occupation maximale de 180 personnes, elle accueille dorénavant des personnes déboutées ou tombant sous le règlement Dublin III qui ont accepté un retour « volontaire ». Y sont incluses en particulier des familles avec enfants mineurs. Encadrées par un soutien psychosocial, les personnes reçoivent une aide financière allant de 300 à 4.500 euros pour faciliter leur retour au pays.
La promesse a été tenue, mais avec un gros bémol : un nom remplaçant l’autre, la Maison de retour se trouve au même endroit que l’ancienne SHUK, si dénoncée pour ses conditions peu adaptées au respect d’une vie digne. La structure est en effet identique : loin d’être une maison dotée d’une cuisine et d’aires de jeux, comme c’est le cas en Belgique, la Maison de retour reste le hall 6 de Luxexpo, c’est-à-dire un hangar avec des installations minimales et précaires, des tentes, des murs sans toit et des lits de camp posés sur un sol en béton.
La société civile, qui a pu visiter le site un mois après son ouverture, se montre néanmoins optimiste, saluant prudemment la mise en place de ce que le gouvernement désigne comme un « projet pilote ». En 2024 donc, elle espère recevoir plus d’informations, alors que le ministère annonce vouloir coopérer avec le LFR pour améliorer les conditions de vie et éviter que la Maison de retour, tout compte fait, soit un autre centre de rétention.
Une année plus tard, ces espoirs se sont évaporés : « On a changé le nom et on y a placé des enfants, alors que les conditions ne se sont pas améliorées. Rien n’a changé », fustige le directeur de l’Asti, association membre du LFR, Sérgio Ferreira auprès du woxx. Le collectif LFR a été invité à une seule réunion, au printemps de cette année, mais très peu d’informations nouvelles ont été divulguées. « On se sent déçus. L’intention initiale était de créer des petites structures de maisons de retour à plusieurs endroits », rappelle le directeur, qui critique le fait que les points de vigilance concernant l’accompagnement psychosocial et la scolarisation des enfants accueilli·es persistent.
Prise de position de la CCDH
Une prise de position récente de la Commission consultative des droits de l’homme (CCDH) analysant les conditions de vie dans la structure lui donne raison. « À l’heure actuelle, il semblerait que les conditions d’accueil n’aient connu aucune amélioration significative. Ce statu quo révèle un manque de volonté politique ainsi qu’un désintérêt préoccupant du gouvernement pour la protection des personnes en quête d’asile et donc pour le respect des droits humains », écrit la CCDH. L’effectif du personnel psychosocial encadrant les personnes vivant dans la Maison de retour donne la mesure des priorités du gouvernement : cinq encadrant·es psychosocial·es travaillent dans la structure, contre treize agents de sécurité. L’assignation à résidence est certes une alternative à la rétention, mais dans la Maison de retour, la surveillance est constante et il est obligatoire d’être présent·e entre 23 heures et 8 heures du matin, constate l’analyse publiée le 10 octobre. Alors, plutôt « qu’une approche centrée sur l’accompagnement social et humain », la pratique témoigne d’une « logique sécuritaire » incompatible avec les droits et besoins spécifiques des enfants.
Bien que les maisons de retour aux Pays-Bas et en Belgique ne soient pas exemptes de critiques, le Luxembourg ne semble pas avoir tiré de leçons de ses visites. Ne disposant ni de cuisines ni d’espaces communs ou de loisirs pour développer des activités, le hall au Kirchberg n’est tout simplement pas adapté aux familles avec enfants, estime la CCDH : « Cloisons minces, nuisances sonores, absence d’intimité, pièces sans fenêtres, obscurité renforçant l’insécurité, peu ou pas d’espaces pour jouer ou se concentrer », ainsi que des installations sanitaires en dehors de la structure principale, pointe la commission. Quant au tapis de jeu et aux quelques jouets qui y sont placés, cette tentative de créer une zone ludique au centre du hangar ne ferait qu’illustrer davantage un « manque de considération ».
Impossible de réaliser des travaux de construction majeurs ou d’ajouter « une balançoire », justifie cependant Gloden lors d’une séance publique en mars, le gouvernement louant le hall de Luxexpo. Interpellés, le ministère des Affaires intérieures et le ministère de la Famille n’avaient pas encore répondu aux questions du woxx à l’heure du bouclage de ce numéro. Aux Pays-Bas, l’encadrement dans les maisons de retour est adapté : « Les membres du personnel ont souvent vécu eux-mêmes la migration, de sorte qu’ils comprennent très bien les problèmes et soucis des personnes dont ils s’occupent », note le Ronnen Dësch dans un article. Les personnels de la Maison de retour luxembourgeoise sont « spécialement formés […] et disposent d’une longue expérience, y compris pour ce qui est de la prise en charge de familles accompagnées d’enfants », affirment pour leur part les ministres Hahn et Gloden. Les encadrant·es n’ont pas de formation particulière pour l’enfance, rétorque la CCDH, ce qui « accentu[e] la vulnérabilité des enfants et des familles ».
Un point positif : la scolarisation des enfants qui se poursuit. Or, là aussi, la CCDH avertit : les enfants poursuivant des cours le font dans des classes au Kirchberg, ce qui « entraîne un changement brutal d’environnement ». En découlent des troubles physiques et mentaux – isolement, stress, dépression, anxiété ou encore insomnie. La commission revendique le droit des parents et des enfants à pouvoir continuer la scolarisation dans l’établissement que l’enfant fréquentait avant son assignation à la structure.
Une forme alternative de détention
La prise de position de la CCDH conteste aussi la notion de retour « volontaire ». Alors que l’assignation à résidence est prévue pour un total de six mois pour les personnes déboutées et de douze mois pour les cas Dublin, elle suppose une mesure de contrainte, estiment les expert·es de la commission. Car à l’opposé d’un consentement libre, l’option de retour « volontaire » est en réalité la seule alternative viable pour beaucoup de personnes. Depuis plusieurs années, de plus en plus de personnes déboutées ou dont le recours n’a pas encore abouti doivent faire face à la décision de se retrouver dans une situation de sans-abrisme ou d’accepter un retour (« Politique d’accueil : signaux d’alerte », woxx 1829). C’était le cas, par exemple, d’une famille congolaise déboutée qui avait été expulsée d’une structure de l’ONA. « Il leur reste toujours la possibilité d’accepter un hébergement au sein de la Maison de retour dans le cadre d’un retour volontaire », réagissait alors le ministre Hahn.
Or, le fait d’expulser des personnes d’un centre de l’ONA « empêche les concernés le plus souvent de faire valoir leurs droits de recours », puisque l’accès aux droits n’est « nullement garanti dans ce cas », note l’Ombudsman dans son rapport annuel de 2024. La CCDH dénonce vivement la pratique, constatant qu’elle vide la notion de « retour volontaire » de son sens : « La ‘Maison de retour’ ne doit pas être outillée pour dédouaner l’ONA de ses responsabilités envers les personnes qui y sont hébergées, ni être utilisée pour faire pression sur les personnes concernées et les pousser à renoncer à leur recours en justice. » Pourtant, en dépit des vives dénonciations, les déguerpissements se poursuivent, même pour celleux bénéficiant déjà d’une protection internationale. Face aux mois d’hiver qui viennent, la détresse augmente (« Wohnungskrise: Mut in der Not », woxx 1853). « Placer une famille dans une situation où le refus du retour entraîne la mise en danger de ses conditions de vie, de leur santé ou de l’accès à l’éducation constitue une atteinte grave à leurs droits humains », tranche la CCDH. Le gouvernement devrait permettre l’accès à des entités indépendantes de contrôle pour améliorer et garantir les critères minimaux de salubrité et de sécurité, mais aussi prévoir « de vraies alternatives à la rétention », telles qu’une obligation de se présenter régulièrement ou le dépôt d’une garantie de sécurité, afin de rendre un retour véritablement volontaire.
La conclusion de la commission est claire : sous le couvert du nom repris des centres belges et néerlandais, la Maison de retour au Kirchberg représente non pas une alternative à la détention, mais une « forme alternative de privation de liberté ». La CCDH revendique « l’interdiction absolue de détenir des enfants pour des motifs migratoires », la pratique constituant une violation des droits de l’enfant, comme l’avait aussi jugé le Comité des droits de l’enfant des Nations unies en 2022 dans une affaire condamnant… la Belgique, pour avoir détenu 20 enfants entre 2018 et 2019 dans un centre fermé, alors que c’était justement après une condamnation similaire par la Cour européenne des droits de l’homme que le pays s’était vu obligé, en 2008, de créer ses maisons de retour plus dignes. Au grand-duché, le placement en rétention des personnes mineures n’est pas interdit. Une proposition de loi à cet égard, déposée en 2020, se trouve toujours en commission.
Bien que la structure ait pour but d’encourager les retours, et malgré le nombre de personnes déboutées qui, lui, a bondi entre 2023 et 2024 de 26 %, les chiffres n’illustrent pas l’augmentation souhaitée. Entre janvier et juillet de 2025, 37 personnes sont retournées de manière « volontaire » dans leur pays en 2025, contre 48 pour la même période en 2024. Pour le LFR, plus de douze mois après la « création » de la structure présentée comme étant « temporaire », elle représente « un aveu d’échec » structurel, conclut Sérgio Ferreira : « On en parle depuis une dizaine d’années. Le gouvernement affirme être dans un mode d’urgence, mais, à un moment, il faut que le Luxembourg assume ses responsabilités internationales. » Le collectif réclame une refonte du concept de la structure et insiste sur le fait qu’une autorisation de séjour doit être accordée dans les cas où un retour s’avère impossible dans les délais prévus, pas seulement en fonction du manque de main-d’œuvre au Luxembourg.
Selon le ministère, la Maison de retour perdurera « aussi longtemps qu’une structure adéquate n’aura pas été trouvée pour la remplacer et tant que le site de la Luxexpo reste exploitable ». Entre-temps, le hall avec ses tentes, déjà utilisé pour la première fois en octobre 2015 en tant que « centre d’accueil d’urgence pour primo-arrivants » temporaire, se pérennise. Le provisoire devient permanent et ses conditions de vie contraires aux droits de l’enfant deviennent la norme.

