Théâtre
 : Marivaudages ou délires ?

Mise en scène, dramaturgie et scénographie : tout concourt à faire d’« Illusions » au Centaure un miroir déformant, avec en toile de fond la question de la nature de l’amour. Une pièce brillamment écrite pour un spectacle qui interroge.

(Photo : Bohumil Kostohryz)

(Photo : Bohumil Kostohryz)

C’est dans un paysage quasi cosmique, digne des films vintage de science-fiction par son artificialité kitsch, qu’alunit le spectateur à son entrée dans la salle : neige ou sable, poufs en forme d’œuf et de souche d’arbre ainsi que large miroir plissé occupant le fond de la scène, le tout dans des matériaux ostensiblement synthétiques. D’emblée, on sait que les natures, tant celle qui nous entoure que l’humaine, se verront ici transformées selon le bon vouloir de l’auteur et par le truchement des acteurs. Les voici d’ailleurs, les acteurs : dans le paradis artificiel d’une fête techno alcoolisée, ces quatre jeunes gens entreprennent de nous raconter l’histoire de deux couples octogénaires.

Une histoire qui commence sur le lit de mort de Denis, dont la femme Sandra recueille les confidences. C’est à un véritable hymne à l’amour que celui-ci se livre, chantant les louanges de leur passion réciproque et sans nuages. Jeanne Werner insuffle au récit une fougue qui donne à ce vieux couple l’énergie d’une passion adolescente. Mais tout n’est qu’illusion chez Viripaev, car on apprendra bientôt que cette belle harmonie conjugale pourrait n’avoir été que poudre aux yeux, lorsque les relations des deux époux avec leurs amis Albert et Margaret seront évoquées. Au fil de la pièce, on ne peut qu’admirer la construction magistrale du texte de l’auteur russe, qui par des répétitions textuelles construit une mécanique horlogère de haute précision tout entière vouée à deux questions lancinantes : qu’est que cet amour dont nous avons tant besoin ? et, au fond, doit-il forcément être réciproque ?

À ce petit jeu, les comédiens offrent une performance remarquée. Il faut dire que le texte fait la part belle aux monologues et leur permet donc de montrer sur la longueur toute la palette des émotions qu’ils sont capables de provoquer. Tant Eli Johannesdottir que Pitt Simon ou Raoul Schlechter, qui enchaînent après Jeanne Werner les anecdotes jusqu’à la mort des personnages qu’ils racontent, parviennent à retenir l’attention du spectateur en ne jouant presque pas avec leurs partenaires. Même si les interactions apportent souvent un effet comique qui sert de soupape à un récit favorisant la réflexion ; elles auraient pu être plus nombreuses, afin d’équilibrer le spectacle vers une « Illusion comique » à la Corneille. Et puis on pourra goûter ou pas les épisodes de danses endiablées sur des rythmes actuels, une opposition un peu didactique entre l’énergie de la jeunesse insouciante et le formalisme de la réflexion sur l’amour menée par des octogénaires.

Cela dit, la mise en scène de Sophie Langevin (qui a travaillé les références théâtrales innombrables de la pièce avec le dramaturge Youness Anzane) met intelligemment en exergue la citation de Shakespeare « All the world’s a stage » : ce micro amplifié que les acteurs utilisent pour une scène imbriquée dans la scène en est l’exemple emblématique. Ces jeunes qui ont l’esprit à la fête semblent bien conscients de la nature éphémère et parfois trompeuse des relations humaines. Est-ce pour cela qu’ils s’en amusent, allant jusqu’à introduire des contradictions entre les versions qu’ils racontent d’une même histoire d’aînés hypothétiques ?

Oui, tout n’est qu’illusion, tout est théâtre… et ce sentiment est exacerbé par un texte ciselé et une production qui l’a décortiqué dans les moindres détails pour en soutirer tous les éléments de réel. Le spectateur, pris dans ces filets, ressort un peu lessivé, mais avec le sentiment libérateur d’avoir assisté à une tranche de vie qui est autant la sienne que celle de ceux qu’il aime.

Au Théâtre du Centaure, les 16 et 17 février à 20 heures ainsi que les 18 et 21 février à 18h30.

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