DROIT D’ASILE: La „terroriste“

Réfugiée politique ou terroriste? Une jeune journaliste kurde est incarcérée à Schrassig.
La Turquie veut son extradition. Le Luxembourg va-t-il se plier aux exigences d’un Etat qui n’hésite pas à tuer ses opposants politiques?

La biographie de Zübeyde Ersöz, actuellement en prison à Schrassig, se lit comme un cas de figure exemplaire d’une victime de persécutions politiques dans son pays d’origine. Né en 1971 à Bingol, dans la région kurde de la Turquie, elle connaî t lors de sa jeunesse les années les plus dures de la répression anti-kurde des autorités turques. Comme sa soeur Gurbetelli, rédactrice en chef du journal Özgür Gündem, elle se lance dans le journalisme et milite dans le „parti de la femme ouvrière kurde“. Au début des années 1990, lorsque une certaine Tansu Ciller, alors premier ministre, avait émis la consigne que l’opposition kurde devait être „réduite au silence“, les journalistes d’Özgür Gündem sont persécutés. Comme 160 autres journalistes kurdes, la rédactrice en chef disparaî t et va trouver la mort dans des conditions non élucidées jusqu’à présent. Mais aussi le frère de Zübeyde Ersöz, un médecin engagé qui ne s’est pas refusé à soigner des millitants kurdes en fuite devant l’appareil sécuritaire de la Turquie, a été tué pendant cette période. Zübeyde sera arrêtée et torturée, mais réussira à fuir en Allemagne où elle dépose une demande d’asile politique en novembre 1993. Elle restera en Allemagne pendant des années. Grâce à des autorisations provisoires, elle peut même exercer son métier de journaliste et travailler comme correspondante pour Özgür Gündem et d’autres journaux kurdes. Mais sa demande d’asile sera finalement rejetée en décembre 1995, comme celle de beaucoup d’autres kurdes. L’Allemagne, qui entretient des relations politiques et économiques privilégiées avec la Turquie, s’obstine à ne pas reconnaî tre les persécutions dont sont victimes les kurdes et notamment ceux qui sont politiquement engagés.

Zübeyde Ersöz quitte le territoire européen pour se lancer dans une autre aventure: pendant près de dix ans, elle travaillera dans le camp de Mahmur, au nord de l’Irak. C’est un des camps installés par les Nations-Unies suite à la première guerre du Golfe, dans la zone autonome kurde. Elle continue à faire des papiers pour différents organes de presse, et travaille notamment comme enseignante dans le camp de réfugiés.

Début 2006, elle apprend que les services secrets turcs l’ont repérée et elle reprend le chemin de l’exile. Via la Hongrie, elle arrive au Luxembourg, où elle est attendue par une famille kurde, dont le statut de réfugiés politiques avait été reconnu depuis plusieurs années. La mère de la famille avait elle aussi travaillé dans le camp de Mahmur, c’est là que les deux femmes ont fait connaissance et que Zübeyde Ersöz a entendu pour la première fois parler d’un pays démocratique en Europe épris des droits humains appelé Luxembourg.

Le 14 février 2006, accompagnée d’un avocat qui lui a été suggéré par sa famille d’accueil, la réfugiée se présente une première fois au ministère des affaires étrangères pour y déposer sa demande d’asile. Malgré une attente prolongée, elle ne sera pas reçue et on lui signale qu’il faudra revenir le lendemain. Elle se présentera le lendemain sans avocat mais accompagnée par une interprète.

Lorsqu’en soirée son avocat veut prendre de ses nouvelles, on lui signale que Zübeyde Ersöz a été incarcérée à Schrassig, suite à une mandat de recherche d’Interpol. Sa cliente serait une dangereuse terroriste.

L’isolement au lieu de l’asile

Le jour-même, le ministre des affaires étrangères rejette la demande d’asile politique de Zübeyde Ersöz, invoquant l’article 1.f. de la convention de Genève: l’asile politique peut être refusé à des personnes ayant commis des crimes graves, tels que les actes de terrorisme. Sans que l’avocat ait pu intervenir, Zübeyde est transférée en cellule d’isolement à Schrassig où on attend avec une certaine anxiété „la terroriste“, à laquelle un régime de sécurité renforcé est appliqué.

L’avocat doit tout mettre en oeuvre pour se procurer le dossier de Zübeyde Ersöz qu’on a confisqué à sa cliente lors de son incarcération. En recevant de la main du procureur une copie de l’avis de recherche, l’avocat signale immédiatement que la photo – de mauvaise qualité – ne correspond guère au physique de sa cliente. Mais ceci n’empêche pas les autorités de la maintenir en prison.

L’avocat introduit une demande de libération provisoire auprès de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement. L’affaire sera délibérée le 9 mars (voir woxx 839 et 840), mais Zübeyde Ersöz ne sera pas mise en liberté. Ceci malgré un nombre impressionnant de pièces rassemblées par l’avocat pour prouver que sa cliente ne pouvait pas avoir commis les actes terroristes dont les autorités turques l’accusent. L’avis de recherche d’Interpol comporte une liste d’actes terroristes qui se situent entre septembre 1994 et octobre 1995. Or, Zübeyde Ersöz était justement en Allemagne pendant cette période et assistait à de nombreuses auditions en relation avec sa demande d’asile politique.

En plus, l’avocat fait état des nombreuses tentatives de dénigrement de l’Etat turc envers les personnes engagées politiquement, qui sont systématiquement accusées d’actes de terrorisme pour pouvoir les faire arrêter même en dehors du territoire national.

Les autorités luxembourgeois tant politiques que judiciaires remettent ainsi le sort de Zübeyde entre les seules mains de la Turquie, qui dans un délai de quarante jours doit déposer une demande d’extradition formelle aux autorités grand-ducales. Le message a été bien reçu à Ankara, car les parents de leur fille qui n’ont pas vu leur fille depuis une douzaine d’années, ont reçu la visite d’agents de la sécurité turque pour leur faire signer un papier qui comporte la vraie photo de Zübeyde, le jour qui suivait son arrestation à Luxembourg. Entretemps, une demande d’extradition non formelle a été remise aux instances luxembourgeoises, il manque encore la signature du ministre des affaires étrangères turc, ce qui devrait se faire dans les prochains jours.

Il appartiendra alors à la chambre de conseil de la cour d’appel de statuer sur le sort de la journaliste kurde. Si elle tranche en sa faveur, l’affaire est définitivement classée et elle sera libérée. Dans le cas contraire, le dernier mot reviendra au ministre de la justice qui peut s’opposer à une extradition. Si l’avocat se dit optimiste de pouvoir convaincre les autorités luxembourgeoises qu’une extradition est injustifiée, le déroulement de cette affaire jusqu’à ce jour laisse cependant présager du pire.

Indépendamment de cette procédure en relation avec l’avis de recherche international, l’avocat de Zübeyde Ersöz a formulé un recours gracieux à l’adresse du ministre des affaires étrangères relative à la demande d’asile politique. Celui-ci devra réagir jusqu’à la mi-avril pour éventuellement revenir sur sa décision initiale de ne pas accorder l’asile politique. Jusqu’à présent, le ministre n’a pas pris position et il n’a pas donné suite aux demandes répétées de la rédaction du woxx, d’expliquer sa décision initiale, prise dans la hâte.


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