Série : Que reste-t-il de nos amours ? (1/16) : « Ce quartier ressemble au bassin minier »

Historienne et résidente dans le quartier de la gare depuis 1989, Antoinette Reuter ouvre le bal de notre promenade.

Photos : Paulo Jorge Lobo

Je me suis installée dans le quartier en 1989, mais je le connaissais déjà un peu, car ma tante y habitait, et enfant je venais en vacances chez elle. Je me souviens des beaux guichets de la poste, qui se trouvait alors dans la gare. Et de la laiterie, style fermette, au boulevard d’Avranches, où l’on pouvait acheter du lait et la merveille des merveilles à l’époque, du yaourt ! Ce quartier ressemble au Bassin minier, dont je suis originaire. Cette caractéristique, plus son évolution, ont aiguisé ma curiosité et je me suis intéressée à son histoire.

Personnes venues d’ailleurs

Jusqu’en 1921, il appartenait à Hollerich. Cette commune et Bonnevoie étaient les faubourgs industriels de Luxembourg. Elles ont rejoint la ville lorsque celle-ci a perdu son statut de ville-forteresse et a commencé à se développer : construction du pont Adolphe, urbanisation du plateau Bourbon, tramway…

Comme il arrive souvent, ce sont des personnes venues d’ailleurs qui se trouvent à l’origine des changements. Les beaux bâtiments de l’avenue de la Liberté, par exemple, ont été construits par des entrepreneurs italiens, arrivés au début du 20e siècle, qui habitaient eux aussi ce quartier.

Pensons à Giorgetti et à Clivio. En face de l’Arbed se trouvait l’immeuble Giorgetti. La villa Clivio, intégrée dans le nouveau bâtiment de la Caisse d’épargne, était à la fois le logement de l’entrepreneur Clivio et le siège de son entreprise. C’est l’entreprise Clivio qui a construit la maison du docteur Pauly, qui, réquisitionnée en 1940 par la Wehrmacht, est devenue siège de la Gestapo.

Et il ne faut pas oublier les architectes, souvent allemands ou français. Boulevard de la Pétrusse, il y a une maison dessinée par Gustave Eiffel pour une dame luxembourgeoise qui avait travaillé comme gouvernante dans sa famille.

Avant la Première Guerre mondiale, il y avait une forte présence allemande, car après la guerre de 1870 les chemins de fer, jusque-là gérés par la compagnie d’Alsace-Lorraine, sont passés sous la houlette de la Reichsbahn. Ainsi, des bâtiments comme celui où a commencé l’aventure de la Ceca ont été dessinés par les mêmes architectes allemands qui ont fait les plans de la gare.

En face de la gare, il y avait 
un laminoir

Le quartier est resté populaire et plus ouvrier que la Ville-Haute. Les industries étaient toujours là, même si elles ont changé. Qui imaginerait qu’en face de la gare il y avait un laminoir, qui a été remplacé par une fabrique de champagne ! Il restait aussi de petits ateliers et des manufactures.

Après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle vague d’immigration italienne est arrivée. Il s’agissait souvent de saisonniers, qui habitaient dans des chambres. La Casa d’Italia, financée en partie par l’ambassade, faisait des repas bon marché pour eux. Et ensuite sont arrivés les Espagnols, les Yougoslaves, les Portugais…

En 1965, une crèche italienne s’est établie boulevard de la Pétrusse, pour garder les enfants des femmes italiennes pendant leur journée de travail. Le commerce était le pilier de l’économie du quartier. Le long de deux artères principales, il y avait les négoces d’intérêt national, et dans les rues secondaires, se trouvaient des boulangeries, des épiceries ou encore des boucheries, qui servaient la population locale.

Nombreuses nationalités et mélange social

Les transformations actuelles sont publiques, privées et surtout sociales. Ce quartier se distingue par son grand nombre de nationalités et également par son mélange de classes sociales. Les magasins sont des points de rencontre. Or, maintenant, par exemple, la population ouvrière est en train de quitter la rue Adolphe Fischer, car les maisons sont vendues à des prix très élevés pour ensuite être transformées en logements très chers. Cela restera, je crois, un quartier très international, mais du point de vue social, les groupes moyens et plus modestes seront laminés. Aussi certains nouveaux commerces visent-ils plutôt une population aisée. Il reste heureusement la petite épicerie portugaise, autrefois italienne, et des cafés historiques.

Les bagarreurs étaient 
un Luxembourgeois et 
un Allemand !

Vous me questionnez sur les dangers du quartier, mais dans toutes les villes du monde le quartier de la gare est malfamé !

Une anecdote me vient à l’esprit : avant la Première Guerre mondiale, on accusait les Italiens de se bagarrer tout le temps. Fréquemment, le lundi, dans les journaux on lisait que deux Italiens avaient été arrêtés, suite à une rixe à coups de couteau près de l’hôtel Italia. Deux jours plus tard, la direction de l’hôtel démentait ces informations et disait que les bagarreurs étaient un Luxembourgeois et un Allemand !

Trois questions à Antoinette Reuter

woxx : Des regrets ?
L’absence de cinémas et d’espaces culturels publics.

Votre endroit préféré ?
La place de Strasbourg.

Un vœu pour le quartier de la gare ?
Qu’il garde sa diversité sociale et reste un espace de cohabitation.


Le quartier de la gare raconté par ses habitant-e-s

Diversité ? Danger ? Gentrification ? Pluralité ? Tout au long de l’été (et bien au-delà), Paca Rimbau Hernández propose de parcourir l’histoire et la vie du quartier de la gare, à travers les témoignages de personnes qui l’habitent, le bâtissent et parfois le subissent. Déjà en 1999 et en 2000, notre auteure avait tiré le portrait de ce quartier fascinant avec sa série « Que reste-t-il de nos amours ? » (à retrouver dans les archives du woxx) – presque vingt ans plus tard, sa nouvelle série témoigne des mutations urbaines et sociales qui façonnent ce lieu de passage des êtres humains et de leurs histoires. Photos de Paulo Jorge Lobo.


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