Le réchauffement climatique est à l’origine de mouvements de migration massifs – et le sera encore davantage à l’avenir. D’où ces réfugiés climatiques viennent-ils, combien seront-ils dans quelques années et comment assurer leur protection ? Zoom sur un sujet brûlant.
Les réfugiés syriens, des réfugiés climatiques ? C’est une hypothèse avancée régulièrement, notamment par les cercles écologistes. En effet, une sécheresse exceptionnelle, perdurant de 2006 à 2010, aurait poussé un grand nombre – jusqu’à un million et demi – de Syriens à migrer des campagnes et zones désertiques vers les villes. L’entassement dans les quartiers pauvres des grandes villes, la pénurie d’eau, la flambée des prix de la nourriture ainsi déclenchés par cette grande sécheresse auraient été à l’origine de l’insurrection de 2011 et donc, ultimement, de la guerre civile. S’il semble clair que ce sont aussi et surtout des décisions politiques et militaires de part et d’autre qui ont favorisé l’éclatement d’une guerre et donc l’exode des Syriens, ce mélange de facteurs environnementaux parmi d’autres facteurs est caractéristique de ce qu’on appelle désormais communément les « migrations environnementales et climatiques ».
« Les facteurs environnementaux à l’origine des migrations sont souvent liés à d’autres facteurs, de nature politique, économique ou autre », estime Dina Ionesco. Elle est coauteure de l’« Atlas des migrations environnementales », publié en 2016, et était au Luxembourg cette semaine pour une journée de conférences. Le mélange entre différents facteurs serait d’ailleurs à l’origine de l’absence de chiffres globaux quant aux migrants climatiques dans le monde. « Nous avons des données de toutes sortes, mais pas de chiffres globaux », confie Ionesco dans un entretien avec le woxx. « C’est seulement à travers des études qualitatives approfondies qu’on commence à faire émerger les facteurs environnementaux. »
« Nous avons des données de toutes sortes, mais pas de chiffres globaux. »
S’il n’existe pas de définition juridique globale de ce que sont les migrations climatiques ou environnementales, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), pour laquelle travaille Ionesco, utilise néanmoins une définition de travail : « On appelle migrants environnementaux les personnes ou groupes de personnes qui, essentiellement pour des raisons liées à un changement environnemental soudain ou progressif influant négativement sur leur vie ou leurs conditions de vie, sont contraintes de quitter leur foyer habituel ou le quittent de leur propre initiative, temporairement ou définitivement, et qui, de ce fait, se déplacent à l’intérieur de leur pays ou en sortent », constate l’organisation dans son « Glossaire de la migration ».
Car si d’aucuns avancent que le nombre de migrants climatiques pourrait atteindre des niveaux dramatiques – entre 50 et 200 millions selon les hypothèses -, Dina Ionesco réfute ces projections. Néanmoins, dans l’« Atlas des migrations environnementales », différentes projections sont avancées. Ainsi, le nombre de personnes dans le monde exposées à un risque de désertification d’ici 2025 est estimé à 50 millions, celui des personnes exposées à un manque d’eau d’ici 2020 à 250 millions. « Nous essayons de développer de nouvelles techniques pour pouvoir faire des projections, en essayant d’inclure des variables comme le niveau de vie, les politiques de contrôles aux frontières, l’accès à l’information des personnes… »
Mais la chercheuse met en garde : « Il faut être très honnête sur ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas, et éviter de faire des liens causaux. » Car risque ne signifie pas migration : « Ce n’est pas parce que des personnes se trouvent dans des zones de désertification qu’elles vont avoir les moyens de partir. » En général, le choix de migrer dépendrait fortement du degré de vulnérabilité des personnes concernées, et donc du niveau de vie.
La plupart des migrants climatiques sont d’ailleurs des déplacés internes. Ils ont donc été contraints de quitter leur lieu de vie habituel, mais se trouvent toujours dans leur pays d’origine. L’« Internal Displacement Monitoring Center », qui a son siège en Suisse, estime à environ 20 millions les déplacés internes environnementaux pour l’année 2015. En moyenne, autour de 25 millions de personnes par an seraient déplacées pour cause de catastrophes naturelles.
Si l’Asie est le continent le plus touché en termes de « catastrophes soudaines », en Europe, et surtout en Europe de l’Est, il y a aussi déjà eu des déplacés pour raisons environnementales, notamment après de grandes tempêtes. Toutefois, en raison du niveau de vie relativement élevé, les conséquences de ces catastrophes soudaines peuvent être plus facilement absorbées en Europe. En revanche, au Sahel, où on assiste plutôt à une dégradation lente de l’environnement due à la désertification rampante, les populations sont particulièrement exposées de par leur très bas niveau de vie.
L’Europe pourrait-elle être touchée davantage par des déplacements et migrations dues au réchauffement climatique ? Oui, estime la chercheuse. « Il y a un certain risque pour les zones côtières, mais aussi pour les zones deltaïques : deltas du Danube, du Rhône, du Rhin. » C’est donc surtout la montée des eaux qui pourrait affecter le Vieux Continent. Les Pays-Bas sont par exemple une région à haut risque. Les zones de montagnes pourraient elles aussi être atteintes, notamment à travers le déclin de l’industrie du tourisme favorisé par la fonte des glaces et la diminution des chutes de neige.
« En tant que destination, l’Europe doit s’intéresser à l’impact du réchauffement climatique sur les zones de départ. »
Néanmoins, c’est surtout en tant que zone d’arrivée que l’Europe sera confrontée aux flux migratoires liés au climat. « En tant que destination, l’Europe doit s’intéresser à l’impact du réchauffement climatique sur les zones de départ », estime Dina Ionesco. C’est pourquoi son organisation tente de sensibiliser les décideurs politiques à la question, et de proposer tout un éventail d’actions. Le travail de l’OIM consiste ainsi, en partie, à apporter une aide à la réduction de la vulnérabilité.
Parallèlement, et surtout dans les zones soumises à un grand risque de dégradations – désertification au Mali, montée des eaux au Vietnam, inondations au Bangladesh, pour ne citer que quelques exemples -, des solutions d’atténuation ou d’adaptation aux conséquences des dégradations sont élaborées. Et, si possible, on essaye d’adopter une politique de réduction des risques, notamment à travers la formation des communautés, mais aussi des autorités locales. « Nous essayons de faire de la prévention pour qu’il y ait le moins de migrations forcées possible », explique Ionesco.
Mais au-delà des actions concrètes sur le terrain, les migrations climatiques sont aussi un enjeu politique mondial. À commencer par l’absence d’un statut pour les réfugiés climatiques. Car, contrairement à ceux qui souffrent de persécutions et dont le statut est réglé par la convention de Genève et le « Protocole relatif au statut de réfugié » de l’ONU, ceux qui fuient les dégradations environnementales ne sont pas reconnus officiellement. Si l’existence de migrations climatiques – et leur probable augmentation au cours des prochaines années – est aujourd’hui largement reconnue, l’ouverture du statut de réfugié pose problème.
« À un niveau intergouvernemental, un statut de réfugié climatique sera très difficile à créer », estime Dina Ionesco. Même si António Guterres, actuel secrétaire général de l’ONU, s’est exprimé en la faveur de la création d’un tel statut dès 2011 dans son rôle de Haut-Commissaire de l’ONU pour les réfugiés. Mais bon nombre de pays, surtout ceux qui ne sont que peu concernés par les phénomènes de dégradations environnementales, ne sont pas prêts à accepter l’ajout d’un protocole à la convention de Genève, par peur de devoir accueillir un nombre plus important de réfugiés. Or, sans l’appui des pays de l’hémisphère Nord, un tel changement ne pourra que très difficilement être effectué. De plus, d’éventuelles négociations sur le sujet se heurtent à la difficulté de définir ce qu’est un réfugié climatique – difficulté renforcée par le caractère « multicausal » des migrations écologiques.
« À un niveau intergouvernemental, un statut de réfugié climatique sera très difficile à créer. »
De toute façon, pour Dina Ionesco, un statut pour les réfugiés climatiques n’est pas le seul moyen d’agir dès aujourd’hui. « Je pense qu’on se focalise beaucoup sur le statut comme solution, et que du coup on laisse de côté d’autres portes possibles », dit-elle. Des accords bilatéraux ou régionaux entre pays concernés et pays voisins pourront par exemple remédier, en partie, à cette absence de statut. Ainsi, la convention de Kampala de 2012 sur la protection et l’assistance des personnes déplacées en Afrique est dotée d’un article sur les déplacements internes liés aux changements climatiques et catastrophes naturelles. La Suède et la Norvège ont, de leur côté, lancé l’« initiative Nansen » visant à améliorer la protection des personnes contraintes de fuir à cause de catastrophes naturelles ou des effets du changement climatique. Il existerait par ailleurs des cas où des réfugiés climatiques seraient accueillis sur base d’une protection temporaire, spécifie Ionesco.
Elle est par ailleurs optimiste : à ses yeux, beaucoup de progrès ont été faits ces dernières années. « La première fois qu’on a parlé des questions de migration en relation avec le climat, dans le cadre des négociations climatiques, c’était en 2011 », explique-t-elle. « Cela veut dire que pendant 19 années de discussions, la question a été absente. » Aujourd’hui, le sujet serait très présent dans le débat public. « On a énormément avancé », constate la chercheuse. Et tant mieux : « Le réchauffement climatique et les migrations qui y sont liées auront un impact sur nous – alors préparons-nous ! »