De plus en plus verte, l’électricité consommée au Luxembourg ? Six mois après Fukushima, le woxx analyse en profondeur l’offre sur le marché, et notamment les us et les abus de la certification.
Quelle est la couleur de votre courant électrique ? Même si, par le passé, vous n’avez pas opté explicitement pour un des tarifs « verts » des fournisseurs luxembourgeois, le courant que vous recevez est déjà vert clair… En effet, au fil des ans, les fournisseurs ont progressivement augmenté la part des sources d’énergie renouvelables dans le mix qu’ils livrent aux ménages, tendance qui s’est accélérée suite à l’accident nucléaire de Fukushima.
Dernier coup d’éclat, l’annonce par Enovos, la société qui domine le marché luxembourgeois, de fournir à tous ses clients, y compris industriels, un courant à zéro pour cent de nucléaire à partir de 2012. Doit-on s’imaginer que ces dernières années les contrats d’achat d’électricité fossile aient été dénoncés, et qu’Enovos vienne de couper la ligne de haute tension qui relie son réseau aux centrales nucléaires françaises et belges ? Il n’en est rien : pour passer du courant gris ou jaune au courant vert, un fournisseur n’a qu’à acheter des « certificats verts » en quantité suffisante. Ces certificats, contrôlés par le « Renewable Energy Certificate System » (RECS), sont accordés à des producteurs d’électricité d’origine renouvelable dans l’un des pays adhérents, pour la plupart européens. Ces producteurs peuvent alors séparément vendre leurs « certificats verts » à un repreneur et leur courant électrique à un autre.
Conversion magique
Ce système comporte certains avantages. D’une part les producteurs d’électricité verte ne sont pas obligés de négocier un « bonus vert » avec le gestionnaire de réseau qui leur rachète le courant. Ils se font payer leur courant au prix standard et monnayent leur atout écologique sur le marché des certificats. D’autre part, le système empêche les grands opérateurs de revendre l’ensemble de leur production comme verte alors qu’ils n’ont que quelques installations fonctionnant sur base d’énergie renouvelable. En effet, le certificat n’est émis qu’une fois et ne peut être revendu qu’une fois. De même, pour éviter de rémunérer deux fois l’attribut écologique d’une kilowattheure, l’électricité verte rachetée à des tarifs subventionnés (« Einspeisevergütung ») ne donne pas lieu à l’émission de certificats ? du moins en Allemagne et au Luxembourg.
Pourtant, ces certificats faisaient et font encore l’objet de vives critiques. En premier lieu, le caractère « écologique » du courant certifié doit être relativisé. Le « RECS » ne tient compte ni de l’âge des installations, ni de leur impact environnemental négatif, un problème récurrent des barrages hydroélectriques. De surcroît, ce mécanisme récompense certes les producteurs d’électricité verte, mais permet aux autres de verdir leur image à peu de frais. Dans un article de mars 2011, la « Stiftung Warentest » explique comment ces derniers emploient les certificats des centrales hydroélectriques scandinaves construites il y a longtemps : « Un fournisseur allemand misant sur la production à base de charbon et de nucléaire peut racheter ces certificats et offrir du courant écologique. Pourtant, physiquement, il continue à livrer du courant fossile. Ce n’est que sur le papier qu’il dispose d’électricité écologique, la composition du courant ne change pas. »
Il n’est donc pas surprenant qu’une partie des labels allemands d’électricité verte refusent en bloc le recours aux certificats. En effet, l’offre de courant « écolo » sous forme de certificats a toujours largement dépassé la demande à l’échelle de l’Europe. Ce n’est pas un défaut inhérent aux certificats, mais cela les a empêchés d’avoir un effet incitatif pour produire de l’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable.
Exigences vertes
Cet effet incitatif, les « labels verts » et les ONG écologistes qui les ont mis en place cherchent à l’obtenir à travers le critère de l’« utilité environnementale additionnelle ». Pour avoir le label, le courant doit non seulement être d’origine renouvelable, mais les installations qui l’ont produit doivent être relativement récentes, ou une partie des recettes doit être affectée à la construction de centrales vertes. Au Luxembourg, c’est une initiative conjointe des ONG Greenpeace, Mouvement écologique et Eurosolar qui a mis en place des critères en 2007 et s’occupe de leur vérification (woxx 919). Les exigences des ONG sont relativement modérées ? on se contente d’une partie des installations âgée de moins de six, voire douze ans ? et elles n’excluent pas le recours aux certificats.
« Nous les acceptons, mais en appliquant les mêmes conditions aux installations de production des certificats, notamment la proportion d’unités récemment construites », explique Paul Polfer du Mouvement écologique. Il estime que malgré les faiblesses du RECS, il s’agit d’un outil permettant de contrôler que le courant vert vendu corresponde bien à des quantités produites quelque part. « Je ne vois pas comment on pourrait s’en passer ; sans les certificats, de nombreuses installations ne seraient pas rentables. »
Les anti-certificats
Appliquer des critères supplémentaires à du courant certifié vert ? ce qui n’est pas trivial, mais possible – est une approche adoptée entre autres par le « TÜV-Süd » allemand pour certains de ses labels. Cela permet de garantir un effet incitatif sur la construction de nouvelles unités de production vertes, ce qui est considéré comme une priorité par la plupart des ONG. Mais il ne faut pas se leurrer : payer un supplément à un producteur vert pour le certificat tout en bénéficiant du prix plancher au kilowatt pour du courant gris, c’est-à-dire d’origine non définie, n’est pas la même chose que d’acheter directement chez le producteur dans le cadre d’une relation commerciale portant et sur la quantité de courant et sur sa qualité.
Il est vrai que l’Institut luxembourgeois de régulation (ILR) décompte aussi les certificats et non les contrats d’approvisionnement pour établir le mix des produits des différents fournisseurs. Ainsi, la part d’énergies renouvelables dans le mix national a rapidement augmenté en apparence, alors que la plupart des fournisseurs continuent à s’approvisionner auprès de producteurs qui misent sur le charbon et le nucléaire. En faisant comme si le certificat était équivalent à l’achat direct, les ONG pourront dorénavant difficilement critiquer ce type de relations commerciales. D’un autre côté, la demande d’électricité verte ? non labellisée – en Europe continue à augmenter, poussée entre autres par le Second « Atomausstieg » outre-Rhin. De ce fait, les vieilles centrales hydroélectriques suffiront de moins en moins, et le marché des certificats commencera à jouer un rôle.
Selon notre enquête, à deux exceptions près, l’ensemble des produits affichés comme « verts » correspond à du courant gris revalorisé à l’aide de certificats. Cela vaut aussi pour trois des cinq produits reconnus par les ONG : Switch Blue d’Electris, Green Energy de LEO et Terra Invest de Sudstroum. D’un point de vue formel, les produits Nova Naturstroum d’Enovos et Eida Green sont également certifiés, mais ils correspondent aussi à l’achat de courant vert.
« Nous nous tenons aussi loin que possible du marché du courant gris », explique Paul Kauten, administrateur délégué d’Eida, la société fondée dans le cadre de la libéralisation du marché avec l’objectif de vendre exclusivement de l’électricité verte. Le courant Eida Green est acheté avec les certificats auprès d’un parc d’éoliennes néerlandais en ayant recours aux services commerciaux et techniques de la société Anode.
Quant à Nova Naturstroum, il correspond non seulement à du courant vert réellement acheté, mais est de surcroît produit « en temps réel ». L’intérêt de produire l’électricité au moment où elle est consommée par le client est de démontrer que l’électricité produite à base d’énergie renouvelable permet d’obtenir la même souplesse que les centrales classiques. Cela constitue un défi technique ? et un coût – supplémentaire par rapport à la fourniture « par quantité » des autres produits. Cet attribut, retenu comme critère « bonus » par les ONG, ne figure malheureusement plus dans la version la plus récente de leur tableau comparatif.
Zéro nucléaire !
De toute façon, les avis sur la valeur de cet attribut divergent. Ainsi Paul Kauten estime qu’il s’agit d’une « construction théorique » qui n’aurait d’importance qu’avec des pourcentages élevés d’énergie renouvelable. Paul Polfer estime que cet attribut était secondaire quand ce produit a été introduit en 2003, mais qu’il devient « de plus en plus important ». Et aux yeux de Jean-Luc Santinelli, qui dirige le département des ventes d’Enovos, la fourniture et le transport de l’électricité en temps réel est indispensable si on veut se montrer puriste.
Cela ne l’empêche pas d’insister sur le caractère « réellement vert » du courant certifié. En effet, Enovos a eu recours au RECS pour « verdir » à cent pour cent ses fournitures aux clients non industriels à partir du 1er octobre. En passant, cela a permis de faire disparaître toute trace de nucléaire dans son mix global, l’industrie étant alimentée avec de l’électricité produite à partir de gaz, de charbon et de sources renouvelables. Artifice de calcul ou ré-orientation réelle ? « Quand on retire un tel volume de certificats du marché, cela à des conséquences », assure Santinelli. Même si Enovos n’est pas parmi les plus grands opérateurs, son initiative a été remarquée, et il a fallu avoir recours à une demi-douzaine de fournisseurs de certificats différents.
Politiquement, l’initiative de « sortir du nucléaire » est également appréciable : pendant des décennies, Cegedel, la société dont est issue Enovos, a été la bête noire des écologistes. « C’est un immense pas en avant », reconnaît Paul Polfer, « surtout au vu de la présence de sociétés comme RWE au sein de l’actionnariat d’Enovos. » Même si Enovos n’a pas bouleversé sa politique d’achat de courant, Santinelli affirme qu’au niveau des investissements, mis à part le gaz, sa société mise sur les énergies renouvelables. Notons encore que l’ancien service communal de la capitale LEO, qui a fusionné récemment avec Enovos, bénéficiera aussi d’un mix sans nucléaire. Enfin l’ancien service communal d’Esch, Sudstroum, fait encore mieux en offrant un mix d’électricité ? certifié ? entièrement de sources renouvelables.
Alors, peut-on sauver le climat et combattre le nucléaire en achetant le bon courant vert ? Nous avons toujours insisté sur l’importance des démarches politiques, et considéré le comportement de consommation comme un complément. Notons que l’acceptation par les écologistes des certificats, qui sont une émanation des grands opérateurs, en dit long sur le devenir de l’ambition de certains de changer le système grâce à la libéralisation du marché de l’électricité. D’un autre côté, les difficultés de la société Electric Vehicle, partenaire d’Eida (woxx 1095) d’obtenir le soutien des administrations nous rappelle l’importance des initiatives pionnières face à l’immobilisme institutionnel.
Par rapport à notre tour d’horizon des fournisseurs d’électricité du numéro 1113, le positionnement à part d’Eida se confirme : elle est seule à ne pas avoir recours aux certificats pour verdir son courant. Côté politique commerciale cependant, le paysage s’est uniformisé. En creusant un peu on découvre que le partenaire d’Eida, Anode, fournit aussi du courant gris à d’autres clients. Enovos, et LEO avec, commencent à se débarasser de l’image d’alliée du lobby nucléaire. Au vu de cette évolution les atouts de Sudstroum apparaissent moins remarquables, toujours est-il qu’il s’agit là du seul fournisseur cent pour cent public.
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