On avait quitté Serge Basso poète sur un livre d’aphorismes… le voici de retour avec un recueil grave en forme d’oratorio.
Sa retraite de la Kulturfabrik semble avoir stimulé sa créativité poétique : Serge Basso vient de publier « Triptyque d’un horizon aperçu » en France, aux éditions Lanskine, alors qu’il vient tout juste de remporter le deuxième prix du Concours littéraire national. Dans ce nouveau recueil − les connaisseurs et les connaisseuses y reconnaîtront le travail dont il avait lu des extraits à la librairie Alinéa en 2017 déjà −, l’auteur nous emmène en musique vers un horizon pas franchement désirable, où la mort et le vieillissement le disputent au peu de temps qui reste à vivre. Mais le tout sans pathos, en s’appuyant sur une forme travaillée et la récurrence de personnages comme en écho aux thèmes. En témoigne le sous-titre, « avec la mort, un vieux chat et quelques personnages mythologiques égarés ».
La forme d’abord : avec son ouverture en forme de récitatif, une première partie où les chœurs tiennent le haut du pavé, une deuxième partie à nouveau récitative sous le signe des saisons, un intermède orchestral, des chœurs à nouveau pour la troisième partie avant un récitatif final et une coda, le recueil bénéficie d’une structuration solide. Si les citations en exergue convoquent Cioran et Borges, on reconnaîtra aussi des hommages discrets dans les pages intérieures, par exemple à Éluard lorsqu’on peut lire « Sur la nappe fatiguée / que le soleil dévisse / l’orange est bleue / comme la terre ». Au sein des parties, la forme domine également. Prenons l’exemple de la première, composée de douze poèmes de douze vers, lesquels, en parfaits alexandrins classiques, comptent douze pieds. Est-ce tout ? Non ! Dans chaque poème se niche, mis en valeur par du gras, un mot de la phrase inaugurale « J’ai la mort à nos pas / qui me sait / et puis quoi ? ». Chaque partie pourrait faire l’objet d’une description à l’avenant. Il y a chez Basso une envie de structure poétique, que confirme sa lecture à l’occasion de la remise des prix du Concours littéraire national 2020, qui tourne presque à l’obsession. Et de fait, il faut l’avouer, cette structure exacerbée alourdit un peu la lecture, là où le flux des vers s’interrompt lorsqu’on se prend à se demander si l’on a bien tout compris.
Serge Basso sait pourtant, surtout lorsqu’il se libère quelque peu du carcan de la forme, toucher à une véritable essence poétique de belle facture. Ainsi du finale, qui commence de cette façon : « TOUT AU FOND DE MES POCHES / j’ai semé un jardin / où je peux / graine à graine / me faire pousser un monde / pour le peler comme une orange / le surprendre du bout des doigts ». Mais là encore, toujours, la forme s’invite, puisque les strophes suivantes reprendront le premier vers pour créer l’anaphore. Mais du moins l’optimisme perce-t-il, comme dans certains flashs qui précèdent, exorcisant la mort inexorable : « Aujourd’hui / comme demain / sur nos heures en fusion / il faut encore forger / des rêves incandescents ». Cet horizon aperçu, c’est celui des souvenirs qui rappellent pourquoi, malgré la fin d’une existence, la vie vaut d’être vécue. Comme caresser ce vieux chat qui hante le recueil ; comme convoquer Orphée, Sisyphe ou Prométhée, pour renaître dans la mythologie. Mais rien n’est simple lorsqu’on s’aventure en poésie. Et Basso le sait bien, qui écrit : « Si / c’était / si facile / une vie en dents de si ».