PRIX DE L’EAU: Communisme sélectif

Le gouvernement n’apprécie guère l’idée d’un prix identique de l’eau dans toutes les communes. Mais ce qu’il refuse aux ménages, il pourrait l’accorder aux exploitations agricoles.

(Kawita Chitprathak; Pixabay)

La décision du Luxembourg de s’abstenir lors du vote à l’Onu reconnaissant l’accès à l’eau comme un droit universel est regrettable, mais non dépourvue de logique. En effet, notre pays, comme l’ensemble des membres de l’UE, a adopté une politique de gestion de l’eau qui la considère plutôt comme une marchandise que comme un bien public. Cette orientation européenne a une fois de plus montré son incohérence lors du débat récent sur le régime de faveur dont doivent bénéficier les agriculteurs luxembourgeois.

Ainsi, dans le cadre des mesures de soutien à l’agriculture, le ministre Romain Schneider avait annoncé lors de sa conférence de presse du 29 juillet qu’il souhaitait offrir un prix unique pour l’eau et l’assainissement dans l’ensemble du pays. Le ministre en charge de l’eau, Jean-Marie Halsdorf, vient de confirmer en réponse à une question parlementaire qu’une discussion à ce sujet serait en cours. Il rappelle que les communes sont autonomes en matière de tarification de l’eau, mais doivent distinguer entre ménages, industrie et agriculture et respecter le principe de récupération des coûts.

Rappelons qu’il s’agit de la conséquence d’une directive-cadre interdisant en principe de subventionner la mise à disposition d’eau potable, ce qui était auparavant pratique courante. Les champions européens et nationaux de cette idée l’avaient justifié par le principe « pollueur-payeur » et la notion de « prix véritable », suggèrant qu’on pourrait déterminer le coût réel pour chaque litre d’eau consommée et – suprême justice – le facturer à l’utilisateur-trice. Les écologistes avaient accueilli l’idée avec enthousiasme, espérant qu’elle mettrait fin au gaspillage et que les mécanismes économiques permettraient d’améliorer la protection de l’eau, là où les mécanismes politiques avaient failli pendant des décennies.

Il a fallu déchanter : les experts ont expliqué que la majeure partie des coûts provenait de frais fixes tels que l’entretien des réseaux (woxx 1047). En appliquant l’idée d’un « prix véritable », il aurait fallu augmenter la redevance pour le raccordement et baisser le prix au litre – un effet écologiquement pervers ! Ainsi, après avoir décidé une augmentation générale au nom de la théorie du prix « juste », en pratique on a procédé au gonflage artificiel du prix au litre. Mais pas pour tout le monde, comme l’illustre la réponse de Halsdorf : du côté des agriculteurs on doit facturer plus pour le raccordement et moins par litre – ce qui arrange bien sûr ce secteur gros consommateur d’eau.

Une autre conséquence problématique de la récupération du coût a été la disparité régionale des « prix véritables » de l’eau. En effet, les frais fixes sont particulièrement importants pour les réseaux très étendus des communes rurales. C’est un député-maire CSV de l’Oesling, Ali Kaes, qui a alors lancé l’idée d’un prix unique pour l’ensemble du pays. L’idée est sympathique, mais elle rend absurde la logique de « prix véritable » et de récupération, puisqu’elle revient à subventionner massivement la distribution des communes rurales. Officiellement, son collègue de parti Halsdorf n’est pas contre, mais renvoie à l’autonomie des 116 communes qui devraient se mettre d’accord.

Apparemment, ce qui n’est pas faisable pour l’usage privé de l’eau le sera pour l’usage à des fins économiques. En ce qui concerne l’agriculture, tout comme l’industrie, le gouvernement semble décidé à interférer avec l’autonomie communale afin de préserver la compétitivité. Qu’il y ait un traitement spécifique pour ces secteurs n’est pas scandaleux, et confirme juste l’absurdité de la notion de « prix véritable ». Ce qui est scandaleux, c’est que le gouvernement fera payer moins cher l’eau à ceux qui la polluent le plus : les agriculteurs.


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