Des entités de Greenpeace ont été condamnées à payer une amende record de plus de 660 millions de dollars pour diffamation à l’encontre d’une entreprise pétrolière. Une procédure-bâillon qui menace la survie de l’antenne américaine de l’ONG et qui, plus largement, doit nous alerter, en tant que citoyen·nes, sur le recours de plus en plus fréquent à des méthodes visant à réduire au silence les voix dissidentes.

Greenpeace refuse d’être réduite au silence et a décidé d’attaquer Energy Transfer en retour. (© Markus J. Feger/Greenpeace)
À l’ère du changement climatique et alors que plus de quatre personnes sur cinq dans le monde souhaitent que leur gouvernement mène une action plus forte face à cette crise, un tribunal du Dakota du Nord, aux États-Unis, vient de condamner l’antenne américaine de Greenpeace, une des organisations de financement de l’ONG de défense de l’environnement ainsi que son siège social, basé aux Pays-Bas, à verser à Energy Transfer, exploitant d’un oléoduc, des dommages et intérêts astronomiques.
L’affaire remonte à 2016. Energy Transfer prévoit alors de construire un pipeline pétrolier dans cette région très dépendante économiquement des énergies fossiles. Mais le projet rencontre une vive opposition de la part d’une tribu autochtone sioux et de groupes écologistes, dont Greenpeace, arguant qu’un tronçon de l’oléoduc doit traverser des sites sacrés et menace les sources d’eau potable. Des dizaines de milliers de manifestant·es tenteront pendant près de deux ans – en vain – d’empêcher la construction du Dakota Access Pipeline.
Après une précédente requête d’Energy Transfer rejetée en 2019, un jury populaire a finalement validé le 19 mars dernier les accusations de l’entreprise pétrolière à l’encontre de Greenpeace. Il a jugé l’ONG coupable de diffamation et d’avoir joué un rôle clé pendant les manifestations. « La précédente administration Trump a passé quatre ans à démanteler tout ce qui permettait de protéger l’air, l’eau et la souveraineté des peuples autochtones. Avec ses alliés, elle veut désormais achever ce travail en faisant taire toute forme d’opposition. Nous ne renoncerons pas. Nous ne nous tairons pas », a déclaré Mads Christensen, directeur exécutif de Greenpeace International.
Au-delà des activistes, nous sommes toutes et tous, citoyen·nes lambda, concerné·es par ces procédures abusives qui constituent des entraves à la liberté d’expression et empêchent l’information autour de projets d’intérêt général.
C’est en effet là tout l’enjeu de cette procédure, qui de surcroît a abouti à une condamnation : faire taire les voix dissidentes. On appelle cela une procédure-bâillon, ou SLAPP, en anglais, acronyme pour « lawsuit against public participation » qui, à l’oral, signifie « gifle ». Des acteurs puissants (entreprises, institutions, personnalités publiques…) intentent des procès à l’encontre d’organisations non gouvernementales, d’activistes ou de médias dans le but de les intimider, de les discréditer, de suspendre leur combat et, in fine, d’étouffer leurs voix. Harcelé·es, sous pression financière et mentale, les opposant·es se voient muselé·es et dans l’incapacité de poursuivre leur travail.
La méthode séduit : entre 2010 et 2023, pas moins de 1.049 poursuites-bâillons ont été engagées rien qu’en Europe, dont 166 pour la seule année 2023, selon un rapport de Coalition against SLAPPs in Europe (CASE). Sachant que l’industrie pétrogazière continue de développer de nouveaux projets controversés (en dépit de l’accord de Paris), les militant·es écologistes risquent de devoir encore tendre le dos.
Mais au-delà des activistes, nous sommes toutes et tous, citoyen·nes lambda, concerné·es par ces procédures abusives qui constituent des entraves à la liberté d’expression et empêchent l’information autour de projets d’intérêt général, bloquant le débat citoyen et annihilant toute tentative de désobéissance civile.
Consciente de la menace sur la démocratie que représentent ces procédures-bâillons, l’UE a adopté l’année dernière une directive anti-SLAPP, qui devra être implémentée dans chacun des États membres d’ici mai 2026 et qui vise à protéger les journalistes et les défenseur·es des droits humains (ONG, militant·es, syndicats, lanceur·euses d’alerte, etc.) contre des procédures judiciaires abusives. Le texte, malgré ses limites, prévoit notamment la possibilité pour le juge de rejeter d’emblée une procédure-bâillon, avant tout procès, ainsi que des sanctions financières en cas de procédure abusive. Greenpeace International, la maison mère de l’entité américaine condamnée, va tester pour la première fois l’efficacité de cette directive : elle a déposé plainte devant un tribunal néerlandais contre Energy Transfer et espère « obtenir réparation pour l’ensemble des dommages qu’elle a subis et continue de subir », explique-t-elle dans un communiqué. Une première audience aura lieu en juillet prochain, mais l’ONG ne compte pas garder le silence jusque-là.