Retraites en France : « On nous marche sur les pieds »

La première journée de mobilisation contre la réforme des retraites en France, ce jeudi 19 janvier, a été un franc succès pour ses organisateurs : 2 millions de personnes ont défilé dans 200 villes françaises, selon les syndicats, 1,1 million selon la police. À Metz, quelque 13.000 manifestant-es ont rejoint le cortège pour dire leur refus d’une réforme jugée financièrement inutile et socialement injuste.

Manifestation Metz retraites 19 janvier 2023

La mobilisation contre la réforme des retraites agrège d’autres revendications. (Photos : Fabien Grasser)

L’intersyndicale espérait 10.000 participant-es à la manifestation de Metz. Ils sont finalement 13.000 à défiler ce jeudi 19 janvier dans le chef-lieu du département, selon Dimitri Norsa, secrétaire général de la CGT en Moselle. Le syndicaliste ne cache pas sa satisfaction à l’issue du rassemblement, tant pour l’importance de la mobilisation que pour son déroulement sans incident, alors que le dispositif policier au long du parcours est des plus discrets. Sur le plan local et national, les chiffres sont supérieurs à la première journée de mobilisation contre la précédente tentative de réforme du régime des retraites, en décembre 2019, qu’Emmanuel Macron avait finalement remisé en raison de la pandémie de la covid-19.

Pari réussi donc pour les principaux syndicats français ayant appelé à cette journée de mobilisation et de grève. Le gouvernement tablait sur une participation comprise entre 500.000 et 800.000 personnes, sous le seul symbolique du million. En fin de journée, le ministère de l’Intérieur communique le chiffre de 1,12 million de manifestant-es, obligeant le gouvernement à reconnaître la réussite de ce premier appel à la rue. Pour sa part, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, avance plus de deux millions de personnes dans les défilés.

Quoi qu’il en soit, la réforme du régime de retraite, voulue par Emmanuel Macron, est rejetée par plus de deux tiers des français, un nombre qui grimpe à 95% chez les actifs, selon des sondages publiés ces derniers jours. Les Français ne veulent pas voir l’âge à la retraite repoussé à 64 ans, contre 62 aujourd’hui, et le nombre d’annuités nécessaires à une retraite pleine portée à 43 ans d’activités. Pour la première fois en 12 ans, les 8 premiers syndicats français sont unis dans un mouvement social avec pour mot d’ordre commun le retrait pur et simple du projet.

Toutes les générations réunies

Excédentaire ces deux dernières années, le régime général des retraites devrait afficher une perte de 13 milliards d’euros en 2023, sur un total de cotisations annuelles dépassant les 300 milliards. Mais ce déficit est conjoncturel et non structurel, au contraire de ce qu’affirme le gouvernement pour lequel cette réforme est nécessaire pour sauver le système de retraite par répartition. Du fait de la démographie, le régime devrait automatiquement revenir à l’équilibre à l’horizon 2035, selon les prévisions du Conseil d’orientation des retraites (COR), un organisme directement rattaché aux services de la… première ministre.

Metz retraites manifestations 2023

La tête du cortège, regroupant des représentants des 8 syndicats ayant appelé à la mobilisation unitaire.

« En allongeant la durée des cotisations, cette réforme injuste touchera d’abord les plus modestes, les plus précaires et ceux qui ont commencé à travailler tôt », affirme Alphonse, un retraité de l’Éducation nationale, rencontré dans le cortège messin. « Les jeunes qui font des études et entrent sur le marché du travail à 24 ou 25 ans ne pourront pas partir avant 67 ou 68 ans s’ils veulent toucher une retraite à taux plein », poursuit-il. Avec son ami Patrick, ancien employé de la sécurité sociale des mines, « parti à la retraite à 55 ans », ils manifestent par solidarité et « pour nos enfants », disent-ils.

La manifestation rassemble toutes les générations, actifs et retraités mais aussi de très nombreux jeunes, étudiants et même lycéens, libérés de leurs cours par les enseignants grévistes. Les partis politiques de gauche s’affichent derrière les syndicats et ceux affiliés à la Nupes défilent ensemble. L’ambiance est conviviale et tout le monde semble un peu surpris par l’ampleur de la mobilisation. C’est au point que la tête de la manifestation arrive à sa destination, place de la Comédie, avant même que les derniers ne quittent le parvis de la gare d’où le cortège s’est élancé à 14 h.

« Taxer le CAC 40 »

« Pour moi travailler deux ans de plus, c’est de l’esclavage car cela ne changera strictement rien au montant de ma retraite », s’emporte Halim, un ouvrier métallurgiste de 40 ans, employé dans l’usine de rails de Hayange, reprise l’an dernier par Saarstahl, après la déconfiture de Liberty. « Nous les petits, on en a déjà assez avec cette inflation et ce que Macron veut, c’est nous faire payer en plus pour remplir les caisses de l’État et les poches des actionnaires », poursuit Halim qui défile vêtu d’un gilet rouge de la CGT. « L’an dernier, l’État a donné 160 milliards aux entreprises, dont la moitié est allée aux actionnaires », avance-t-il. Si l’équation est peut-être un peu plus complexe que cela, la réaction du manifestant témoigne du profond sentiment d’injustice face à l’explosion des inégalités sociales en France. Le 10 janvier, le jour même où la cheffe du gouvernement, Élisabeth Borne, dévoilait le projet de réforme des retraites devant l’Assemblée nationale, l’on apprenait que les entreprises du CAC 40 avaient versé 80 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires au titre de l’année 2022, du jamais vu en France.

Metz, manifestations retraites 2023

De nombreux jeunes étaient présents dans les manifestations partout en France, comme ici à Metz.

« Plus taxer le CAC 40 » est aussi une piste pour Nicolas, un enseignant de 53 ans en lycée professionnel à Thionville. « Je suis pour une réforme du régime, mais là ce n’est pas la bonne méthode, il y a d’autres moyens de le faire, des richesses à récupérer ailleurs. » S’il reconnaît travailler dans d’assez bonnes conditions, il voit aussi des « profs qui craquent, qui sont usés avant l’heure car ils travaillent dans des lycées difficiles ». Nicolas estime qu’« il sera vraiment difficile de travailler jusqu’à 64 ans, d’autant qu’à chaque nouvelle réforme de l’Éducation nationale, on nous ajoute de nouvelles missions ».

Un travail toujours plus exigeant et une pression croissante : c’est aussi ce dont se plaignent Rachel et Sylvie, âgées de 50 et 52 ans. Elles travaillent toutes les deux à la chaîne, en équipe postée, chez Stellantis (Peugeot). « On nous en demande de plus en plus », témoigne Sylvie. « Dans ces conditions, travailler à la chaîne jusqu’à 64 ans est impossible alors qu’on est déjà usé à 50 ans », déplore Rachel. « Nous sommes là aujourd’hui car nous voulons partir avec une retraite décente mais aussi pour les générations qui nous suivent et qui devront payer nos retraites. »

retraites manifestation Metz 2023

La manifestation a rassemblé 13.000 personnes, au-delà des espérances des syndicats.

Critiquée pour son absence de justification sur le plan financier, la réforme l’est aussi pour son caractère socialement injuste qui plongera les salarié-es aux carrières hachées ou mal rémunérées dans la précarité une fois à la retraite. Au premier rang desquels les femmes, au contraire de ce qu’affirme Emmanuel Macron. François Hommeril, patron du syndicat des cadres CFE-CGC, a calculé avec ses troupes que seules 3.000 femmes y gagneront, tandis que des centaines de milliers d’autres seront pénalisées. Le gouvernement soutient aussi que la réforme permettra à ceux et celles ayant travaillé toute leur carrière au Smic de toucher un minimum de 1.200 euros de retraite par mois, contre 800 ou 900 aujourd’hui. Mais selon des experts consultés par Mediapart, sur 2,5 millions de personnes dont ils ont étudié la situation, elles ne seront que 48 à y gagner !

« Rupture des négociations »

Ces derniers mois, l’ensemble des syndicats a soumis des solutions alternatives chiffrées au gouvernement. Sans succès. « Généralement, nous ne sommes pas dans les manifestations, mais là c’est inadmissible car toutes nos propositions ont été rejetées sans discussion, ce qui revient à une rupture des négociations », regrette un responsable syndical de la Confédération nationale des travailleurs chrétiens (CFTC), rencontré dans le cortège messin. La mobilisation de ce syndicat réformiste et habituellement peu vindicatif démontre à elle seule l’absence de dialogue social dans ce dossier. La même raison a poussé la CFDT, premier syndicat du privé, à se joindre au mouvement, alors qu’il se distinguait ces dernières années par ses positions réformistes et souvent conciliantes avec le pouvoir.

Manifestation Metz retraites 2023

Le droit à partir à la retraite en bonne santé figure parmi les revendications.

Pour Pierre-Quentin, un « ingénieur dans l’énergie », non syndiqué, cette réforme est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : « J’ai 26 ans et c’est la première fois que je manifeste, la première fois où je m’engage. Je suis bien sûr inquiet pour ma retraite, mais il y a tant d’autres choses qui ne vont plus, comme l’absence d’action face au réchauffement climatique. » Le débat sur les retraites est central dans ce mouvement, mais en creux il agrège d’autres revendications et ressentiments. « Je suis là pour les retraites mais aussi pour tout le reste : la montée de l’extrême droite, le rejet des migrants, le refus de l’indexation des salaires sur l’inflation… », dit un agent des douanes de 44 ans qui requiert l’anonymat.

Ce sentiment est aussi partagé par Lucile, Milou et Joël, artistes plasticien-nes, âgé-es de 25 ans. « Avec notre métier, nous sommes à peu près sûrs de ne jamais toucher de retraite », dit d’emblée Lucile. « Je suis là par conviction politique, par solidarité car il faut un changement, sortir de cette politique néolibérale et de la méritocratie qui n’assurent aucune égalité des chances », dit la jeune femme avec l’approbation de ses camarades. « Nous méritons mieux que ce système qui nous marche sur les pieds », ajoute Joël.

Alors que plus d’un million de personnes défilent dans les rues françaises, Emmanuel Macron est ce jeudi 19 janvier à Barcelone pour signer un traité d’amitié avec l’Espagne. Onze ministres l’accompagnent dans cette excursion perçue comme un témoignage de mépris par les syndicats. En soirée, le président et ses ministres prennent acte de l’ampleur de la mobilisation mais redisent leur détermination à faire passer la réforme.

« La suite dépendra de la réaction du gouvernement », assure Dimitri Norsa, le secrétaire général de la CGT Moselle. « Aujourd’hui ça s’est vraiment bien passé, sans débordement, mais si le gouvernement ne bouge pas, cela risque de se tendre lors des prochaines manifestations. »

L’intersyndicale a fixé une nouvelle journée de mobilisation au mardi 31 janvier.


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