REFORME DE LA LOI ELECTORALE: … pour que rien ne change vraiment

Personnalisation excessive de la politique, sous-représentation des femmes, exclusion des étranger-ère-s – les raisons de réformer la loi électorale ne manquent pas. Mais le texte proposé actuellement est fort timide.

Le système électoral luxembourgeois ne date pas d’hier. Des éléments caractéristiques tels que le panachage et le découpage en quatre circonscriptions ont été introduits en 1919, en même temps que le suffrage universel. D’autres sont plus anciens encore. Après les élections de 1999, Michel Wolter, ministre de l’Intérieur, avait annoncé son projet d’une réforme de la loi électorale. „Modifier le système électoral constitue une intervention fondamentale dans la législation. C’est pourquoi les réformes ne seront pas dictées depuis le ministère de l’Intérieur, car elles nécessitent le consensus le plus large possible“, avait-il déclaré dans une interview avec le Land. Et: „Tous les partis politiques seront contactés pour qu’ils nous fassent part de leurs idées. A partir de là, la discussion est lancée.“

Avancées timides

Or, alors que la commission parlementaire démarre son travail sur le projet de loi de la réforme, on constate qu’il n’y a pas eu de discussion publique, que les changements sont fort timides, et qu’ils correspondent en grande partie aux points déjà mentionnés dans l’accord de la coalition de gouvernement. C’est le cas de l’abaissement de l’âge du droit de vote passif de 21 à 18 ans, ainsi que de l’abolition, au niveau des élections communales, des sections et du second tour. Les „innovations“ concernent l’avancement de l’âge limite du vote obligatoire de 70 à 75 ans et l’introduction du système proportionnel aux élections communales à partir de 3.000, au lieu de 5.000 habitant-e-s. Pour les citoyen-ne-s communautaires, un abaissement de la durée de résidence exigée pour participer aux élections communales de dix à cinq ans, ainsi que quelques simplifications de procédure sont proposés. Enfin, cerise sur le gâteau de la ringardise: les non communautaires pourront également y participer … à partir de 2017!

„Cela est un des seuls points où le gouvernement fera sans doute des concessions. Nous sommes déçus par le manque d’ouverture des grands partis“, déclare Camille Gira, représentant des Verts dans la commission des affaires intérieures. Son parti avait adopté, lors d’un congrès en septembre 2000, un catalogue de revendications, „30 Schrëtt fir méi Matbestëmmung“. Une place de choix y était réservée à des sujets tels que la restriction du panachage, l’abolition des circonscriptions et la représentation des femmes. Sujets qui avaient déjà fait l’objet d’âpres discussions … en 1919.

Vertus et vices du panachage

„Cette prescription fait violence à l’électeur et méconnaît le caractère luxembourgeois“, tel était l’avis du Conseil d’Etat sur l’interdiction du panachage, adoptée en première lecture en 1919. Quelques mois plus tard, le principe du panachage sera finalement adopté, au nom de la „liberté de l’électeur“, sous la forme intégrale que nous lui connaissons.

Depuis, ce système semble inamovible. En 1993, le sociologue Fernand Fehlen pouvait écrire dans la revue „forum“: „… aucune force politique n’a jamais mis en cause le système du panachage.“ Ce n’est plus tout à fait exact: les Verts le critiquent vivement et proposent de le restreindre fortement. Et même Michel Wolter, dans l’interview précitée, reconnaissait: „Le système électoral au Luxembourg favorise le vote pour des personnes ou personnalités, plutôt que le vote pour une idée. (…) Personnellement, j’opte pour une solution qui favoriserait le panachage limité.“ Là encore, l’argument n’a rien de nouveau. En 1919, le député Jos Thorn pestait: „Les candidats qui auront toute chance d’être élus sont ceux qui passent peut-être le plus par les cabarets (…) ceux qui ont le plus l’habitude de serrer la main, d’aller à chaque enterrement.“ Ce qui est sans doute typique pour le caractère luxembourgeois …

„Je plaide pour des sections uniques dans les communes, car les électeurs votent selon les compétences des candidats et non pas selon l’appartenance à une section“, a expliqué Michel Wolter dans l’interview au Land. La même logique pourraît s’appliquer au découpage en quatre circonscriptions de 1919, alors qu’en 2002 l’ensemble du pays peut être considéré comme une grande banlieue de Luxembourg-Ville.

Si, en 1919, l’enjeu pour les femmes était l’accès au droit de vote, finalement accordé, aujourd’hui se pose le problème de leur sous-représentation. Une étude récente du Centre de recherche Gabriel Lippmann, dirigée par Fernand Fehlen, constate que le désavantage des femmes en termes de visibilité sociale est amplifié par la personnalisation du système de vote. L’étude propose d’avoir recours à des listes „tirette“, alternant candidates et candidats. Or, pour que ce système puisse jouer en faveur des femmes, il faudrait introduire une dose de suffrage de liste – l’ordre dans lequel les candidat-e-s sont élu-e-s devrait dépendre de leur emplacement sur la liste et non du nombre de voix panachées obtenues. C’est une des raisons pour lesquelles les Verts, et d’autres acteurs progressistes, souhaitent s’attaquer au panachage intégral.

Discussion bloquée

Marco Schank, président chrétien-social de la commission parlementaire, estime qu’il appartient plutôt à chaque parti politique de promouvoir les femmes. En ce qui concerne le panachage, il se montre convaincu que „les électeurs savent quelle sensibilité chaque candidat représente“, et qu’en votant pour des personnes, ils votent aussi pour des convictions. „Mais“, assure-t-il, „il y a eu de vives discussions à l’intérieur de notre parti sur ces deux points.“ Quant au maintien des restrictions substantielles appliquées aux citoyen-ne-s étranger-ère-s – pas d’accès aux conseils échevinaux, pas de listes à majorité étrangère – Marco Schank renvoie à l’avenir: „C’est un processus qui continue. Je ne crois pas qu’il faudra attendre 15 ans avant la prochaine réforme.“

La réforme n’est-elle pas qu’une „réformette“? Le président de la commission a beau jeu d’invoquer qu’aucune des propositions un peu osées n’a donné lieu à un consensus possible entre les partis politiques. Le problème, c’est que Michel Wolter a incité les partis à arrêter leurs positions dès le début de la procédure. Cette manière de faire empêche qu’ait lieu un large débat impliquant les citoyen-ne-s et dont pourraient surgir des consensus nouveaux.

Y a-t-il d’exemple plus frappant que celui de l’obligation de vote? Alors que les textes officiels parlent d’un acte que le citoyen – on écrirait mieux „le sujet“ – accomplit „au nom et pour le compte de l’Etat“, tout le monde sait que ceux et celles qui se soustraîent à cette sorte de devoir sacré ne sont jamais inquiété-e-s. Le modèle luxembourgeois: s’arranger pour ne rien devoir changer.


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