À quelques encablures du grand-duché, le Théâtre national de la Sarre propose une véritable saison d’opéra. Petit détour par Sarrebruck donc, où la production locale de « L’elisir d’amore » a de quoi réjouir les passionnés d’art lyrique.
Pour l’amateur d’opéra luxembourgeois, il est parfois frustrant de planifier ses sorties. En effet, la plupart des productions n’offrent que deux ou trois dates, au mieux. Mais rien n’empêche d’aller faire son marché à l’étranger. Le Théâtre national de la Sarre, avec un chœur et une troupe de solistes à demeure, peut ainsi proposer pour chacune des œuvres qu’il monte un certain nombre de représentations sur plusieurs mois. De quoi donner un plus grand choix aux aficionados.
La dernière production en date de l’opéra sarrois est donc « L’elisir d’amore », une partition efficace et enjouée de Gaetano Donizetti, sur un livret de Felice Romani qui fait la part belle aux personnages de la commedia dell’arte. Pour suivre les affres de Nemorino – qui soupire d’amour pour la séduisante Adina, laquelle feint de l’ignorer et de lui préférer le sergent Belcore -, la metteuse en scène Solvejg Bauer a choisi de planter l’action dans un entre-deux-mondes. Le paisible village du livret se voit donc transformé en une étrange usine (impressionnante scénographie de Volker Thiele) où des machines, actionnées par le chœur des villageois, rejettent des personnages qui jouent ce vaudeville champêtre devenu mécanique.
Sur le devant du plateau, Nemorino et Adina, pourvus d’accessoires de réalité virtuelle, vivent en quelque sorte leur histoire d’amour par procuration. Le contraste entre machinerie à vapeur, très 19e siècle, et gadgets modernes fonctionne : lorsque des passerelles se forment entre ces deux mondes et que leurs personnages finissent par interagir, le spectateur y voit une évolution logique. Ni résolument critique, ni béatement admiratrice de la modernité, la mise en scène porte un regard neuf sur l’œuvre sans pourtant la dénaturer, en posant des questions ouvertes, avec la dose d’humour qui convient à cette partition joyeuse et insouciante.
Côté musique, le professionnalisme est indéniable. Si, lors de la première, le ténor Carlos Moreno Pelizar a eu un peu de mal à entrer dans le rôle de Nemorino, il a délivré avec conviction et maîtrise l’air emblématique « Una furtiva lagrima », au deuxième acte. Sa partenaire Yitian Luan, en Adina, a par contre su transporter dès les premières mesures, avec une présence scénique indéniable malgré le statisme de son personnage et un timbre joliment adapté à la légèreté de l’histoire. Belle prestation également des autres interprètes, avec une mention spéciale pour la basse Markus Jaursch, charlatanesque à souhait en Dulcamara, le docteur qui vend le fameux élixir d’amour. Attention : l’opéra étant joué par la troupe du théâtre, certains chanteurs peuvent alterner selon les dates.
L’accompagnement de l’Orchestre national de la Sarre, sous la direction de Stefan Neuberg, avait tout de même un peu de mal, malgré une virtuosité adaptée à la partition, à assurer un tempo régulier et à suivre les facéties des chanteurs. Un péché bien véniel et sûrement corrigé après quelques représentations, dans une production réussie qui vaut absolument le court voyage depuis le grand-duché.