IKEA: Un élan malvenu

L’ouverture de l’Ikea Arlon ne fait pas que des heureux au Luxembourg. Les riverains redoutent une multiplication anarchique des grandes surfaces dans la région.

„No Ikea in my backyard“ a été pendant deux ans le mot d’ordre de la Lokalinitiativ Kéinzeg et des communes de Clemency et Garnich. Aujourd’hui, le bâtiment jaune-bleu, siglé Ikea, domine le paysage verdoyant de Sterpenich, à 500 mètres de la frontière luxembourgeoise. L’ouverture, le mercredi 24 août, du sixième magasin Ikea en Belgique (sur 202 dans le monde) signe la défaite des opposant-e-s luxembourgeois-e-s.

Jeannot Muller, président de la Lokalinitiativ Kéinzeg, garde pourtant la tête haute : „Depuis la décision du Conseil d’Etat belge en avril, favorable à Ikea, on savait qu’on n’avait plus de chance d’empêcher l’ouverture du magasin. Maintenant on va continuer à travailler sur la problématique de la circulation automobile.“ Pour les opposants luxembourgeois à la construction de l’Ikea il s’agit en quelque sorte d’un retour aux origines de leur action. La Lokalinitiativ de Jeannot Muller s’était constituée en 2002 pour contrer le projet de construction d’une autoroute près de la commune de Clemency.

Guerre des chiffres

Dès l’annonce du projet de construction d’un magasin Ikea le long de la frontière belgo-luxembourgeoise, la Lokalinitiativ Kéinzeg s’est mobilisée. Les habitant-e-s de Clemency redoutent de voir leur petite commune noyée sous le trafic automobile généré par l’implantation Ikea. Une guerre des chiffres, par expertises et contre-expertises interposées, a accompagné la construction de la grande surface. Une étude financée par Ikea pronostiquait qu’un cinquième des 1,3 millions de visiteurs par an arriverait par la route de Clemency. La Lokalinitiativ a toujours contesté cette estimation. Une deuxième étude, faite par le bureau d’étude Schroeder et Associés pour la commune de Clemency, prédisait en effet une hausse de 110 % du trafic automobile à Clemency. Les clients luxembourgeois et français d’Ikea emprunteraient le chemin le plus court pour aller faire leurs achats, passant par Clemency, au lieu d’emprunter l’autoroute d’Arlon. Cette querelle des chiffres va maintenant être tranchée par les faits.

La Lokalinitiativ Kéinzeg, soutenue par le Mouvement écologique, a mené un travail essentiellement juridique pour s’opposer à Ikea. Un recours contre la construction du magasin sur 18 ha a été introduit sans succès auprès du Conseil d’Etat belge. Les associations ont aussi mené un travail de lobbying auprès des ministres luxembourgeois de l’Intérieur et de l’Environnement, qui leur ont prêté une oreille bienveillante, mais ont affirmé qu’ils ne pouvaient pas faire grand chose. „Pour tout vous dire, on s’est senti un peu seul“, affirme aujourd’hui le maire de Clemency, Daniel Hautus. Les responsables d’Ikea n’ont jamais cherché le contact avec leurs critiques. Menant la politique des faits accomplis, ils ont achevé au plus vite la construction du magasin.

„Loi Ikea“

Ikea a eu de bonnes raisons de venir s’implanter à Sterpenich, près de la sortie d’autoroute Sterpenich-Clemency. La proximité du marché luxembourgois, à fort pouvoir d’achat, a été déterminante. La Belgique offre également une série d’avantages par rapport au Luxembourg. Alors que le Luxembourg a introduit un moratoire sur la construction de grandes surfaces commerciales de plus de 10.000 m2, la législation belge est beaucoup moins stricte en matière de permis de construire. Une loi destinée à faciliter l’implantation de la grande distribution a même été votée en 2004. Son surnom: „loi Ikea“. La Province de Luxembourg, avec son économie sinistrée, offre par ailleurs une main-d’oeuvre disponible, et les élus locaux accueillent les investisseurs à bras ouverts. Les opposants à la construction gardent notamment un très mauvais souvenir de leurs rencontres avec le principal champion du projet, le maire d’Arlon, Guy Larcier. „Nos rendez-vous étaient à chaque fois très pénibles. Larcier était très agressif“, se souvient le maire de Clemency. Les représentant-e-s d’Ikea avaient fait miroiter la promesse d’embaucher du personnel maî trisant le luxembourgeois. Au final, il n’y aura pas beaucoup de Luxembourgeois parmi les 280 embauché-e-s, d’après la chargée de presse d’Ikea Belgique.

L’ouverture du magasin Ikea risque de n’être que le premier désagrément pour les riverains. La multinationale des meubles bon marché pourrait avoir un effet d’aimant sur d’autres entreprises. Ainsi le syndicat intercommunal belge de la Province du Luxembourg espère attirer d’autres entreprises dans le secteur. L’université de Liège a déjà mené une étude pour déterminer le bon mélange d’entreprises dans la future zone d’activités à Sterpenich. Une vision d’horreur pour Jeannot Muller. „Le comble c’est qu’ils affirment dans leur étude que l’un des principaux atouts du site est son cadre naturel. D’après eux, il faut valoriser l’image verte du site!“ L’inquiétude des opposants du projet Ikea est que l’afflux de trafic sur le site de Sterpenich va relancer l’idée, provisoirement abandonnée, de raccorder la collectrice du Sud à l’autoroute d’Arlon.

Une autre controverse donne des sueurs froides aux défenseurs de l’environnement: la planification d’une zone d’activité artisanale à Grass, sur le territoire de la commune de Steinfort. Le 29 juillet, le conseil communal de Steinfort a voté en deuxième lecture le projet. La particularité de cette ancienne zone verte reclassée de 28 ha: elle jouxte quasiment l’Ikea. Les membres de la Lokalinitiativ Kéinzeg soupçonnent l’ancien maire de Steinfort, Jean Asselborn, d’avoir profité de l’installation d’Ikea à Sterpenich pour imposer la construction d’une nouvelle zone d’activité à Grass. En faisant la jonction entre les zones d’activités de Sterpenich et de Grass, on aboutirait à une zone d’activité de plus de 50 ha. Pourtant le dernier mot n’est pas encore dit. Après la décision du Conseil municipal de Steinfort, la balle est maintenant dans le camp du ministre de l’Intérieur. Dans un entretien au ‚Wort‘ du 21 mars, Jean-Marie Halsdorf s’est prononcé pour la création d’une zone d’activité régionale au lieu dit „Wandhaff“. Cette dernière rendrait inutile la création de la zone d’activité communale de Grass.

Le Mouvement écologique a sans doute raison de stigmatiser une „faillite“ de la politique d’aménagement du territoire révélée par le dossier Ikea et les débats autour de la zone d’activité de Grass. Loin de développer la coopération et planification conjointe des zones d’activités commerciales, accuse l’association écologiste, les communes des deux côtés de la frontière belgo-luxembourgeoise s’engagent dans une course à la création de zones d’implantation de commerce.


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