CONFÉRENCE CLIMATIQUE: Le nécessaire et l’insuffisant

Les résultats de la conférence de Cancún sont modestes. En tenant compte de ce qui sera nécessaire pour arrêter le changement climatique, il est difficile d’être optimiste.

La culture maya, dans la région de Cancún, était obsédée par un déluge mythique à venir. Notre civilisation, libérée des superstitions, se montre pourtant incapable d’endiguer un déluge bien réel.

Que penser de la conférence climatique de Cancún ? De l’avis unanime, la « standing ovation » pour la ministre des affaires étrangères mexicaine Patricia Espinosa, qui venait de passer outre le veto de la Bolivie, était impressionnante. Les résultats le sont beaucoup moins – un aveu plus discret mais tout aussi unanime. Après Copenhague, c’est la deuxième fois de suite que, lors du vote sur le texte final, la communauté internationale viole sa propre règle de l’unanimité. Pour éviter de bloquer le processus de négociation par l’échec d’une conférence, expliqueront les uns. Pour faire croire au monde que tout va bien, alors que l’on va vers une catastrophe, rétorqueront les autres.

Clairement, le principal problème qui s’est posé à Copenhague, lors de la précédente conférence climatique mondiale, n’a pas été résolu à Cancún : celui d’un accord sur la réduction des émissions de CO2 englobant l’ensemble des pays. Si le principe d’un tel accord a été arrêté, on ne sait ni sous quelle forme, ni à partir de quand on pourra le mettre en place. D’où l’idée soutenue par l’Union européenne de prolonger au-delà de 2012 l’accord de Kyoto, ratifié par la plupart des pays industrialisés, à l’exception notable des Etats-Unis. L’idée est combattue par certains Etats signataires comme le Japon, le Canada et la Russie, mais elle sera rediscutée lors de la prochaine conférence à Durban.

Soulagement trompeur

Lors de la conférence de presse tenue mercredi par les ministres Claude Wiseler et Marco Schank, la confirmation de l’objectif de limiter à deux degrés la montée de la température moyenne globale a été présentée comme un des principaux succès de Cancún. Wiseler a expliqué que cet objectif a été complété d’un passage reconnaissant l’insuffisance des engagements de réduction actuels et la nécessité de revoir éventuellement cette limitation à la baisse. Selon le ministre du développement durable, pour éviter le pire, « une augmentation de 1,5 degrés sera probablement le maximum acceptable ».

D’autres résultats sont plus concrets : une assistance financière de 30 milliards de dollars en faveur des pays en développement a été confirmée pour 2010 à 2012. A plus long terme, des aides semblables seront accordées, mais l’engagement est moins précis. Enfin la démarche « REDD », relative à la préservation des forêts tropicales (cf. woxx 1086), a été formalisée – là encore, beaucoup de choses restent à régler.

Le soulagement exprimé par les ministres luxembourgeois, par les autres représentants officiels, mais aussi par une partie des ONG, est compréhensible. Il est difficile d’évaluer si un échec aurait sonné le glas de la lutte de l’humanité contre le changement climatique ou s’il aurait créé un effet salutaire en mettant les gouvernements au pilori devant l’opinion mondiale. Mais le soulagement ne doit pas faire baisser la vigilance de la société civile. Cela fait plus de 15 ans que des ministres de l’environnement reviennent de conférences climatiques en énumérant les « avancées » – et pourtant, cela a eu des conséquences limitées sur le plan national et international. On ne peut donc que se méfier des belles paroles des décideurs actuellement en place.

C’est que, contrairement à des processus politiques continus tendant à une plus grande justice sociale ou à un meilleur respect des droits humains, les décisions relatives à la réduction du CO2 ne peuvent être étalées dans le temps. Si on n’arrive pas à infléchir le réchauffement de la planète d’ici 2030, il est probable que les baisses d’émissions ultérieures n’auront plus qu’un effet réduit sur la dynamique climatique engendrée. Le gouffre qui sépare actuellement les mesures considérées comme possibles et celles qui seraient nécessaires selon les experts ne pourra pas être comblé par un compromis sur une ligne médiane. Il faudra bien que l’humanité arrive à faire le nécessaire si elle veut éviter un désastre quasi-certain. En considérant l’insuffisance des résultats obtenus à Cancún, l’incapacité des représentants d’aller plus loin est regrettable, mais c’est le triomphalisme de certaines déclarations qui est choquant.

Le jusqu’au-boutisme de la Bolivie peut être considéré comme salutaire, non pas à cause de son insistance sur telle ou telle faiblesse, mais parce qu’il a apporté une fausse note au « choeur final ». En effet, les désaccords sur des objectifs quantitatifs – deux degrés ou 1,5 ? – ont une importance secondaire par rapport à la question essentielle : les gouvernements parviendront-ils à mettre sur pied un nouvel accord climatique, à la fois contraignant pour l’ensemble des pays et à juste répartition des efforts entre les anciens pays industrialisés et les autres ?

Un accord « facteur 4 »

L’option avancée par certains gouvernements d’un accord non contraignant, où chaque pays ferait « le plus possible », n’est pas crédible. En effet, c’est ce que les Etats-Unis avaient annoncé en se soustrayant aux obligations de Kyoto – et qui a conduit à une augmentation des émissions plutôt qu’à une diminution. Clairement, la seule perspective est celle d’un « Kyoto mondial », où les pays répartiraient entre eux l’objectif global de réduction, et se soumettraient à des contrôles et des réglementations internationaux. Encore faudra-t-il tirer les leçons de l’accord de Kyoto et de l’expérience européenne : besoin de sanctions pour les pays tricheurs, méfiance envers les marchés de carbone engendrant des effets pervers. Surtout, il faudra repenser les fameux mécanismes flexibles, permettant à un pays de « réduire » ses émissions ailleurs que chez lui – le Luxembourg en est très friand : jusqu’ici, ils ont surtout conduit à d’énormes magouilles et causé une inaction des pays industrialisés aux frais des pays en voie de développement.

Or, le texte adopté à Cancún ne contredit pas les adversaires des contraintes et des contrôles, et il n’est guère critique envers le commerce du CO2. En contemplant la difficile mise en place de l’accord de Kyoto de 1992 à 97, on se dit qu’il faudra un effet « facteur 4 » : d’ici fin 2012, il faudra négocier un accord deux fois meilleur en deux fois moins de temps.

Les difficultés sont énormes. A Cancún, les Etats-Unis ont empêché l’élaboration d’un meilleur texte. Ce n’est pas pour autant qu’ils seraient partie prenante d’un nouvel accord multilatéral. Comme l’accord de Kyoto qu’ils avaient déjà signé et comme l’engagement de réductions substantielles annoncé il y a un an et demi par Barack Obama, toute implication américaine dans le processus est exposée aux aléas de la politique intérieure. Sachant que les deux assemblées sont actuellement dominées par la droite, c’est au plus tôt à partir des présidentielles de fin 2012 que les Etats-Unis bougeront – trop tard pour la préparation de la conférence de Durban.

Or, sans un engagement conséquent des Etats-Unis, il sera difficile de convaincre les pays émergents – en premier lieu la Chine – de souscrire à un accord contraignant. Et sans une perspective crédible d’un accord contraignant englobant l’ensemble des pays, comment convaincre la Russie et le Japon de prolonger l’accord de Kyoto ?

Enfin, du côté de l’Union européenne, Claude Wiseler a assuré qu’elle se serait présentée unie, et aurait eu plus de poids qu’à Copenhague. Mais pour regagner son leadership en matière de politique climatique, elle devrait annoncer une baisse du CO2 de 30 au lieu de 20 pour cent. Or, une telle annonce, envisagée depuis des années par les conseils des ministres de l’environnement, a peu de chances d’être adoptée au niveau des chefs de gouvernement, sous l’influence massive des lobbies industriels.

Cette timidité de l’Union européenne arrange sans doute de très nombreux acteurs – entre autres le gouvernement luxembourgeois. Mercredi, le ministre Marco Schank s’est plaint de « l’objectif de réduction difficile à atteindre » du grand-duché, adopté dans la perspective d’une réduction européenne de 20 pour cent. Si l’UE passe un jour à moins 30 pour cent, nous expliquera-t-il que le Luxembourg ne pourra pas en faire plus ? Certes, la montée annoncée du niveau de la mer ne doit en apparence pas inquiéter le gouvernement luxembourgeois – après tout, Wasserbillig est à 130 mètres au-dessus de la mer… Cependant, comme l’ont rappelé les récentes inondations, dont le changement climatique est une cause possible, la commune la plus basse en altitude du grand-duché ne se trouve qu’à quelques décimètres au-dessus du niveau de la Moselle.


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