Ville pilote : Wiltz, centre névralgique de l’économie circulaire

Depuis dix ans, Wiltz est engagée en faveur de l’économie circulaire. Laboratoire d’idées et aujourd’hui ville de référence en la matière, elle teste, apprend autant des difficultés rencontrées que de ses réussites pour développer un savoir-faire et un réseau qui seront utiles à l’échelle nationale.

Le 13 juin, Wiltz a célébré dix ans d’engagement en faveur de l’économie circulaire. (Photo : Commune de Wiltz/Ben Majerus)

Concevoir et développer des constructions à l’impact environnemental limité, réparer des objets pour allonger leur durée de vie, transmettre le savoir pour propulser à plus grande échelle les bonnes pratiques : voilà dix ans désormais que la commune de Wiltz s’engage pleinement dans l’économie circulaire. En octobre 2015, sous l’impulsion du gouvernement, qui souhaite implanter ce concept alors en pleine émergence, Wiltz devient en effet officiellement un « hotspot » de l’économie circulaire ─ une ville pionnière et de référence pour tester et démontrer la faisabilité de ce système économique qui vise, entre autres, à limiter l’utilisation des ressources et à recycler ce qui existe déjà. Une aubaine pour la commune, qui souhaitait devenir un pôle de développement pour le nord du pays.

Ce vendredi 13 juin, le personnel communal et les différents organismes partenaires ont donc célébré dix ans d’engagement au cours de la désormais traditionnelle Journée de l’économie circulaire. L’occasion de faire le bilan d’un parcours parfois difficile, mais incontestablement riche en apprentissages – et toujours en évolution. « Tout ce que nous apprenons alimente nos futurs standards en matière d’économie circulaire », souligne Patty Koppes, cheffe de projet au sein du service économie circulaire de la commune. « Au commencement, nous avons assisté à quasiment toutes les conférences et à tous les ateliers possibles sur le sujet ! Nous nous sommes même rendus à Copenhague, au Danemark, référence en la matière. Il aura ensuite fallu définir précisément le concept, engageant une vision commune, car, au départ, nous avions une centaine de définitions », se remémore Pierre Koppes, ancien échevin. La commune s’arrêtera finalement sur la définition proposée par la Fondation Ellen MacArthur, autre pionnière dans ce domaine, qui repose sur trois principes fondamentaux : élimination de la notion du déchet et de la pollution, conservation des produits et matériaux dans la chaîne de valeur, régénération des systèmes naturels. Cette vision sera définitivement entérinée dans une première charte en 2018. « Et puis on s’est lancés, on a appris par l’action. »

L’aventure démarre concrètement dès 2015, avec l’ouverture d’un atelier de réparation et de rénovation de meubles au service de l’insertion professionnelle, l’atelier Klimbim. Cette même année est aussi lancé le projet phare « Wunne mat der Wooltz », qui consiste à reconvertir d’anciennes friches industrielles en un tout nouveau quartier appliquant les règles de l’économie circulaire, et qui devrait être finalisé en 2036. Wiltz, qui compte actuellement quelque 8.500 habitant·es, devrait en effet connaître une croissance substantielle dans les années à venir et atteindre 13.500 habitant·es d’ici 2035. Dans ce nouveau quartier, qui accueillera environ 2.500 habitant·es, ce ne sont pas moins de 1.100 logements qui doivent sortir de terre. Le patrimoine existant est, autant que faire se peut, rénové, ou les matériaux, recyclés. La Woltz sera renaturée et les espaces verts représenteront plus de 30 % du site, sur lequel la mobilité douce sera privilégiée. Le quartier sera par ailleurs annuellement neutre en carbone au niveau du chauffage, grâce à un système de pompes à chaleur alimentées par des panneaux solaires, combinées à des bacs à glace si besoin l’hiver. Pour accompagner cette croissance démographique, la ville prépare aussi le développement de zones d’activités économiques. Si la ZAR Salzbaach 1 est déjà opérationnelle, la deuxième est encore à l’étude. Les entreprises montrant un intérêt pour l’économie circulaire seront privilégiées à l’installation, afin de permettre à la future population active de quelque 5.300 personnes de trouver un emploi.

Anticipation et investissements

Ouverture d’un magasin de seconde main, rénovation de l’hôtel de ville en respectant les principes de l’économie circulaire, mise en place d’une structure de stockage destinée aux matériaux pouvant être réutilisés, nouveaux programmes de formation, constitution d’une base de données… Wiltz, qui vient de rempiler pour dix années supplémentaires d’engagement circulaire, a lancé depuis 2015 avec ses partenaires au total une quinzaine de projets, qu’ils soient déjà opérationnels, en cours ou à venir.

 

(Photo : Commune de Wiltz/Ben Majerus)

Mais il est rarement facile d’être précurseur, et il aura parfois fallu essuyer les plâtres. L’adage « C’est en forgeant qu’on devient forgeron » prend tout son sens à Wiltz, qui semble en avoir fait son credo. « Il y a eu des réussites, mais aussi des échecs qui nous ont permis d’apprendre », reconnaissent les différent·es employé·es communaux. « C’est le risque. Quand on se jette à l’eau, on ne dispose pas toujours de références. Pour le campus Géitzt, du quartier Wunne mat der Wooltz, nous voulions par exemple utiliser de la cellulose comme isolant naturel. Nous n’avons finalement pas pu le faire, car les pompiers ont pointé le risque de propagation du feu par la façade en cas d’incendie. Il aurait fallu compartimenter celle-ci, ce qui aurait vraiment complexifié le projet. Nous avons donc finalement opté pour de la laine de roche, dont le bilan écologique est moins favorable, mais qui peut cependant avoir une durée de vie très longue et être réutilisée ou recyclée si elle est installée correctement », illustre Patty Koppes, avant de poursuivre : « L’économie circulaire demande beaucoup de temps de recherche : nous devons aller chercher des informations que les gens n’ont pas l’habitude d’avoir. » Reprenant l’exemple du campus Géitzt, elle détaille : « L’une de nos priorités consistait à garantir la meilleure qualité d’air possible aux enfants. Nous avons analysé toutes les émissions éventuelles de toutes les matières et substances présentes sur le campus. Ces informations ont parfois été très difficiles à obtenir, car s’il y a des fournisseurs très transparents et bien informés sur leurs produits, d’autres ont eu beaucoup plus de mal à aller chercher ces données. »

Partage d’expérience

Choisir l’économie circulaire demande des investissements, en termes de temps de travail ou financiers, qui seront toutefois amortis sur le long terme. « Lorsqu’on travaille sur la flexibilité d’un bâtiment par exemple, les coûts ne seront peut-être pas réduits pour la première construction, mais les modifications qu’il sera nécessaire de faire dans 30 ou 50 ans seront, elles, moins onéreuses. Nous essayons de réfléchir à long terme. À noter aussi que les surcoûts sont très variables selon les projets. Ainsi, pour le campus Géitzt, le surcoût d’une approche ‘économie circulaire’ est estimé à 2 % maximum du total – ce qui est négligeable –, car les standards pour les écoles sont de base très élevés. Pour d’autres projets, un hall industriel par exemple, où la qualité est généralement moindre que pour un bâtiment de bureaux, intégrer de l’économie circulaire engendre par contre des coûts plus élevés. »

Aujourd’hui, à Wiltz, qui a entièrement dédié 2,5 postes à l’économie circulaire, le concept est parfaitement intégré au sein des services communaux, et est de plus en plus connu de la population, via les associations et les ateliers destinés aux scolaires ou au grand public. Forte de son expérience, la commune s’est dotée au fil du temps d’une véritable boîte à outils pour implémenter l’économie circulaire et a tissé un réseau de partenaires à l’échelle locale, nationale et internationale. Première commune certifiée économie circulaire par le Pacte climat en 2022, elle propose par le biais de son hub et en collaboration avec le Centre national de formation professionnelle continue (CNFPC) des formations « ancrées dans la réalité du terrain, en lien avec les acteurs locaux » : construction bas carbone, utilisation de drones et de la télédétection pour une gestion écologique des espaces verts, renforcement des compétences des demandeur·euses d’emploi pour les métiers d’avenir liés à l’économie circulaire… Un centre de compétences et de formation dédié à cette économie sera prochainement implanté à la ZAR Salzbaach, qui regroupera les principaux acteurs nationaux, afin d’essaimer les bonnes pratiques à travers tout le pays, voire au-delà.

Un concept récent

Si la notion d’économie circulaire apparaît dès les années 1970, le terme est utilisé pour la première fois en 1990, et ce n’est que récemment qu’il s’est réellement imposé dans le discours public. « Avant 2015, on parlait surtout de développement durable », a rappelé vendredi Frédéric Liégeois, fondateur du site infogreen.lu, plateforme d’information sur les enjeux du développement durable. 2015 marque un tournant tant au niveau international que national, avec l’intégration des principes de l’économie circulaire dans l’accord de Paris et le lancement du premier plan d’action européen sur l’économie circulaire intitulé « Closing the Loop » (Boucler la boucle). Dans ce cadre, le Luxembourg mène une première étude évaluant le potentiel de cette économie au niveau national et désigne Wiltz comme territoire pionnier en la matière. L’angle d’action se focalise d’abord sur la gestion des déchets. « Certains secteurs, comme celui de la construction, commencent toutefois à lancer des projets pilotes, y compris au Luxembourg. Mais entre 2015 et 2020, on assiste essentiellement à une période de transition d’une réflexion orientée développement durable vers la circularité, avec des essais ciblés », résume Frédéric Liégeois. Après 2020, l’économie circulaire, mieux comprise, voit son champ d’action s’élargir, avec des innovations en matière d’écodesign – conception qui vise à minimiser l’impact environnemental des produits à chaque étape de leur cycle de vie tout en maintenant leur performance –, ou la récupération des matières secondaires à haute valeur ajoutée. L’économie circulaire commence également à être intégrée à une plus grande échelle, avec des projets d’envergure au niveau des territoires, voire des régions, ainsi qu’au sein de l’industrie. En 2021, le Luxembourg se dote d’une stratégie nationale. Récemment, une nouvelle norme ISO, garantissant une norme internationale en matière de circularité, a également été adoptée. « Je vois pour l’avenir une phase de généralisation systémique de l’économie circulaire », prédit Frédéric Liégeois. Les différentes crises géopolitiques, sanitaires et climatiques, qui posent des problèmes d’approvisionnement et engendrent une hausse des prix, rappellent en tout cas l’importance de renforcer cette transition.


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