Les Verts cautionnent des augmentations de tarifs au niveau communal et mettent en question l’indexation des salaires. A y regarder de près, il s’agit moins d’une dérive libérale que d’un manque de profondeur de leur réflexion politique.
„Les services fournis par le secteur public doivent être évalués quant à leurs objectifs et leur qualité. L’application du principe de récupération des coûts doit être renforcée.“ Ce passage, adopté il y a deux semaines par le congrès de Déi Gréng, ressemble à une justification fournie a posteriori. En effet, en février, une augmentation des tarifs des crèches de la ville de Luxembourg avait été décidée par la nouvelle majorité libérale et verte. Or une telle mesure n’était nullement prévue dans les programmes politiques des Verts. Pour les communales de 2005, le programme de la section de Luxembourg restait carrément muet sur la garde d’enfants, alors que le programme national affirmait: „Chaque enfant a droit à une place de qualité et abordable pour ses parents dans une structure d’accueil. La politique éducative verte soutient une offre améliorée et étendue de crèches et de structures d’accueil.“ Mais à la place d’une amélioration de l’offre, la nouvelle équipe DP-Déi Gréng commence par augmenter les prix …
Cette mesure a suscité l’indignation de certains parents concernés. Le LSAP s’est joint à ces critiques en reprochant au nouveau conseil échevinal de mener „une politique dirigée contre les familles“. Les socialistes citent l’exemple d’une famille ayant un revenu net de 5.500 euros et deux enfants à la crèche: à partir du 1er octobre 2006, elle devra payer 1.476 euros au lieu de 822,62. „Les revenus peu élevés ne sont pas épargnés“ affirme un communiqué du LSAP.
Chères crèches
„En-dessous d’un revenu net de 4.000 euros, les augmentations sont minimales“, rétorque François Bausch, premier échevin de la ville. En effet, elles varient de 3 à 7 pour cent. „Je comprends que les personnes au-dessus de ce seuil ne soient pas contentes de payer plus. Mais elles oublient les nombreux avantages fiscaux qui atténuent leurs dépenses réelles en matière de garde d’enfants.“ Aux yeux du politicien vert, ces augmentations constituent une mesure de justice sociale. Actuellement, 60 pour cent des places dans les crèches communales seraient occupées par des familles à revenu élevé. En effet, jusqu’ici elles ne payaient environ qu’un quart du coût de revient réel. „Ce sont justement les ménages qui pourraient se payer une place dans une crèche privée ou une assistance parentale qui occupent les places, aux dépens des revenus faibles qui n’ont pas le choix.“
En ce sens, l’augmentation controversée est en accord avec la suite du passage sur la récupération des coûts, cité plus haut: „Il importe de tenir compte d’une répartition sociale et solidaire des charges lors de la mise en pratique.“ On peut même se demander si la mesure va suffisamment loin. Un article paru dans le „Wort“ a comparé les prix des crèches de la ville et celles d’ASBL conventionnées par l’Etat. Il en résulte que même après l’augmentation, les revenus moyens à élevés continuent à être favorisés par les tarifs de la ville. C’est à partir de 7.000 euros net que le secteur conventionné est moins cher – à cause du plafonnement qui intervient à 6.000 euros. Ce qui est beaucoup plus discutable, c’est qu’en dessous d’un revenu net de 4.500 euros, les ménages payent plus cher dans les crèches de la ville que dans les conventionnées. En toute logique, il faudrait diminuer ces tarifs et encore plus augmenter les autres. Cependant, des négociations avec le ministère de la Famille sont en cours, afin d’obtenir un conventionnement des crèches de la ville, ce qui alignerait les tarifs.
La critique du LSAP porte aussi sur le fait que cette mesure ait été prise de manière brusque et sans consultation préalable des parents. Le conseil échevinal avait envisagé d’étaler l’augmentation sur deux ou trois ans. „Mais au vu des tarifs extrêmement favorables pour les revenus élevés, cela aurait été socialement injuste“, dit François Bausch. La ville a cependant prévu, pour des cas de rigueur, la possibilité de demander une réduction exceptionnelle. Il reste le fait de rendre plus cher l’accès à un service de garde, même si cela ne concerne que des familles à revenu élevé. Ce n’est pas vraiment une mesure qui favorise la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, notamment pour les femmes. „Si elles ne sont pas prêtes à payer un juste prix pour une crèche de qualité, ces familles ont d’autres possibilités“, estime Bausch. Il qualifie d’idéal le modèle scandinave, où les crèches sont gratuites pour tout le monde, ce qui va de pair avec des impôts sur le revenu élevés. „Mais nous ne sommes pas dans le modèle scandinave“, se résigne-t-il.
Utilisateur-payeur
En effet, nous sommes au Luxembourg, et, plutôt que la gratuité, dans une situation de déficits publics, c’est le principe de la récupération des coûts qui est appliqué. Ainsi le prix du mètre cube d’eau va augmenter de 1,5 à 2,5 euros dans la ville de Luxembourg. François Bausch se veut rassurant: „Là encore ce n’est pas antisocial. En économisant l’eau, on peut facilement maintenir ou même réduire la dépense.“ Il annonce aussi que la ville mettra en place des tarifs d’eau et d’électricité spéciaux pour les bénéficiaires du RMG. Cette augmentation se justifie aux yeux du politicien vert parce que le prix de l’eau actuel serait „ridicule“, alors qu’il s’agit d’une ressource précieuse et menacée. Plus généralement, Bausch plaide pour une application du principe pollueur-payeur en matière de biens environnementaux. En ce qui concerne la prestation de services par le secteur public, il faudrait „un certain degré de couverture des coûts, à défaut d’avoir des ressources fiscales suffisantes“.
Signe des temps, la récupération des coûts – principe teinté de libéralisme – n’a pas donné lieu à des débats lors du congrès vert, consacré, il est vrai, aux réformes économiques. Sur l’indexation des salaires par contre, la base verte a redressé la barre, alors que la version initiale du texte „Nei Iddie fir Lëtzebuerg“, naviguait dans des eaux dangereuses. Il était proposé de limiter l’ajustement automatique à une tranche par an au cas où l’inflation serait induite par un produit seulement. En d’autres mots, si le prix de l’essence augmentait rapidement, les salariés n’auraient plus droit à une compensation intégrale de leurs frais. Une „idée nouvelle“, en effet.
Neutraliser, manipuler
La version adoptée au congrès est plus équivoque: le parti se dit seulement ouvert à une discussion sur un tel mécanisme. Par contre, une neutralisation de l’ajustement automatique est demandée au cas où l’inflation est causée par le principe de récupération des coûts en matière écologique. A condition toutefois que des alternatives existent, „donnant aux consommateur-trice-s la possibilité de faire des économies pour neutraliser ainsi les augmentations de tarif“. Là, les Verts semblent viser l’eau et l’électricité, mais on peut étendre ce raisonnement aux transports: si l’offre des transports en commun était améliorée, une écotaxe sur les voitures ou sur l’essence pourrait être neutralisée.
S’agit-il d’une „manipulation de l’index“, honnie par les syndicats? „Pour nous, l’indexation ne sert pas à compenser l’inflation, mais à défendre un pouvoir d’achat – mais pas n’importe lequel!“ se défend François Bausch. Il donne l’exemple des grosses cylindrées, qui continuent d’avoir la côte au Luxembourg: „Est-ce là le pouvoir d’achat dont nous parlons?“ En réformant la taxe automobile, le prix de revient de ces voitures augmenterait, ce qui serait compensé par l’indexation. „Il faut neutraliser cet effet, sinon on sabote la réforme“, explique Bausch. Quant à l’inflation induite par un produit, le leader vert persiste et signe: „Des augmentations comme celle du pétrole en 2005 sont dures pour l’économie. Il faut se donner la possibilité de réagir.“ Une fois la brèche ouverte, le système d’indexation ne risque-t-il pas de s’effondrer sous les coups d’autres manipulations? Bausch dit comprendre cette approche défensive des syndicats, mais la tient pour suicidaire. „Nous ne demandons pas l’abolition de l’indexation, mais nous voulons briser le tabou qui empêche toute discussion.“
Briser des tabous, oser des réformes – le discours politique de Déi Gréng ressemble fâcheusement à celui des partis libéraux … et de certains partis sociaux-démocrates étrangers. Les Verts sont-ils devenus libéraux et anti-sociaux, comme on le leur reproche régulièrement? Certes, leur électorat, comme leur base militante, provient de milieux matériellement aisés. Mais cela a été le cas dès la fondation des „Gréng Alternativ“, et ne les a pas empêché d’adopter, dans les années 80, des positions gauchisantes. Les observations de l’étude Stade sur les élections de 2004 sont également équivoques: l’électorat écologiste montrerait des tendances libertaires, donc aussi favorables au libéralisme économique. Néanmoins, interrogé sur la hiérarchie des valeurs, 56 pour cent préfèrent l’égalité à la liberté – la moyenne tous partis confondus étant de 41 pour cent seulement. L’exemple des crèches de la ville de Luxembourg montre qu’une augmentation de tarifs n’est pas toujours anti-sociale.
D’un autre côté, les positions vertes sont aujourd’hui très éloignées de celles, anti-libérales, des altermondialistes. Déi Gréng s’accommodent très bien d’idées comme la récupération des coûts, qui est une première étape vers la privatisation pure et simple. Sans être un fer de lance du libéralisme économique, il manque au parti une réflexion qui permettrait de voir plus loin que la simple recherche d’efficacité, plus loin que le système économique actuel … plus loin que les prochaines élections.