Rapport de l’IPCC : Enfumez, éliminez !

Après avoir passé en revue les interprétations du « Sixth Assessment Report », nous nous penchons sur les incertitudes et les risques, notamment ceux liés aux technologies d’élimination du CO2.

Scénarios extrêmes : la mobilité douce contribue à réduire le risque, mais ne l’annulle pas.Hermann Traub ; Pixabay

Le choix semble clair. Si l’humanité ne réduit pas rapidement ses émissions de gaz à effet de serre, l’augmentation de température moyenne dépassera nettement le 1,5, voire les 2 degrés, avec des conséquences dramatiques. Si au contraire elle agit, les effets du réchauffement climatique pourront être maîtrisés. Et agir n’est pas si difficile, c’est le message qu’essayent de faire passer actuellement aussi bien les ONG que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC ou IPCC, Intergovernmental Panel on Climate Change).

« Nous disposons de plusieurs solutions réalistes et efficaces pour réduire les émissions (…) aujourd’hui à portée de main », lit-on dans le communiqué accompagnant la publication du « Sixth Assessment Report » (AR6), le 20 mars. En consultant le « Résumé à l’intention des décideurs » (Summary for Policymakers), on constate que ces solutions praticables et peu coûteuses se concentrent du côté des énergies renouvelables ainsi que dans le secteur des transports (p. 28). Par contre, les approches typiquement mises en avant par les lobbies économiques, comme les puits de carbone, le captage et stockage de CO2 ou le recours à l’hydrogène sont considérées comme relativement coûteuses. Conclusion : à condition d’y mettre les moyens, soleil et vent, train et vélo permettront de sauver le climat.

CDR : besoin, pas besoin ?

Hélas, si ces « solutions praticables » sont prioritaires, l’IPCC estime qu’elles ne suffiront pas. Au-delà des réductions des gaz à effet de serre, « le recours à l’élimination du CO2 (Carbon dioxide removal, CDR) est également indispensable pour atteindre la neutralité carbone (net-zero) », lit-on dans l’analyse de l’AR6 par Carbon Brief. Et dans le Summary for Policymakers on retrouve un passage du rapport sur le recours aux technologies de CDR et de captage de CO2 combiné à l’utilisation d’énergie fossile, notamment pour contrebalancer des émissions « incompressibles » qui persisteraient dans l’agriculture, le transport par air et par mer et les processus industriels.

D’un autre côté, dès avant la présentation de l’AR6, la Heinrich-Böll-Stiftung (HBS) et le Center for International Environmental Law avaient publié une mise en garde contre les risques des « fausses solutions ». Celle-ci souligne les difficultés techniques, le coût financier et environnemental et les conséquences en matière de droits humains d’une élimination du CO2 à grande échelle, également documentés dans l’AR6. Selon la HBS, les technologies de CDR auraient une « empreinte territoriale » considérable et donc un impact en termes d’affectation des terres et de production de nourriture, notamment dans les pays en développement. De surcroît, ces technologies, encore peu développées, ne pourraient guère contrebalancer les émissions avant 2050. Pour atteindre la neutralité carbone vers le milieu du siècle, caractéristique des scénarios à 1,5 degré, on ne pourrait donc guère compter sur cette approche.

Modèle rassurant, réalité inquiétante

Or, ces scénarios « optimistes » ne le sont pas seulement par rapport au résultat escompté, mais aussi par rapport aux risques et incertitudes (voir encart). On comprend que la HBS insiste sur la priorité absolue d’une sortie des énergies fossiles et d’une réduction rapide et conséquente des émissions. L’IPCC de son côté mise aussi sur les « émissions négatives » des puits de carbone agraires et forestiers – sans se prononcer contre le développement des techniques plus sophistiquées de CDR, qui pourront un jour être utiles. Le danger étant clairement, comme l’explique la HBS, qu’on invoque la possibilité d’éliminer le CO2 afin de freiner les efforts de réduction des émissions.

En effet, nombre de scénarios de l’IPCC affichés comme compatibles avec 1,5 ou 2 degrés comportent un « dépassement temporaire » de ce seuil, la température étant ensuite à nouveau réduite avant la fin du siècle, grâce aux CDR. Or, explique l’AR6, de tels dépassements correspondent tout de même à des changements irréversibles (extinctions, destruction de puits de carbone naturels) et des risques supplémentaires liés aux fameux points de basculement (tipping points), notamment avec la fonte des glaces et le dégel du pergélisol (permafrost). En d’autres mots, dans les modèles mathématiques, la catastrophe est évitée, mais dans la réalité physique et biologique, sa probabilité est considérable.

C’est ainsi qu’il faut entendre les appels à ne pas se fier aux promesses des CDR, mais à se battre pour chaque dixième de degré, pour chaque mégatonne de CO2. Ils ne s’appuient pas seulement sur les effets linéaires de l’augmentation de température, déjà dramatiques, mais aussi sur les effets dynamiques – et imprévisibles – liés à cette augmentation.

Risque de bas de page

Rester en dessous de 1,5 degré – mais si, c’est possible ! Des scénarios qui maintiennent le réchauffement sous ce seuil, considéré comme tolérable, sont évoqués dans le récent rapport de synthèse de l’IPCC. Rassurant donc, à condition de zapper le texte entre parenthèses, qui indique que cette limitation de température est maintenue avec une probabilité… d’au moins 50 pour cent. Autrement dit : même dans les scénarios « optimistes », on a un gros risque de dépasser 1,5 degré et d’en souffrir les conséquences. Les méthodes de la climatologie sont rigoureuses, mais elle n’est pas une « science exacte », ce qui explique les nombreuses indications de probabilités dans les publications scientifiques. Un autre constat rassurant du rapport doit également être relativisé : grâce aux limitations des émissions de la décennie passée, la probabilité de scénarios extrêmes a baissé. Le constat comporte en effet une note de bas de page expliquant qu’un réchauffement de plus de 4 degrés « peut également résulter de scénarios à émissions limitées, si la sensibilité du climat ou les rétroactions du cycle carbone sont plus élevées que les estimations actuelles ». Les incertitudes de la climatologie justifieraient donc de redoubler d’efforts, mais aussi d’accorder plus d’attention aux scénarios catastrophes.


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