Patrimoine culturel : L’inventaire avant le désastre

Pour mieux protéger le patrimoine, l’État veut en dresser un inventaire exhaustif pour ne plus devoir intervenir en pompier quand il est bien trop tard.

C’est son premier projet de loi, et il a déjà passé le cap du Conseil de gouvernement : Sam Tanson (Déi Gréng) a hérité d’un lourd fardeau qui a placé des générations de ministres de la Culture devant un dilemme presque inextricable, à savoir concilier la protection du patrimoine culturel d’une part et la sacro-sainte propriété privée de l’autre.

Pour faire mieux que ses prédécesseur-e-s, la ministre a opté pour un changement de paradigme : au lieu de courir après chaque situation d’urgence où des éléments du patrimoine semblent en danger, il s’agit plutôt de dresser un inventaire national aussi exhaustif que possible, pour déterminer à l’avance ce qui est intouchable, ce qui nécessite une surveillance rapprochée ou ce qui – par défaut – peut être sacrifié. Un vrai travail d’Hercule qui demandera une dizaine d’années.

Il s’agit donc d’une refonte complète d’une loi datant de 1983 et qui était insatisfaisante dès le départ. Robert Krieps (LSAP), ministre de la Culture de 1984 à 1989, s’était en effet plaint lors d’une exposition qui avait documenté en 1987 les destructions en cours de plusieurs quartiers de la ville : « Je veux bien classer toutes ces bâtisses, mais je n’ai pas un sou pour indemniser les propriétaires ! », ajoutant « off the record » qu’à vrai dire il ne pouvait rien faire contre la destruction du patrimoine architectural livré à la spéculation et aux plus-values que permettait le plan d’aménagement général (PAG) de la capitale de l’époque.

Plus de 35 ans plus tard, la loi est toujours en vigueur. Mais la mentalité a quelque peu changé, et la Ville de Luxembourg, pour la citer en exemple, a défini de plus en plus de zones protégées. Sauf qu’elle a priorisé les ensembles en délaissant les bâtiments individuels, dont le voisinage est déjà devenu la proie des bulldozers au fil du temps.

Un conflit revenu au premier plan au moment où l’ancienne échevine de la Ville de Luxembourg est devenue ministre de la Culture : un de ses premiers actes administratifs a été la mise sur l’inventaire supplémentaire de plusieurs maisons individuelles au Limpertsberg, situées en dehors de la zone de protection prévue par le PAG. Ce classement s’est fait contre l’avis du conseil communal et contre celui de la plupart des propriétaires.

La mise sur l’inventaire supplémentaire impose qu’avant toute transformation, voire destruction, les services du ministère soient informés et donnent leur accord. L’inventaire supplémentaire ne signifie cependant pas un classement définitif : dans bien des cas, des bâtiments en ont été retirés – notamment après que les tribunaux eurent constaté que l’intérêt public n’était pas établi, ou quand l’indemnité à verser au propriétaire, qui n’aurait alors pas pu réaliser son projet, était telle que l’État n’était pas en capacité de l’assumer.

Commune vs État

Dans les cas litigieux actuels – où le ministère a pris une autre position que la commune –, la jurisprudence devra établir si les arguments scientifiques, basés sur des conventions internationales ratifiées par le Luxembourg, prévaudront. Mais elle donnera aussi l’ordre de grandeur qu’il faudra prévoir pour les indemnisations.

Comme le texte de la nouvelle loi – qui ne se limite pas au seul patrimoine architectural, mais intègre aussi le patrimoine archéologique et le patrimoine immatériel – n’a pas encore été mis à disposition de la presse, nous y reviendrons plus en détail dans les semaines à venir.

Reste cependant la question de savoir si un inventaire exhaustif dressé au préalable, renforcera la protection du patrimoine culturel vis-à-vis du droit des propriétaires de jouir pleinement de leur bien. Comme les inventaires seront publiés par règlement grand-ducal et soumis à une consultation publique – un peu comme les PAG –, il est à espérer que les procédures de classement ne connaîtront plus les mêmes entraves qu’actuellement. Hélas, seules trois petites communes sont déjà inventoriées selon les critères de la nouvelle loi. Pour les autres, tant que l’inventaire définitif ne sera pas dressé, l’inventaire provisoire de 1983 va perdurer, même si la loi est votée dans les meilleurs délais.


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