Théâtre : Masques dans la salle et sur scène

La saison théâtrale reprend enfin. Au TNL, « Objet d’attention », coproduction avec le TOL, pose un regard sur la maltraitance des enfants en jouant à cache-cache avec le public et les protagonistes.

Une passion dévorante qui va déboucher sur un drame, mais lequel exactement ? (Photo : Bohumil Kostohryz)

À l’entrée dans la salle du Théâtre national, on ressent un double plaisir : d’abord, cette sensation de rompre un jeûne de théâtre imposé par les circonstances sanitaires, avec des saisons interrompues en plein élan ; ensuite, la contemplation d’un vaste plateau où l’on découvre un décor sur deux étages, chose évidemment impossible dans l’antre du Théâtre ouvert Luxembourg. Vastitude quelque peu ironique, puisque c’est de l’intime et du non-dit (en tout cas du non-montré) qu’il va pourtant s’agir.

Dans son texte rythmé en une succession de scènes plutôt courtes, le Britannique Martin Crimp (traduit avec allant par Séverine Magois) installe un drame familial qui ne se trouvera jamais littéralement sous les projecteurs. Carol (Aude-Laurence Biver), mère de la petite Sharon, s’est remise en couple avec un nouveau compagnon, Nick (Matila Malliarakis). Leur passion est exclusive, au détriment de l’enfant, dont Nick n’a pas particulièrement envie de s’occuper. Sur scène, ce sont leurs disputes à propos de Sharon, puis leurs réconciliations qui dominent, avec des effusions charnelles répétées. Dans l’immeuble, un voisin un rien lubrique (Brice Montagne) et une voisine indiscrète (Catherine Marques) observent le couple, qui reçoit sporadiquement la visite d’une assistante sociale (Rosalie Maes). Spectatrices et spectateurs scrutent le tout ; pourtant, ils et elles ne pénétreront jamais non plus dans la chambre de l’enfant, où tout semble se jouer. « Objet d’attention » titille autant l’œil de ses protagonistes que celui du public, poussant ce dernier dans ses retranchements de potentiel voyeur.

La mise en scène de Véronique Fauconnet, combinée à la scénographie de Christoph Rasche, est indéniablement la réussite de cette production. Le décor, ample, permet des entrées et des mouvements variés, tandis que les formes qu’il adopte autorisent des usages multifonctionnels où un garde-corps se transforme par exemple en barre de prétoire. Le mystère est entretenu par une porte coulissante vers la chambre de Sharon, souvent franchie par le couple, jamais par qui que ce soit d’autre. D’un point de vue métaphorique, on a là l’essence de la pièce et de son secret.

Côté interprétation, on regrettera peut-être les incarnations un peu trop sages du couple maltraitant. Si Aude-Laurence Biver et Matila Malliarakis s’emploient à donner à leurs personnages un parfum sulfureux, subsiste toujours un je-ne-sais-quoi de policé dans leur jeu, comme s’il et elle étaient trop sympathiques pour se laisser aller à la malfaisance. En témoignent par exemple la forme physique impressionnante (belle série de pompes !) et les abdominaux impeccables de l’acteur français, plutôt jeune premier que prolétaire londonien qui fait usage de violence sur sa belle-fille. Catherine Marques et Brice Montagne sont plus en osmose avec leurs personnages – dans des rôles moins prenants, certes.

À l’ironie du vaste décor pour ne finalement pas montrer le véritable drame de la pièce répond celle du public masqué, Covid-19 oblige. Car c’est sur scène que les masques sont omniprésents. Le dramaturge en joue habilement, secondé par la metteuse en scène. Il ne faut pas bouder son plaisir, après tant de mois hors des salles de théâtre. Masque ou pas.

Au Théâtre national du Luxembourg, 
ce vendredi 2 et le 13 octobre à 20h, 
ainsi que le 11 octobre à 17h30.

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