COMMERCE: Consommez, c’est un ordre !

A partir du 1er juillet, les commerces pourront ouvrir leurs portes jusqu’à 20 heures tous les samedis. Ce n’est pas bon pour les salarié-e-s et est-ce vraiment voulu par les consommateurs ?

Les commerces ouverts sans limites ? Pour certains, cela fait partie du rêve occidental.

Vous connaissez Noisiel ? Probablement que non. Et ce ne serait pas étonnant. Petite ville de Seine-et-Marne (arrondissement de Torcy) de 17.000 habitant-e-s, cette bourgade offre peu d’activités. Certes, vous y trouverez un grand parc bien bondé les journées ensoleillées. Mais bon, côté soleil, il ne faut pas être trop exigeant : vous êtes en Seine-et-Marne. Les aficionados du chocolat peuvent y visiter l’usine Meunier, qui sert dés-ormais de siège social à Nestlé. Et puis, pas loin, il y a Eurodisney. Et si vous vous ennuyez toujours, malgré cette offre flamboyante, vous pouvez toujours faire ce que nombre d’habitant-e-s de la région font : vous promener dans les centres commerciaux et, le cas échéant, dilapider ce qu’il vous reste de votre smic, ou presque, pour des articles mis en vente dont vous ignoriez l’utilité jusqu’à son acquisition. Vivez enfin le rêve occidental : pauvre mais consommateur ! Le commerce, la possibilité permanente de consommer et d’user et d’abuser de ce pouvoir d’achat évanescent, c’est la grande obsession du moment. Transformer notre capitale en « principal centre de commerce » de la région, c’est la lubie du moment.

Et pour ce faire, le gouvernement CSV-LSAP vient de réaliser un de ses points de l’accord gouvernemental : autoriser l’ouverture des commerces tous les samedis jusqu’à 20 heures. L’intention flottait déjà dans l’air depuis un moment, mais la nouvelle ministre des classes moyennes, Françoise Hetto-Gaasch (CSV), a mis en place ce que son prédécesseur, l’inamovible et immuable Fernand Boden (CSV) avait hésité à faire tout au long de son mandat. C’était bien là le secret de sa longévité ministérielle : ne pas faire grand-chose afin de mécontenter le moins de monde possible.

La méthode Hetto-Gaasch est sensiblement différente : le 14 juin, son ministère a fait savoir par communiqué de presse la décision gouvernementale d’appliquer une dérogation temporaire permettant aux commerces d’étendre leurs heures d’ouverture de 18 à 20 heures. Cette dérogation débutera le 1er juillet pour s’achever un an plus tard, le 30 juin 2011. Et au cours du premier semestre 2011, le ministère indique qu’une « évaluation de cette mesure sera effectuée et la prolongation éventuelle de cette mesure sera discutée avec les partenaires sociaux ».

En tout cas, le gouvernement semble être le seul à être persuadé qu’un dialogue avec les partenaires sociaux existe réellement. Si, dans le même communiqué, il affirme que la dérogation a été accordée « suite à plusieurs réunions avec les partenaires sociaux ». Côté syndicats, le son de cloche diffère : dans un communiqué conjoint, les deux principales centrales syndicales, l’OGBL et le LCGB, affirment que la ministre les a mis « devant le fait accompli ». Interrogé par le woxx, André Sowa, secrétaire syndical à l’OGBL responsable du commerce, affirme que la ministre ne les a accueilli que deux fois cette année, « et nos revendications n’ont pas été prises en compte ». Pire, la nouvelle de l’application de la dérogation ne leur est parvenue que par le biais des gens « sur le terrain ».

Vous avez dit dialogue social ?

L’argument principal invoqué par le gouvernement est la compétitivité du commerce luxembourgeois par rapport aux régions frontalières. « La proximité de nouveaux compétiteurs, comme à Perl ou à Mont-Saint-Martin nous met énormément sous pression », affirme Thierry Nothum, le directeur de la Chambre luxembourgeoise du Commerce (CLC). Et de citer les législations plus libérales chez nos voisins directs : en France, les horaires d’ouverture sont complètement libéralisés, tandis qu’en Allemagne, ou plus précisément dans le Land limitrophe de la Rhénanie-Palatinat, une telle libéralisation est également en vigueur depuis 2006. Quant à la Belgique, elle permet des heures d’ouverture le samedi jusqu’à 21 heures.

Et puisque nous sommes à l’étranger : il y a actuellement une autre région, pas aussi éloignée que ça, qui débat de l’extension des heures d’ouverture des commerces. Il s’agit de la ville suisse de Genève. Un comité référendaire unitaire s’est d’ailleurs formé sous l’impulsion de deux centrales syndicales afin de rejeter le projet de loi qui prévoit l’ouverture tous les jours de la semaine jusqu’à 20 heures, jusqu’à 19 heures le samedi et quatre dimanches par an. Le comité s’oppose notamment à cette loi car elle conduirait à la « destruction du petit commerce et des marchés », mènerait à des « coûts écologiques considérables, notamment en termes de dépenses énergétiques supplémentaires » et « le tout sans créer d’emplois ».

André Sowa doute également que la nouvelle réglementation soit créatrice de nouveaux emplois. Ce à quoi Thierry Nothum réplique, en assurant que les cinq principales chaînes commerciales créeront entre 45 et 50 emplois. Mieux, à ses yeux, cet allongement des horaires contribuerait au confort des salarié-e-s du commerce : « Si la clientèle peut faire ses achats le samedi jusqu’à 20 heures et non plus 18 heures, le stress sera moins grand pour tout le monde ». Pour Sowa, cette donne va au contraire chambouler le rythme de vie des salarié-e-s : « La pause de midi sera plus longue et ils resteront bien au-delà de 20 heures à leur poste. Les centres commerciaux ne chasseront pas la clientèle à 20 heures tapantes ». Et de tacler le gouvernement qui avait promis dans l’accord gouvernemental de tout faire pour concilier vie professionnelle et vie familiale. « Il faudrait rappeler à Mme Hetto-Gaasch qu’elle est également la ministre de l’égalité des chances », note André Sowa, en soulignant que la majorité du personnel des commerces est féminin. Et c’est à ces femmes souvent en situation monoparentale et aux salaires somme toute assez bas que l’on demande des efforts et de la flexibilité supplémentaires. « Les syndicats prennent toujours les situations les plus horribles. Il faut comparer les salaires avec nos voisins, comme en Allemagne, où ils sont deux fois moins élevés. Si les salariés au Luxembourg veulent travailler dans d’autres conditions, ils peuvent chercher du travail ailleurs », affirme pour sa part le directeur de la Chambre des Commerce.

En tout cas, son manque d’empathie envers les salarié-e-s n’est pas partagé par tous : un sondage sur le site de RTL dévoile un résultat étonnant. Et sur les plus de 8.800 participant-e-s au moment de la consultation cette semaine, seul-e-s 27 pour cent des internautes pensent que cette extension est une bonne idée, tandis que 44 pour cent se demandent pourquoi changer ce qui a jusqu’à présent bien fonctionné (c’est-à-dire le statut quo) et 27 pour cent ont de « la peine » pour les salarié-e-s et leur vie privée.

Mais au-delà des complications pour la sphère privée et familiale, les syndicats regrettent également que cette réforme se fasse sans contrepartie pour les salarié-e-s. Puisqu’il ne s’agit pas d’heures supplémentaires, elles ne seront pas payées avec une majoration. « Moi, je dis la chose suivante », explique Sowa, « puisque le patronat enlève aux salarié-e-s du temps libre, il doit leur en rendre en contrepartie ». D’après lui, le patronat n’est toutefois pas disposé à négocier. Et s’il persiste dans cette direction, il en appelle au gouvernement de créer de nouvelles conditions légales, ce que Nothum qualifie « d’entrave à la liberté contractuelle ».

Pourtant, aussi bien le ministère que la CLC argumentent, sondage de la TNS-Ilres à l’appui, que l’extension des horaires d’ouverture correspondrait à une volonté des consommateurs. « On peut faire dire tout et n’importe quoi à un sondage, tout dépend de la manière dont on formule les questions », estime André Sowa. D’ailleurs, Thierry Nothum concède que « personne ne sait comment le consommateur réagira, c’est pour cela qu’il nous faut une période test ». Et par ailleurs, la CLC n’est pas non plus capable de chiffrer le manque à gagner issu de cette concurrence de la Grande Région. En tout cas, s’il semble que la pression des consommateurs est toute relative, Sowa estime qu’ils s’adaptent aux changements et non pas le contraire. Mais ce sera surtout au salariat de s’adapter.


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