Procès Luxleaks : Lanceurs ou balances ?

Suite et fin du procès Luxleaks : le réquisitoire du parquet s’incline devant les exigences de PWC et le statut de lanceur d’alerte devient le centre des discussions.

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Peut-être un peu fort, mais la direction est la bonne. (Photo : Jonk Lénk)

Dix-huit mois de prison plus amende pour Antoine Deltour et Raphaël Halet, une amende pour Édouard Perrin. Dès le dernier mot du réquisitoire du procureur adjoint David Lentz prononcé, le « shitstorm » sur Twitter contre lui, la justice luxembourgeoise et PWC s’est déclenchée. Pas étonnant donc que ces jours-ci le comité « Nation Branding » préfère concentrer ses activités en Finlande, où le couple grand-ducal est en visite d’État, pour faire avancer l’image du pays – ici, en ce moment, il n’y a rien à gagner.

Et il faut dire que le réquisitoire a de quoi choquer. D’abord, il y a les peines de prison demandées pour Deltour et Halet : 18 mois, même si Lentz ne s’oppose pas au sursis et que c’est loin des 10 ans qu’ils encouraient selon la loi, cela reste beaucoup. Quant à l’amende requise contre le journaliste, elle reste tout simplement inexplicable, car il avait été largement disculpé par Halet au cours de son passage à la barre (woxx 1370). Si le procureur adjoint a essayé de faire un peu de charme en exprimant son « respect pour l’opiniâtreté » de Perrin, il n’a pas pris conscience de son geste. Car quelle « ligne rouge » le journaliste aurait-il franchie en publiant les résultats de ses recherches ? D’ailleurs, dans sa réponse au réquisitoire ce mercredi, l’avocat français de Perrin, Olivier Chappuis, l’a dit très clairement : « Si vous condamnez M. Perrin aujourd’hui, il fera condamner le Luxembourg demain » – devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. D’ailleurs, Lentz a aussi loué la nouvelle directive européenne dite « secret des affaires » – alors qu’elle met manifestement en péril toute forme de journalisme d’investigation et protège les multinationales et les cabinets d’audits comme PWC de toute curiosité trop rapprochée.

« Comme passer près d’une école à 200 km/h. »

Mais c’est surtout le fait que le procureur adjoint a dénié le statut de lanceurs d’alerte à Deltour et Halet qui fait mal. Ce faisant, il suit la demande de la partie civile, dont l’avocat Hervé Hansen a ce mercredi encore une fois répété les arguments : invoquer le statut de lanceurs d’alerte ne serait pour Deltour et Halet qu’une stratégie de défense qu’ils ont déployée quand ils n’avaient plus le choix. Ils seraient à considérer comme des voleurs et des opportunistes avides de gloire publique, manifestement remplis d’une volonté de nuire à leur ancien employeur.

Seulement, cette ligne ne tient pas. Il a été établi, aussi bien par l’audit interne chez PWC que par les enquêtes policières en France comme au Luxembourg, qu’aucun des deux lanceurs d’alerte n’a reçu ne serait-ce qu’un centime d’euro de compensation pour les documents qu’ils avaient soustraits à PWC et rendus sciemment publics pour dénoncer l’optimisation fiscale.

« Si vous condamnez M. Perrin aujourd’hui, il fera condamner le Luxembourg demain. »

Une argumentation qui a été mise en pièces par les avocats de la défense. Pour Bernard Colin, l’avocat de Raphaël Halet, le scandale est qu’on questionne toujours les motifs de son client et surtout que la justice tente en permanence de recadrer le débat sur le droit pénal luxembourgeois, alors que le droit européen est déjà en avance sur celui-ci.

De plus, Colin tente de recentrer l’attention sur le fait que la justice essaie de débattre de la légitimité du statut de lanceur d’alerte, mais bloque toute tentative de poser la question de savoir si les tax rulings étaient légaux ou non. Pour lui, ils ne le sont manifestement pas. « Les tax rulings peuvent être légaux en tant que tels – mais ils peuvent bel et bien être utilisés pour commettre des fraudes fiscales », a-t-il plaidé, avant de comparer ces documents à de grosses Lamborghini : « C’est peut-être bien d’en avoir une sur l’autoroute, mais quand vous passez à 200 km/h près d’une école, ça l’est déjà beaucoup moins. »

De manière générale, le tribunal luxembourgeois a aussi tenté de suivre PWC dans l’argument qu’il ne fallait pas faire de la politique, puisque le cabinet d’audit ne souhaitait pas s’engager dans un débat. C’est vrai que PWC préfère dicter sa politique dans le calepin des gouvernants plutôt que d’en débattre. Car si le procès Luxleaks a démontré quelque chose, c’est bien l’étendue du pouvoir des cabinets d’audits sur l’État luxembourgeois : de l’écriture d’avant-projets de loi à l’impression des « Advanced Tax Agreements » avec l’en-tête de l’Administration des contributions directes, il n’y a pas un seul pas qui n’ait été fait sans la bénédiction et le concours d’un des « Big Four ».

C’est bien le système à la luxembourgeoise qui est touché au cœur dans ce procès. Et le fait que l’étude de Philippe Penning, un des avocats d’Antoine Deltour, soit mêlée aux Panama Papers démontre à quel point le « sell out » de notre souveraineté nationale à la finance internationale est un des piliers de notre modèle économique. Gageons d’ailleurs que Luxleaks n’était que le commencement, et que les Panama Papers réserveront aussi leur lot de révélations sur le fonctionnement de la place.


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