Social : le coût délirant du stress au travail

Une étude publiée par l’Institut syndical européen à l’échelle continentale pointe le coût exorbitant du stress au travail, tant humain qu’économique. Les résultats témoignent de la dégradation croissante des conditions de travail et de ses effets sur la productivité, dont le patronat déplore une perte de gains. Le Luxembourg fait partie des pays européens où la situation est particulièrement mauvaise.

Les coûts du stress au travail sont principalement liés aux pertes de productivité dues aux absences pour cause de maladie et au présentéisme. (Photo : Igor Omilaev/Unsplash)

Combien coûte le stress au travail à l’économie européenne ? Entre 45 et 103 milliards d’euros, évalue une étude de l’Institut syndical européen (ETUI), présentée à Bruxelles ce 28 avril, dans le cadre de la Journée internationale de la sécurité et de la santé au travail. Un coût faramineux qui est supporté à 80 % par les entreprises des 28 pays étudiés, à savoir l’Union européenne et le Royaume-Uni. Basé sur des données de 2015, ce travail a été mené par cinq chercheuses et chercheurs de l’université du Québec et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) en France. Il s’agit d’une étude sans précédent, précise l’ETUI, qui en est le commanditaire.

Pour parvenir à ses conclusions, l’équipe de recherche s’est basée sur cinq risques psychosociaux clairement identifiés au travail, susceptibles de générer des dépressions et d’autres maladies chez les salarié·es : la tension au travail (des exigences élevées combinées à une faible autonomie), les longues heures de travail (plus de 55 heures hebdomadaires), le déséquilibre entre efforts et récompenses (quand les efforts fournis ne sont pas reconnus, ni rémunérés ou valorisés à la hauteur de l’investissement), l’insécurité de l’emploi (sentiment de ne pas avoir la garantie de conserver son travail) et le harcèlement moral au travail (des comportements répétés visant à intimider, humilier ou exclure un salarié sur son lieu de travail). Cette étude menée selon des méthodes scientifiques alimente utilement le débat au moment où les discours patronaux sur la compétitivité remettent en cause nombre d’acquis sociaux.

En termes de santé, le stress au travail est à l’origine de maladies coronariennes et d’AVC, dont le coût est chiffré entre 12 et 14 milliards d’euros à l’échelle européenne. Elles sont plus fréquentes en Europe de l’Est, qui est en revanche moins touchée par les dépressions. Le coût de ces dernières est particulièrement élevé en termes d’absence pour maladie, mais aussi de présentéisme, un terme désignant pour un·e salarié·e le fait d’aller travailler alors qu’il ou elle est malade. Dans tous les cas, les effets sur la productivité sont tangibles.

En matière de dépressions liées au travail, le Luxembourg est loin de faire bonne figure, se classant sixième sur 28 pays, derrière la France, la Belgique, la Finlande, l’Irlande et les Pays-Bas. En 2015, le coût des dépressions ayant pour origine des risques psychosociaux au travail au Luxembourg atteignait 49 millions d’euros pour 100.000 salarié·es. « Ces résultats doivent interpeller : le Luxembourg ne peut plus ignorer le coût humain et économique de la santé mentale au travail », affirme Dimitra Theodori, responsable de l’unité santé et sécurité au travail à l’ETUI. « Il est temps de traiter le bien-être mental au travail comme un droit fondamental », ajoute-t-elle.

Chasse aux malades

Un constat que fait aussi Sylvain Hoffmann, le directeur de la Chambre des salariés (CSL), pour lequel l’étude de l’ETUI corrobore les résultats du Quality of Work Index, publié chaque année par l’institution syndicale luxembourgeoise : « Les risques psychosociaux liés au travail ne sont pas suffisamment pris en considération et on peut espérer qu’une telle étude change le point de vue patronal, car cela démontre une situation particulièrement grave. » Il cite l’exemple du présentéisme, rappelant qu’une étude récente de la CSL montre qu’en 2024, les salarié·es ont travaillé en moyenne 12 jours en étant malades, contre seulement 5 jours d’absence pour maladie. « Quelque 85 % de salarié·es déclarent qu’ils vont travailler même quand ils sont malades », cite le directeur de la CSL. « Le coût du présentéisme est très élevé pour les employeurs en termes de productivité », poursuit Sylvain Hoffmann, qui attribue la croissance de ce phénomène à « la peur de perdre son emploi, alors qu’il y a un ralentissement sur le marché du travail, et surtout à la loyauté vis-à-vis de l’entreprise et des collègues ». Soit une explication en contradiction avec celle avancée par le patronat qui fait de la lutte contre l’absentéisme l’un de ses chevaux de bataille.

Il s’agit « d’un véritable fléau touchant de plein fouet des entreprises déjà fortement secouées par une économie qui tourne au ralenti depuis deux ans, une productivité qui ne croît plus depuis 20 ans, et une rentabilité des plus faibles en comparaison européenne », s’alarme l’UEL dans une tribune publiée le 19 février dernier sur le site de la principale organisation patronale. Selon les chiffres de l’IGSS (Inspection générale de la sécurité sociale), cités par l’UEL, le taux d’absentéisme a atteint 4,6 % en 2023, soit une hausse de 18 % depuis 2019. Le patronat estime dès lors que « les employeurs sont en droit de s’interroger sur la banalisation de l’absentéisme depuis la crise du covid ». Multipliant les sous-entendus accusateurs vis-à-vis des salarié·es, la tribune de l’UEL appelle le gouvernement à intensifier les contrôles et les sanctions ou encore à réfléchir à l’instauration de journées de carences, pendant lesquelles les employé·es malades ne sont pas indemnisé·es. Mais nulle mention, dans cette diatribe, des conditions de travail qui se dégradent au point de peser de plus en plus lourdement sur la santé mentale des salarié·es, comme le documente année après année, le Quality of Work Index de la CSL.

(© Tung Lam/Pixabay)

« Le manque croissant d’autonomie rend le stress plus insupportable, tout comme le nombre élevé d’heures de travail », identifie notamment Sylvain Hoffmann. Le directeur de la CSL avance le chiffre de 43 heures de travail hebdomadaire réellement effectuées au Luxembourg. « C’est trois heures de plus que la durée légale, mais si l’on y ajoute le temps de trajet, cela grimpe en moyenne à 53 heures pour les frontaliers et à 49 heures pour les résidents. » La pression mise sur les salarié·es « permet peut-être des gains à court terme, mais elle s’avère catastrophique à moyen et long termes. » Partie prenante aux discussions sur la réforme des pensions, Sylvain Hoffmann note que « la question de la pénibilité au travail est désormais prise en compte par le patronat et le gouvernement. Mais la pénibilité n’est pas que physique, elle est aussi mentale, mais les risques psychosociaux ne sont pas pris au sérieux. »

Assurément faramineux, le coût économique du stress au travail se double d’un coût humain tragique : « En 2015, près de 5.000 décès liés à la dépression dans l’Union européenne sont attribuables aux risques psychosociaux au travail », relève Hélène Sultan-Taïeb, de l’université du Québec, qui a dirigé le projet de recherche en collaboration avec Isabelle Niedhammer, de l’INSERM. « Si les cas de dépression sont plus fréquents chez les femmes, ce sont les hommes qui concentrent l’essentiel des années de vie perdues, en raison d’un taux de suicide plus élevé », détaille encore l’étude. Mais « ces décès restent rarement reconnus comme liés au travail », ce qui contribue « à leur invisibilité dans les systèmes de santé publique », déplore l’ETUI. Il n’y a pourtant aucune fatalité à cette spirale. Elle peut être brisée par la mise en place de politiques de prévention des risques psychosociaux. Ce qui, dans les entreprises, passe par « des changements organisationnels visant à éliminer la violence et les brimades sur le lieu de travail, à développer les récompenses et la latitude professionnelle, et à atténuer l’insécurité de l’emploi ». Pas vraiment l’air entonné par les organisations patronales européennes ces temps-ci.


Cet article vous a plu ?
Nous offrons gratuitement nos articles avec leur regard résolument écologique, féministe et progressiste sur le monde. Sans pub ni offre premium ou paywall. Nous avons en effet la conviction que l’accès à l’information doit rester libre. Afin de pouvoir garantir qu’à l’avenir nos articles seront accessibles à quiconque s’y intéresse, nous avons besoin de votre soutien – à travers un abonnement ou un don : woxx.lu/support.

Hat Ihnen dieser Artikel gefallen?
Wir stellen unsere Artikel mit unserem einzigartigen, ökologischen, feministischen, gesellschaftskritischen und linkem Blick auf die Welt allen kostenlos zur Verfügung – ohne Werbung, ohne „Plus“-, „Premium“-Angebot oder eine Paywall. Denn wir sind der Meinung, dass der Zugang zu Informationen frei sein sollte. Um das auch in Zukunft gewährleisten zu können, benötigen wir Ihre Unterstützung; mit einem Abonnement oder einer Spende: woxx.lu/support.
Tagged .Speichere in deinen Favoriten diesen permalink.

Die Kommentare sind geschlossen.