#PegasusProject : Le cœur (financier) de NSO bat au Luxembourg

Clouée au pilori à la suite les révélations du Pegasus Project, mais dénoncée pendant de longues années : c’est depuis 2014 que la firme israélienne NSO a des liens très étroits avec le grand-duché et sa place financière.

(©pxfuel)

Déjà en 2019, NSO et sa présence au Luxembourg avaient fait parler d’eux. La suspicion qu’un logiciel vendu par la firme à l’Arabie Saoudite aurait été utilisé pour traquer et assassiner le journaliste Jamal Kashoggi à Istanbul avait provoqué deux questions parlementaires du député David Wagner. À l’époque les ministres Étienne Schneider et Jean Asselborn avaient nié toute responsabilité luxembourgeoise, en mettant en avant que NSO était une firme israélienne qui tombe sous les lois de son État et qu’ils ne pourraient rien faire sur base « d’allégations formulées dans la presse ».

Une tactique que Jean Asselborn a aussi tenté de déployer devant la presse ce mardi matin en marge d’une conférence de presse dédiée au Pacte national entreprises et droits de l’homme. Face aux révélations d’un consortium de journalistes dirigé par l’ONG parisienne Forbidden Stories, qui font état de 50.000 téléphones ciblés dont ceux de journalistes, opposant-e-s politiques et activistes, le ministre a tenté de minimiser le rôle joué par le grand-duché : « À ce que j’en sais, NSO a deux filiales au Luxembourg et n’a jamais demandé une licence d’exportation. » Ces licences sont surtout nécessaires pour exporter des biens « dual use », donc militaires et civils, sous lesquels tombent aussi des logiciels d’espionnage comme Pegasus. Asselborn a continué de renvoyer la responsabilité vers Israël qui se serait engagé à contrôler ses licences d’exportation données à NSO.

Mais l’affaire n’est pas si simple. D’abord, parce que NSO n’a pas que deux filiales qui feraient du Back Office, comme l’a formulé le ministre. Un rapport publié fin mai par les ONG Somo, Amnesty International et Privacy International appelé « Operating from the Shadows », que nous avons recoupé avec les données disponibles au registre de commerce, indique une autre réalité. Fondé en 2010 en tant que start-up israélienne, les premières années de NSO (le nom indique les initiales des fondateurs Niv Carmi, Shalev Hulio et Omri Lavie – Carmi ayant quitté la boîte quelques années plus tard), ne montrent pas encore ce désir d’expansion qui va venir plus tard. Un seul subsidiaire est fondé au Royaume-Uni au nom de PFOS Technologies Ltd, qui serait en charge du marketing pour NSO.

Les choses se complexifient à partir de mars 2014 et l’entrée de Francisco Partners au capital de NSO. Ce fonds d’investissement spécialisé dans la technologie, évidemment californien, achète 70 pour cent des parts de NSO. En même temps les fondements de la structure luxembourgeoise voient le jour. À travers une holding basée aux Îles Caïmans est fondé OSY Technologies sàrl, qui à son tour contrôle une boîte israélienne en possession de toutes les parts de NSO. OSY Technologies va d’ailleurs apparaître sur la fiche de transparence de Michael Flynn, l’ex-général et conseiller à la sécurité nationale – pour quelques mois – sous Donald Trump, qui a dû quitter ses fonctions à cause de ses liens trop étroits avec la Russie et pour avoir menti ouvertement au vice-président Mike Pence. Il sera d’ailleurs gracié par Trump juste avant que ce dernier ne quitte son poste. Flynn, avant d’entrer à la Maison Blanche, aurait reçu 40.000 dollars de la sàrl luxembourgeoise, pour ses services rendus à NSO.

Mais l’expansion sous l’égide de Francisco Partners ne s’arrête pas là. Petit à petit tout un réseau de boîtes est mis en place : de nouvelles structures luxembourgeoises comme Q Cyber Technologies, mais aussi des structures à Chypre et en Bulgarie – le seul pays européen à avoir donné une licence d’exportation à NSO (une licence apparemment pas renouvelée en 2020, selon la firme). Toutes sont chapeautées par des holdings luxembourgeoises qui continuent à contrôler la maison-mère. Une hypothèse pour donner du sens à cette construction est que Q Cyber Technologies au Luxembourg aurait servi à organiser les ventes du logiciel à travers les licences bulgares.

Enfin une troisième phase de croissance mêle des structures enregistrées aux Îles Vierges britanniques et en Israël aux holdings luxembourgeoises qui à leur tour détiennent une boîte au Delaware américain – le rêve américain de NSO n’étant pas abandonné – et les succursales chypriotes et bulgares. Mais en 2019, Francisco Partners se retire totalement, la nébuleuse NSO est reprise en main par ses fondateurs en association avec Novalpina, une boîte d’investissement londonienne.

Une restructuration complète en est le résultat, avec presque une vingtaine de sociétés, sàrl et sociétés en commandite spéciale luxembourgeoises, à la clé. Ce qui pourrait, selon le rapport, indiquer que le plan de NSO était d’entrer en bourse en Israël. En tout cas, la structure complexe sent bien aussi l’optimisation fiscale – qui rajoute encore une couche sur la nature déjà pas très nette du business poursuivi par NSO. D’ailleurs, comme le Guardian l’indique, les nouveaux partenaires sont déjà passés par la justice luxembourgeoise pour des querelles internes.

En tout cas, sans la place financière luxembourgeoise, ses services et ses nombreux facilitateurs, NSO n’aurait pas pu connaître une expansion semblable et vendre son logiciel partout dans le monde.


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