ENSEIGNEMENT: Chargés!

Il fallait bien que ça arrive un jour. Le verdict de la cour administrative a donné raison à un chargé d’éducation qui demandait un CDI. Depuis, une avalanche de procès s’est mise en route.

Gabriel Servais* vient de terminer ses études supérieures en Allemagne. Il ne lui reste plus qu’à attendre le mois d’octobre de cette année pour participer à l’examen-concours d’admissibilité pour enseignants du secondaire. En attendant, il lui faudra trouver une occupation. Pourquoi pas chargé d’éducation dans un établissement du secondaire? De cette manière, il pourra collecter de précieuses expériences tout en commençant à gagner sa vie. Après tout, il sait que l’éducation nationale traverse une grave crise de pénurie d’enseignant-e-s et que les „chargé-e-s“ sont très sollicités.

Mais voilà, le directeur de l’établissement où Gabriel a fait sa demande lui annonce une bien mauvaise nouvelle: le ministère de l’éducation nationale (MEN) vient de diffuser une circulaire incitant les établissements à la plus grande retenue possible dans l’embauche de chargés. Gabriel devra donc trouver une autre occupation. Situation fâcheuse: comme il n’a pas encore été salarié, il ne peut percevoir d’allocation chômage. Quant à trouver un emploi pour seulement quelques mois …

La raison? Un verdict de la cour administrative datant du 7 juin 2005. Un chargé d’éducation avait déposé une plainte contre l’Etat pour voir les contrats à durée déterminés (CDD) que le MEN lui délivrait chaque année changés en contrats à durée indéterminés (CDI). La cour lui donna raison. Panique au ministère. Entre-temps, entre 100 et 200 chargés de cour ont enclenché la même procédure avec l’assurance d’obtenir gain de cause.

Les conditions d’octroi d’un CDD sont clairement définies par la loi. Ces contrats ne peuvent être renouvelés que deux fois et les tâches y correspondantes doivent être précises et non durables. Jusqu’à présent pourtant, les CDD des chargés de cours étaient régis par une dérogation au code du travail datant de la loi de 1991. Cette dérogation permettait à l’Etat ou aux communes de renouveler plus de deux fois les CDD. Le verdict de la cour administrative a mis fin à cette dérogation en dénonçant l’absence d’objet dans le CDD incriminé et donc sa non-conformité vis-à-vis de la loi sur le contrat de travail. Faute de vouloir mener une politique de recrutement efficace en personnel qualifié, les gouvernements successifs s’étaient ainsi donné le moyen d’embaucher facile et pas cher. En plus, cela permettait de colmater les brèches de plus en plus béantes avec une armée de réserve impressionnante de chargés de cours. A l’heure actuelle, plus de 500 personnes sont employées par l’éducation nationale dans l’enseignement secondaire, soit un cinquième du personnel. Primaire et secondaire confondus, ce chiffre atteint le millier. Et il allait augmentant. En effet, comme le rapporte le bulletin du Syndikat Erzéiung a Wëssenschaft (SEW, affilié à l’OGBL), le MEN a engagé 170 nouveaux chargés d’éducation en automne 2005. Le rapport général de planification des besoins en personnel enseignant de l’enseignement post-primaire de 2005 à 2010 affirme pour sa part qu‘ „en deux ans, le nombre de leçons d’enseignement prestées par des employés à durée déterminée a augmenté de 36,5%“.

Prolifération de „chargés“

Le problème est connu de longue date: „C’est un problème qui nous met en colère depuis les années 80“, explique Roger Roth, président de la Fédération des universitaires au service de l’Etat (Féduse, affiliée à la CGFP). „A l’époque, le ministre Fernand Boden (CSV) nous disait que nous voyions mal la chose et qu’il y avait, au contraire, pléthore d’enseignants. C’est avec l’arrivée de son successeur, Marc Fischbach, que, du jour au lendemain, la pléthore s’est changée en pénurie. Quelle découverte!“

Prendre acte de la situation est une chose, y remédier une autre. A croire que cette politique a été menée sciemment, dans une optique de réduction des frais. D’ailleurs, aussi bien Guy Foetz, vice-président du SEW, que Justin Turpel, président du secteur service public du Landesverband, sont persuadés que des considérations de cet ordre ne sont pas étrangères à l’inflation du nombre de chargé-e-s d’éducation.

Maintenant, l’éducation nationale est confrontée à un double problème: d’une part, il lui faut bien trouver une solution pour les chargé-e-s d’éducation actuellement en activité, d’autre part, elle doit au plus vite réformer la politique de recrutement des enseignant-e-s. Sur ce dernier point, Mady Delvaux affirme que son ministère planche sur un projet: „Je veux clairement réformer l’examen-concours d’admissibilité au stage“. Une des principales cause d’échecs résiderait dans les épreuves de langue préliminaires et dans l’examen-concours. C’est en effet l’examen-concours que les syndicats enseignants pointent du doigt depuis longtemps. Pour Guy Foetz, „un candidat sur deux échoue au concours“, et ne peut donc pas être admis au stage, malgré des aptitudes à enseigner. Dans ce sens, le SEW préconise de revenir sur le règlement grand-ducal de 1992 qui flanquait le concours d’un examen. Ceci, „afin de permettre de recruter au moins le nombre d’enseignant-e-s inscrit dans le budget“. Si la Féduse partage l’avis du SEW quant à l’abolition de l’examen, elle estime toutefois que le concours doit réglementer l’accès au stage „comme pour tous les postes de la fonction publique“.

Autre réforme urgente d’après les syndicats, celle des jurys. Ceux-ci opérant actuellement dans l’opacité la plus complète, le SEW estime que les jurys devraient au moins motiver leurs décisions et les communiquer aux candida-t-e-s. A en croire Roger Roth, la composition de ces jurys serait „terrible“. „C’est avec cynisme que certains jurys prennent des décisions engageant l’avenir d’autres personnes alors que ceux qui les composent n’étaient pas, à leur époque, astreints aux mêmes conditions d’admission“, ajoute-t-il. Interrogée par le woxx, Mady Delvaux, la ministre socialiste de l’éducation nationale, se garde de toute critique à l’encontre du travail des membres des jurys mais partage aussi l’avis qu’une réforme est inévitable.

Des jurys opaques

Mais quelle que soit la réforme à venir, il s’agit maintenant de régler la situation des chargé-e-s d’éducation. Le SEW se réjouit de la décision ministérielle de ne plus en engager, estimant que le jugement du tribunal administratif conduirait à de „nouvelles régularisations forcées de personnel non qualifié.“ Par ailleurs, il en profite pour demander le retrait du projet de loi concernant les chargés d’éducation et d’appeler à la réalisation d’une „politique de recrutement des enseignants qualifiés qui tienne la route.“

Le Landesverband, qui défend depuis plusieurs années déjà les intérêts des chargé-e-s de cours, demande à ce que ceux-ci obtiennent la sécurité en matière de droit du travail qui leur est due. Pour autant, Justin Turpel tient à préciser „Il n’est pas dans notre intention de voir les chargés titularisés.“ Au contraire, les pouvoirs publics devraient tout faire „pour engager assez de personnel qualifié“. Conscient que les chargés d’éducation n’ont pas reçu la formation requise, il plaide en faveur de l’introduction d’un système de validation des acquis professionnels, comme il en existe dans d’autres pays.

Reste à savoir comment l’Etat entend mettre à disposition – à court terme – les moyens en personnel adéquats, sans embauche supplémentaire de chargés d’éducation. Mady Delvaux avoue ne pas avoir de solution, hormis de demander aux enseignants de travailler plus. „C’est une équation facile à établir mais aussi un terrain très dangereux“, prévient Roger Roth. „Nous sommes d’accord pour accomplir des surtaches ponctuelles, mais encore faut-il qu’elles soient correctement rémunérées.“ En effet, les leçons supplémentaires seraient, d’après la Féduse, moins bien rémunérées – indice 0,66 – que les heures supplémentaires dans d’autres secteurs. Justin Turpel voit quant à lui un certain danger à discuter des surtaches: „C’est une manière de ne pas engager des enseignants supplémentaires. Des enseignants surchargés seront-ils encore aptes à enseigner correctement?“

La problématique de la pénurie d’enseignant-e-s pose en effet la question de la qualité de l’enseignement. Autre source de problème de même type, les départs à la retraite de professeur-e-s du secondaire, qui seraient peu à peu remplacé-e-s par des enseignants issus du régime technique. Ce dernier se verrait submergé par les chargés d’éducation qui recueilleraient les classes les plus difficiles.

Le MEN est confronté à son premier défi de taille: régler au plus vite la gabegie dans l’enseignement secondaire. Mady Delvaux n’est certes pas responsable de la gestion catastrophique et irresponsable de ses prédécesseur-e-s. Elle ne devrait pas trop se heurter aux syndicats, étant donné que la plupart d’entre eux préconisent, dans les grandes lignes, les mêmes réformes pour le recrutement d’enseignants. A condition toutefois qu’elle ne prête pas trop l’oreille à celles et ceux qui pensent que la priorité de l’éducation consisterait à dépenser moins.

* nom et prénom modifiés par la rédaction


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