« Révolte », au Centaure, est à la fois un jeu élaboré de langage et un grand coup de massue sur les stéréotypes. Resserrée pour plus d’explosivité, la pièce interroge sans relâche et sans lasser.
C’est le titre d’un livre de l’historienne Laurel Thatcher Ulrich, « Well-Behaved Women Seldom Make History », qui est à l’origine de la pièce « Révolte » d’Alice Birch. En trois jours, la jeune dramaturge a écrit son texte, commandé par la Royal Shakespeare Company, après s’être plongée dans la littérature féministe. Et l’œuvre qui émerge est à la mesure des enjeux que constitue la place de la femme dans notre société : elle bouscule les habitudes, s’immisce en profondeur dans les réflexes conditionnés et y pose une multitude de minuscules charges explosives qui, par réaction en chaîne, conduisent à un feu d’artifice de prise de conscience.
Plutôt qu’une histoire linéaire, « Révolte » propose une succession de scènes de la vie quotidienne en quatre actes que l’autrice subvertit et retourne comme des crêpes. Ça commence fort, avec ce dialogue entre un homme sûr de son droit qui veut « seulement faire l’amour » et une femme qui va peu à peu s’emparer de la position dominante et renverser la dialectique du sexe, à forte connotation masculine, contre son partenaire. Le désarroi du mâle, privé de son vocabulaire et donc d’un privilège forgé au fil des millénaires, est la première image marquante du spectacle. C’est la victoire de la raison sur l’atavisme benêt, celle du féminisme qui se prend en main sur l’indifférence passive. L’écriture est à la fois drôle et crue, sans pour autant être vulgaire. Évidemment, même si cela n’avait pas été calculé, la scène du Centaure vient titiller l’air du temps avec intelligence, vu les récents scandales liés à la domination masculine toujours bien présents dans les esprits.
Suivront un entretien professionnel d’évaluation en forme de dialogue de sourds entre un chef paternaliste quoique productiviste et une subordonnée qui souhaite travailler à temps partiel, ou la confrontation entre responsables d’un supermarché et une cliente qui s’est couchée nue parmi les pastèques. « Ça ne se fait pas. » Non, ça ne se fait pas, pour une femme, d’étaler sa souffrance au beau milieu des biens de la consommation toute-puissante – cette consommation même qui fait d’elle un bien. Si, nous dit Alice Birch, ça se fait, en tout cas au théâtre, et pourquoi pas ailleurs ? Et pour éviter la succession monotone de saynètes, elle nous gratifie d’un troisième acte choral et débridé, en forme de fragments d’histoires débités rapidement et pratiquement sans pause.
Une immense qualité de l’écriture de la Britannique est également sa concision. En effet, le morcellement en multiples saynètes pourrait faire craindre une certaine dispersion. Il n’en est rien, et les dialogues savent écarter le piège du verbeux – chapeau, dans une pièce où le langage est ainsi déconstruit – pour interroger sans ennuyer. Après seulement une heure et quart de spectacle, on ressort avec de nombreuses problématiques ancrées dans la tête, mais sans avoir l’impression d’avoir été submergé. Oui, la mise en scène explosive de Sophie Langevin, qui exploite avec brio le texte haché et sèchement rythmé d’Alice Birch, est nerveuse et laisse à juste titre peu de place au repos. Mais la combinaison d’un propos intelligent et de l’énergie d’Agnès Guignard, Francesco Mormino, Leila Schaus et Pitt Simon, indissociables sur le plateau sans qu’on puisse (ou doive) pointer une performance particulière, permet de maintenir une saine tension… qui commande l’attention. Un excellent spectacle en résumé, sur un thème qui ne pourra pas être galvaudé avant que la société change en profondeur.