Sur les planches : Les misérables

Le chef-d’œuvre de Victor Hugo en une heure chrono ? C’est possible au Théâtre national du Luxembourg, où une Isabelle Bonillo en verve fait valser Jean Valjean, Thénardier, Cosette et les autres avec l’aide précieuse du public. Une revisite plus profonde que sa brièveté ne le laisserait penser.

Isabelle Bonillo, seule comédienne sur scène… (Photos : Bohumil Kostohryz)

Le 11 janvier dernier, au Théâtre national, l’ambiance était un peu à la salle de classe. Ouvrage emblématique des cours de français, « Les misérables » avait attiré en majorité un public lycéen, contrastant avec celui des « usual suspects » qui écument les premières habituellement. On se doute que ces jeunes gens étaient là dans le cadre d’une sortie scolaire organisée par leur professeure ; l’expérience a cependant été fortement appréciée, à en juger par les longs applaudissements finaux. Mais n’allons pas trop vite.

Familière des adaptations de classiques littéraires en format théâtral de poche – très souvent dans un astucieux camion-chapiteau itinérant −, Isabelle Bonillo a cette fois jeté son dévolu sur le chef-d’œuvre de Victor Hugo afin de parler de la précarité à notre époque. Certaines personnes ne sont actuellement pas mieux loties que les protagonistes du roman, la faute aux inégalités persistantes. De plus, si nous pensons avoir une vie meilleure que celle du 19e siècle dont l’écrivain se fait l’écho, il n’est pas certain qu’elle soit plus heureuse pour autant. Pour reprendre les mots de la comédienne-metteuse en scène : « N’était-ce pas moins compliqué, avant, quand nous n’avions pas tout et n’importe quoi à disposition, en un clic ? » Cette adaptation des « Misérables » s’insère donc dans la volonté didactique de Hugo d’exposer une misère qu’il souhaitait voir éradiquer. L’ordre social actuel a beau se parer des atours de la liberté individuelle, il n’en brise pas moins des vies. La piqûre de rappel est dès lors salutaire.

Pour administrer ladite piqûre, Isabelle Bonillo se démène sur scène avec son accordéon, se réservant le rôle de récitante. Habillée par Denise Schumann en maîtresse de cérémonie bariolée, elle présente le petit cirque des personnages de Hugo, allant et venant sur un plateau où seule une barricade de chaises – émeutes populaires obligent – accroche le regard (décor de Christoph Rasche, lumières de Zeljko Sestak). Le public, disposé tout autour, est très rapidement sollicité. Jean Valjean, Fantine, Cosette, Marius, Gavroche, les Thénardier, l’inspecteur Javert : tous ces personnages seront joués par des spectateurs ou des spectatrices. Il s’agit, à travers l’interactivité théâtrale, de faire ressentir la précarité des situations dépeintes.

… apostrophe, bouscule et fait participer le public pour le plus grand plaisir de celui-ci.

Afin de couper court à tout misérabilisme, l’humour est cependant fort présent. Les caractéristiques physiques des protagonistes tels qu’on les imagine sont souvent tout autres que celles des personnes qui les incarnent : un homme âgé se verra ainsi confier le rôle d’une jeune fille. De plus, la gouaille de la comédienne-metteuse en scène se manifeste dans des remarques improvisées qui font mouche. Se dégage enfin un fort potentiel comique dans la conduite de cette histoire foisonnante avec des moyens aussi dérisoires. Alors que jusque-là, dans les autres épisodes de ses classiques revisités, Isabelle Bonillo utilisait des accessoires variés, seules les chaises pointent ici à l’inventaire !

La solidarité dans l’épreuve

L’ambiance est elle aussi confiée à la salle. La bande-son de Michel Zeches est ainsi suppléée par le souffle du vent et les ululements du public quand vient la nuit, tandis que la scène des barricades voit tout le monde participer, armes simulées contre poings levés. Lors de la première, les ados y ont mis tout leur cœur, faisant de ce paroxysme du roman une scène réjouissante pour toutes et tous, à la grande satisfaction de la récitante. Non pas que l’interactivité théâtrale fasse recette uniquement auprès des plus jeunes : même les timides, quel que soit leur âge, pourront prendre la main experte d’Isabelle Bonillo pour apporter leur pierre à l’édifice… et pas seulement dans la première rangée.

Dans ces « Misérables » domine au fond la solidarité dans l’épreuve, puisque la représentation devient commune, même si les bases en sont jetées évidemment par l’artiste qui se démène sur le plateau. Assister à ce spectacle, c’est recevoir une leçon de vivre-ensemble qui démontre qu’un destin peut aussi être collectif, n’en déplaise aux puissances du marché qui érigent l’individu en totem. Les 1.600 pages de l’œuvre originelle ont beau se trouver condensées en une petite heure, la force d’évocation en reste intacte, appuyée qu’elle est par la magie du théâtre interactif. Jeune public comme enthousiastes de la scène, spécialistes de Hugo comme néophytes, toutes et tous y découvriront divertissement et matière à penser.

Encore les 26 et 27 janvier au TNL.

Cet article vous a plu ?
Nous offrons gratuitement nos articles avec leur regard résolument écologique, féministe et progressiste sur le monde. Sans pub ni offre premium ou paywall. Nous avons en effet la conviction que l’accès à l’information doit rester libre. Afin de pouvoir garantir qu’à l’avenir nos articles seront accessibles à quiconque s’y intéresse, nous avons besoin de votre soutien – à travers un abonnement ou un don : woxx.lu/support.

Hat Ihnen dieser Artikel gefallen?
Wir stellen unsere Artikel mit unserem einzigartigen, ökologischen, feministischen, gesellschaftskritischen und linkem Blick auf die Welt allen kostenlos zur Verfügung – ohne Werbung, ohne „Plus“-, „Premium“-Angebot oder eine Paywall. Denn wir sind der Meinung, dass der Zugang zu Informationen frei sein sollte. Um das auch in Zukunft gewährleisten zu können, benötigen wir Ihre Unterstützung; mit einem Abonnement oder einer Spende: woxx.lu/support.
Tagged , .Speichere in deinen Favoriten diesen permalink.

Kommentare sind geschlossen.